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Universités d'été de La France insoumise : Mathilde Panot, une militante devenue "générale d'armée"

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
La députée Mathilde Panot en compagnie d'autres cadres de La France insoumise, à Paris, le 23 juin 2021. (BERTRAND GUAY / AFP / ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

A 33 ans, la meneuse des députés "insoumis" est devenue incontournable au sein de la formation de gauche radicale. Sans pour autant parvenir à incarner la difficile succession de Jean-Luc Mélenchon.

"Vous êtes une rescapée" des législatives, a lancé le 7 juillet, Mathilde Panot à Elisabeth Borne, dont le père est rescapé du camp d'Auschwitz. Neuf jours plus tard, la députée La France insoumise du Val-de-Marne provoque un nouveau tollé à l'occasion des commémorations de la rafle du Vel d'Hiv, en affirmant sur Twitter qu'Emmanuel Macron "rend honneur à Pétain".

Face à l'indignation d'une partie de la classe politique, jusqu'au sein de la gauche unie depuis les législatives, la présidente du groupe La France insoumise à l'Assemblée nationale se borne à "clarifier" ses propos très critiqués. De quoi faire d'elle, en deux sorties très médiatisées, l'une des parlementaires marquantes de ce début de mandat.

Des "mots obus" comme armes à l'Assemblée

Voilà le style de Mathilde Panot, 33 ans, patronne des députés LFI depuis octobre dernier. "Elle a le don de trouver des mots qui claquent", résume Antoine Léaument, son ami, élu député en juin. "A La France insoumise, on appelle ça des 'mots obus' : quand on les prononce, les mots explosent et forcent la réflexion." Si les mots de la trentenaire "claquent" dans l'hémicycle en ce début de quinquennat, ils germent patiemment depuis une quinzaine d'années et ses premiers engagements associatifs.

Cette Orléanaise d'origine, issue de la classe moyenne, aime d'abord se décrire comme "une militante". Il y a d'abord eu des actions à ATD-Quart monde, qui lutte contre la pauvreté. Puis à l'Unef, dès son entrée à Sciences Po, en 2008. Sur le campus de Nancy, elle recrée une section locale du syndicat étudiant proche du Parti socialiste. "Là-bas, on a écrit le cahier de brouillon d'actions militantes qu'on a pu mener plus tard", raconte Hadrien Clouet, aujourd'hui député LFI. Mathilde Panot pousse la porte d'un local politique en 2011, avant la première campagne de Jean-Luc Mélenchon. "Elle n'a pas été très dure à convaincre : elle cherchait un lieu militant pour utiliser ce qu'elle avait fait avant et défendre l'accès à la santé et la culture", poursuit son ami.

Sous le patronage de François Delapierre, bras droit de Jean-Luc Mélenchon mort en 2015, l'étudiante produit des notes au sein du pôle argumentaire. "J'ai remarqué qu'on avait affaire à quelqu'un de vif, de dynamique, qui comprenait les enjeux politiques avec une culture de l'action", se souvient Arnaud Le Gall, membre depuis 2009 du Parti de gauche, nom originel du mouvement de gauche radicale. Pour le député, "elle a un réflexe salutaire en politique : elle a l'obsession de parler à l'extérieur".

Les louanges de Jean-Luc Mélenchon

En parallèle de son engagement au sein de VoisinMalin, une association qui anime un réseau de citoyens dans les quartiers populaires, elle poursuit son engagement au Parti de gauche, qui devient le Mouvement pour la VIe République en 2014. Et en devient très rapidement une cheville ouvrière.

"Dans notre mouvement, Mathilde Panot est à la manœuvre dès 2015."

Alexis Corbière, député LFI

à franceinfo

Installée à Ivry (Val-de-Marne), elle occupe la fonction de "coordinatrice des groupes d'appui" dès l'hiver 2016. Les "caravanes des droits", l'une de ses idées, se déploient à l'été suivant. "C'est Mathilde qui a construit le mouvement La France insoumise. Cette femme a passé des heures là-dessus. J'ai une confiance humaine totale en elle, elle m'a appris des choses", dit d'elle Jean-Luc Mélenchon, en juin 2017.

La voilà au cœur de la deuxième campagne de l'ancien socialiste, dont elle est l'une des protégées, comme Manuel Bompard ou Adrien Quatennens. Comme ces autres jeunes pousses de la "génération Mélenchon", Mathilde Panot se laisse convaincre à l'hiver 2017 de se présenter aux élections législatives dans le Val-de-Marne. "Au début, elle n'était pas trop partante, mais tous les copains d'Ivry la poussaient, se remémore Hadrien Clouet. Moi je lui disais : 'Il faut évidemment que tu y ailles, il faut des profils comme le tien à l'Assemblée !'"

Discrète, mais offensive

Le 18 juin 2017, elle devient l'une des 17 députés La France insoumise et pénètre à l'Assemblée nationale à seulement 28 ans. Très vite, dans le sillage de Jean-Luc Mélenchon et des bruyants François Ruffin ou Adrien Quatennens, "la militante" devient une spécialiste des questions environnementales au sein du petit groupe parlementaire. Pour se faire entendre, elle n'hésite pas à brocarder Nicolas Hulot, poids lourd du gouvernement d'Edouard Philippe.

Et malgré la certitude de voir un député LREM présider l'Assemblée, plutôt que les médiatiques Eric Coquerel ou Alexis Corbière, c'est bien cette pourfendeuse du nucléaire que La France insoumise propose pour le perchoir, en septembre 2018. "On est reconnaissants envers Mathilde", justifie à l'époque Jean-Luc Mélenchon, qui vante ses "questions extraordinaires" adressés aux ministres à l'Assemblée nationale.

Depuis son élection, la discrète mais offensive députée du Val-de-Marne s'est en effet rendue indispensable pour le petit bataillon de La France insoumise, qui multiplie les coups d'éclat dans un hémicycle quadrillé par les macronistes.

"Le buzz, ce n'est pas négatif"

L'ascension parlementaire se poursuit pour la jeune trentenaire, qui devient vice-présidente du groupe LFI en juin 2019. Une récompense, au détriment des autres "insoumis" ? "L'idée, c'était que Jean-Luc Mélenchon ne soit que sur des prises de paroles fortes et pas sur le quotidien. A un moment donné, ce n'était pas ce qui le motivait le plus", replace Alexis Corbière. Au cœur de la machine parlementaire, Mathilde Panot continue de cravacher. "Elle appartient à une génération de députés, comme François Ruffin ou Adrien Quatennens, qui bossent tout le temps", souligne Damien Maudet, ancien assistant parlementaire de François Ruffin devenu député en juin.

"Elle dort peu et arrive à choper une heure de sommeil quand elle peut."

Hadrien Clouet, député LFI

à franceinfo

Pour faire son trou dans un groupe qui veut se faire entendre, Mathilde Panot a sa méthode. Peu d'interviews, beaucoup de réseaux sociaux et de vidéos : la députée francilienne applique mieux que n'importe quel "insoumis" la feuille de route du mouvement pour communiquer. "Le buzz, ce n'est pas négatif. C'est fait exprès. Les images aident à attraper les esprits", défend-elle auprès de LCP, en décembre 2020. Après avoir été qualifiée de "poissonnière" par un parlementaire LREM à l'Assemblée, en février 2021, elle tourne cette remarque sexiste en dérision en partant à la rencontre d'une véritable poissonnière, dans le Morbihan. La "journée entre poissonnières" à l'initiative de la députée est évidemment relayée sur YouTube.

"Une vision très jacobine"

Une nouvelle étape se profile en octobre 2021, quand Jean-Luc Mélenchon lâche les rênes du groupe parlementaire pour se consacrer à 100% à la campagne présidentielle. Mathilde Panot prend le relais et devient, à 32 ans, la plus jeune présidente d'un groupe politique de l'histoire de l'Assemblée nationale. "Elle a les qualités pour ça : elle sait faire de l'action utile à la population et possède la formation argumentaire, avec une ligne marxiste-républicaine. Et c'est son boulot de gérer des problèmes", loue Hadrien Clouet. "Jean-Luc Mélenchon avait une autorité naturelle sur le groupe, mais elle, elle s'impose comme le porte-parole très structuré de notre collectif", confirme Alexis Corbière.

"Structuré" : le mot revient aussi chez les partenaires de gauche avec qui LFI s'est alliée au sein de la Nupes, au printemps. "On sent que c'est quelqu'un qui a bossé", appuie Christophe Clergeau, qui gérait pour le Parti socialiste les négociations sur le programme de l'alliance électorale. "Elle a une colonne vertébrale idéologique, une bonne connaissance des dossiers et une capacité de travail certaine", reconnaît-il. Avec un bémol : "Elle a une vision très parlementaire et très jacobine de l'action publique, avec de l'Etat partout. Au fond, il lui manque cette prise en compte de la mise en œuvre des décisions."

Cela ne l'empêche pas d'être réélue dans le Val-de-Marne en juin, avec 67% des voix. Et de prolonger, dans la foulée, à la présidence du groupe parlementaire de La France insoumise. Désormais, avec le passage du groupe LFI de 17 à 75 députés, Mathilde Panot a acquis un nouveau statut. La cheville ouvrière du commando mené par Jean-Luc Mélenchon est devenue "générale d'une armée militante", illustre le jeune député Louis Boyard.

Seule, au premier rang des "insoumis" ?

"La générale" a une mission pour ce quinquennat : faire de la Nupes et de LFI en particulier la première force d'opposition au camp d'Emmanuel Macron, face aux parlementaires du Rassemblement national. Pour cela, elle a "imprimé un style" auprès de ses troupes, dixit Alexis Corbière. "Après avoir écouté tout le monde, elle a le rôle particulier, en dernier ressort, de trancher. Elle sait le faire, avec un excellent dosage entre fermeté et empathie", salue Arnaud Le Gall. Louis Boyard embraye : "Elle ne vous ment pas et ne passe pas par quatre chemins."

"Quand elle vous dit non, c'est non. Mais si on arrive à la convaincre, elle change d'avis. Elle n'a pas d'ego."

Louis Boyard, député LFI

à franceinfo

"Pas d'ego", selon ses soutiens, mais "une image de sauvage, de harpie" auprès de ses détracteurs, comme elle l'a confié à Libération, début août. "Mais tant mieux s'ils ont un peu peur de moi. Ils tourneront peut-être sept fois leur langue dans leur bouche avant de nous injurier ou de nous dénigrer. Et nous, on ne laissera rien passer", renchérit-elle. Cela passe notamment par une "marche contre la vie chère" prévue début octobre, pour mener la vie dure à Emmanuel Macron. "Parfois, il faut marquer la conflictualité et parfois, on est rusés et on tente de les asticoter. En général, Mathilde est plutôt sur les positions politiques qui créent de la conflictualité", appuie Antoine Léaument.

Députée, vice-présidente de groupe puis présidente de groupe… Depuis cinq ans, Mathilde Panot n'a pas connu de heurts dans son ascension au sein de l'opposition. "Vu son âge et son talent, anticipe Alexis Corbière, elle va continuer à être au premier plan, c'est une évidence." Seule ? A LFI, où parler des ambitions personnelles est difficilement compatible avec le dévouement pour le collectif, on reste très prudent. Surtout que "Jean-Luc Mélenchon n'est pas mort", rappelle Antoine Léaument. Toutefois, "il y a un sujet qui se pose, car il ne souhaite pas être candidat à une quatrième élection présidentielle". Mais aux AmFis, où se réunissent les "insoumis" du 25 au 28 août, c'est bien Jean-Luc Mélenchon, et non Mathilde Panot, qui conclura la grand-messe estivale de sa famille politique.

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