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"On vous tourne le dos" : trois mois après la défaite aux législatives, le douloureux retour à la vie normale des anciens députés macronistes

Plusieurs semaines après les élections législatives, les macronistes battus tentent d'avancer malgré l'amertume de la défaite. Certains ont retrouvé leurs anciennes activités, d'autres sont au chômage et contraints de se réinventer. Mais presque tous conservent l'espoir d'un retour en politique.

Article rédigé par Antoine Comte, Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Les députés sortants battus lors des élections législatives des 12 et 19 juin 2022 ont parfois du mal à tourner la page. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"La politique, ce n'est jamais facile. Mais là, ça a été très dur", raconte Brigitte Bourguignon, ancienne députée LREM et éphémère ministre de la Santé. Trois mois après les législatives de juin, les anciens députés de la majorité battus tentent de relever la tête. La coalition présidentielle Ensemble ! a payé cher le renouvellement de l'Assemblée nationale, avec 42% de députés sortants qui ont dû vider leurs bureaux du Palais Bourbon.

"J'étais en colère. J'ai énormément pleuré le soir de ma défaite, comme une petite madeleine. Mes enfants sont venus me soutenir."

Brigitte Bourguignon, ancienne députée et ministre de la Santé

à franceinfo

Du jour au lendemain, une centaine de députés macronistes ont été contraints de changer de vie. "Vous vous retrouvez au chômage. Le téléphone ne sonne plus, on vous tourne le dos. Cette solitude qui vous tombe dessus, c'est un peu dur", témoigne Philippe Huppé, ex-député de l'Hérault. "On ne s'attend pas à cette brutalité. Votre agenda, qui était plein, se vide soudainement, vous devez faire vos cartons, licencier votre équipe, tous les projets que vous portiez sont abandonnés", poursuit Laurianne Rossi, ancienne députée LREM des Hauts-de-Seine.

"Ce qui m'a fait surtout drôle, c'était de me lever le lendemain matin et de me retrouver sans mandat, alors que j'étais élu depuis vingt-sept ans, détaille Patrick Mignola, l'ancien chef de file des députés MoDem. Tous les matins, avant, j'avais un sujet ou une préoccupation à régler. Ça fait bizarre ! On redevient juste mari et père."

"Double effet Kiss Cool"

"Avec mon équipe, on avait des journées dingues. C'est difficile de s'arracher à cette vie collective", poursuit Brigitte Bourguignon, qui a perdu d'une cinquantaine de voix. Pour l'ancienne ministre, il y a en plus le "double effet Kiss Cool", avec la fin de ses fonctions ministérielles en raison de sa défaite aux législatives, une règle non écrite mais appliquée par tous les gouvernements depuis Nicolas Sarkozy. "C'est la double peine, souffle l'ancienne députée du Pas-de-Calais. On se demande si des ministres iront encore aux élections quand on voit comment on est récompensés. Si je suis à nouveau ministre, j'y réfléchirai à deux fois."

D'autres anciens poids lourds battus tentent de se montrer plus détachés et se réfugient derrière l'humour pour refuser d'en dire plus. "Renaissance, le dernier album de Beyoncé, est un sujet, mais je sens bien que seul [le magazine] Rock & Folk pourrait être intéressé", textote Christophe Castaner en référence au changement de nom de La République en marche.

"Hélas, mon actualité politique étant très fortement réduite depuis quelques semaines, mon actualité n'a que peu d'intérêt."

Christophe Castaner, ancien président du groupe LREM à l'Assemblée

à franceinfo

Pour la majorité des parlementaires battus, l'été a été difficile. Avant de partir prendre du recul en bord de mer avec la famille, il y a tous les tracas administratifs à régler. "Le 21 juin [deux jours après le deuxième tour], on n'a plus le droit d'utiliser les comptes de l'Assemblée. Il faut arrêter la location de sa permanence, mettre fin à tous les contrats, vider les locaux. Il faut licencier ses collaborateurs… Bref, c'est comme un chef d'entreprise qui coule sa boîte", énumère Christophe Jerretie, ex-député MoDem de Corrèze. Certains ont d'ailleurs encore un peu de travail avant de pouvoir passer à autre chose. "Je prends un peu de temps pour tout plier et arrêter les comptes, car j'ai pris des vacances", reconnaît Philippe Huppé.

"Je ne m'arrête pas sur le passé"

Puis, avec la rentrée, les députés se posent vite la question de leur nouvelle vie. Le 29 août, Emmanuel Macron a d'ailleurs reçu les vaincus à l'Elysée pour une séance de "câlinothérapie". "Il y aura encore des matins de combat et des soirs de conquête. Et vous en serez", a rassuré le chef de l'Etat devant les 150 battus qui avaient fait le déplacement. Les malheureux du 19 juin ont apprécié les mots du président. "Il a dit qu'il ne laisserait personne sur le côté, j'ai trouvé ça bien", raconte Philippe Huppé.

"On attendait vraiment un mot de reconnaissance et de gratitude, il a eu les mots justes", confirme Laurianne Rossi. "Bon, sur le moment, ça fait bizarre. On a fêté la Toussaint en avance, mais c'est aussi ça la politique", glisse Patrick Mignola en référence à la fête catholique qui précède d'un jour la commémoration des défunts.

"Mais bon, on n'est pas les plus malheureux non plus."

Patrick Mignola, ancien député MoDem de la Savoie

à franceinfo

Tous n'ont pas été aussi sensibles aux retrouvailles. "Il y a des gens pour qui c'était très émouvant, ce n'était pas mon cas. C'est la vie, je ne m'arrête pas sur le passé", relativise l'ancien député LREM de l'Eure Bruno Questel. "Beaucoup de gens n'avaient pas passé le cap de la défaite. Cela vient aussi de la faible expérience politique des parlementaires que Macron avait recrutés, ils ne s'étaient pas préparés à perdre, estime pour sa part Christophe Jerretie. Mais au bout d'un moment, il faut tourner la page."

"Il n'y a pas beaucoup d'offres d'emploi pour nous"

Pour passer à autre chose, certains députés doivent d'abord se reconstruire sur le plan professionnel. "Je cherche actuellement du travail. J'ai quelques pistes, notamment dans l'artisanat et les métiers d'art", raconte Philippe Huppé. Le président de la fédération départementale du Parti radical dénonce notamment le manque d'accompagnement pour les députés. "Il y a un vrai problème avec les fins de mandat", constate-t-il.

"Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir une équivalence, mettre en place une aide pour aller vers une autre vie à la fin du mandat ?"

Philippe Huppé, ancien député

à franceinfo

Christophe Jerretie est lui aussi sans activité professionnelle depuis trois mois. "Le plus compliqué quand on vient du privé comme moi, c'est de rebondir. J'avais vendu mon entreprise lorsque je suis devenu député", explique l'ancien élu MoDem. "J'hésite entre rejoindre un groupe qui m'intéresse, reprendre une entreprise existante ou bien devenir avocat. Je regarde en ce moment sur mon territoire, mais il n'y a pas beaucoup d'offres", s'inquiète-t-il.

Laurianne Rossi est actuellement en congé sans solde et ne perçoit aucun salaire depuis fin juin. Mais elle est en pourparlers pour réintégrer son ancienne entreprise. "J'étais en suspension de contrat au sein de SNCF Réseaux, mais je devrais normalement reprendre une activité professionnelle en octobre", confirme-t-elle. "C'est comme un congé maternité : j'ai été remplacée durant mon mandat, mais l'obligation de l'employeur est de me réintégrer."

"On n'est pas du tout attendu à la sortie. Les employeurs ont très peur d'embaucher un ancien député, car cela étiquette automatiquement leur entreprise."

Laurianne Rossi, ex-députée LREM des Hauts-de-Seine

à franceinfo

Certains parlementaires défaits aux dernières législatives ont, en revanche, déjà retrouvé un travail. Et ils commencent presque à apprécier leur nouvelle vie. Prudent, Bruno Questel avait décidé de s'inscrire au barreau de Paris avant les élections. Un choix judicieux. "J'ai pu tout de suite reprendre mon métier en intégrant un cabinet d'avocats en droit public", rapporte l'ex-élu de l'Eure.

Les anciens de la fonction publique, comme Catherine Daufès-Roux, ont moins de questions à se poser. L'ex-députée LREM du Gard, qui n'aura siégé qu'une seule année au Palais Bourbon en remplacement d'un collègue démissionnaire, a eu la chance de retrouver son poste de cheffe d'établissement en collège. L'ancienne ministre Brigitte Bourguignon n'a également pas tardé à rebondir, en étant nommée à l'Inspection générale des affaires sociales. "C'est une vie totalement différente. Vous n'êtes plus autant entourée, avec des collaborateurs qui gèrent votre agenda quotidiennement. Mais c'est tout aussi passionnant", confie-t-elle.

"Je n'ai pas envie de raccrocher"

En parallèle de ces nouvelles vies professionnelles, la plupart des anciens députés ont un autre point commun : l'envie de ne pas raccrocher. Ils sont nombreux en effet à vouloir continuer à faire de la politique. A différents niveaux. Si certains ont voulu rester membres des instances nationales de leur parti, comme Patrick Mignola, vice-président du MoDem, d'autres ont souhaité conserver leurs mandats d'élus locaux, comme Laurianne Rossi ou Brigitte Bourguignon. Enfin, il y a ceux qui ne ferment pas la porte à une éventuelle candidature en 2027. "C'est une belle fonction, et je pense que je pourrais faire plus et mieux", glisse Philippe Huppé. Son collègue Christophe Jerretie a l'impression d'avoir fait le tour et vise d'autres postes.

"Si je reviens, c'est pour quelque chose de neuf, comme ministre, par exemple."

Christophe Jerretie, ancien député MoDem

à franceinfo

Une défaite électorale peut en revanche signer la fin d'une carrière politique. Pour Danièle Hérin, l'heure de la retraite a sonné. Mais l'ancienne députée LREM de l'Aude assure vouloir continuer à s'impliquer dans la vie politique locale. Cette professeure d'université ne se résout pas "à voir toutes les circonscriptions de l'Aude aux mains du RN".

L'ancien député LREM du Rhône Yves Blein "n'aurait pas craché sur un troisième mandat", mais les urnes en ont décidé autrement. "J'ai 68 ans et je m'étais fixé comme cap d'arrêter à mes 70 ans. Il faut laisser respirer la vie démocratique et faire monter une nouvelle génération", juge-t-il. Patrick Mignola ne tire pas un trait sur 2027, mais partage le souhait de voir les jeunes s'impliquer en politique. "J'ai 51 ans et je veux aussi transmettre maintenant aux autres générations."

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