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Présidentielle 2022 : face à Eric Zemmour, le numéro d'équilibriste de Marine Le Pen

Contrer ou ménager ? Le Rassemblement national et sa candidate peinent à trouver la stratégie adéquate vis-à-vis du polémiste qui ne cesse de grimper dans les sondages et occupe l'espace médiatique alors qu'il n'est pas encore candidat. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, lors d'une conférence de presse, le 28 septembre 2021 à Paris.  (MAXPPP)

C'est dit sans agacement, mais sans amusement non plus. "On ne va quand même pas se déshabiller place de la Concorde pour que l'on parle de nous !", s'écrie Wallerand de Saint-Just. Le trésorier du Rassemblement national reconnaît volontiers qu'en ce moment, Marine Le Pen "n'est pas très audible dans le bruit médiatique". Ce n'est pas tout à fait exact. La candidate du RN est attendue et sollicitée par les médias. Mais pour être interrogée sur un seul point, ou plutôt un seul homme : Eric Zemmour. Officiellement, les pontes du RN affichent leur "sérénité" et leur expérience de vieux routiers de la politique lorsqu'on les interroge sur celui qu'ils qualifient de "phénomène".

"On n'est pas du tout dans le stress et obsédés par Zemmour ! J'ai vu trop de choses, je vous rappelle que les 'gilets jaunes' étaient testés à 13% dans les sondages pour les européennes", tente de convaincre l'eurodéputé Jean-Lin Lacapelle. Les sondages. Le mot est lâché. C'est par eux que la tempête Zemmour s'est levée. Sans même être encore candidat, le polémiste d'extrême droite a connu une envolée spectaculaire en un mois. S'il faut répéter, à six mois de la présidentielle, qu'ils ne disent rien de ce qui se produira au premier tour, ils influencent néanmoins les stratégies politiques. "Jamais les sondages n'ont eu autant d'influence politique qu'au moment où ils ont le moins de réalité", soulignait sur Public Sénat le politologue Jérôme Sainte-Marie. 

"On ne s'énerve pas, mais on s'agace un peu"

C'est d'autant plus vrai au Rassemblement national qu'on ne sait par quel bout prendre l'éditorialiste. Le ménager alors qu'il "répète que Marine Le Pen ne peut gagner, que voter pour elle, c'est voter Macron, et qu'elle est nulle en débat", s'étranglerait presque Julien Odoul, porte-parole du RN ? Ou bien l'attaquer, au risque de froisser les électeurs frontistes qui l'apprécient et le suivent de longue date pour ses positions proches de celles du parti sur les questions identitaires, de sécurité et d'immigration ? L'équation est compliquée, voire insoluble, comme le résume, sans le vouloir, l'eurodéputé Jean-Paul Garraud.

"Personne n'a rien à gagner si on se livre bataille entre nous, mais il n'est pas question de ne pas dire les choses non plus."

Jean-Paul Garraud, eurodéputé RN

à franceinfo

Les leaders du RN n'ont donc pas vraiment tranché et pratiquent les deux stratégies, un brin excédés des performances du polémiste. "Zemmour s'approprie politiquement notre terrain, certes il en parlait à la télévision, mais il veut maintenant en faire un résultat politique pour lui, lâche Jean-Paul Garraud. On ne s'énerve pas mais on s'agace un peu." Certains tentent de se rassurer en ressortant le vieil argument du parti selon lequel les électeurs du RN préfèrent l'original à la copie. Mais d'autres en doutent. "Préférer l'original à la copie, je ne sais pas si c'est vrai, les gens vont aussi être séduits par ce phénomène nouveau", met en garde Wallerand de Saint-Just. 

Quoi qu'il en soit, l'original et la copie appartiennent au même camp, répètent à l'envi les cadres du RN : le camp du national. "Je pense qu'Eric Zemmour fait partie de ceux qui croient en la France (...) Je ne le traiterai jamais comme un adversaire. Je pense qu'il devrait réserver ses attaques à Emmanuel Macron", soulignait, par exemple, Marine Le Pen, sur TF1, le 12 septembre. Mais, voilà, chez Eric Zemmour, il n'est pas question de faire ami-ami avec le RN et d'épargner la candidate. Et le polémiste sait appuyer là où cela fait mal. "Marine Le Pen a des réflexes de femme de gauche", lançait-il encore sur Europe 1, le 26 septembre, tout en martelant que "tout le monde a compris au RN qu'elle ne gagnera jamais !"

Face aux piques du camp Zemmour, la contre-attaque a été lente à se mettre en place, avec un arrière-parfum de cour de récré.

"On a toujours dit qu'il ne fallait pas diviser le camp national. Or, c'est lui qui, dans son expression, l'a divisé, c'est lui qui a commencé."

Jean-Lin Lacapelle, eurodéputé RN

à franceinfo

L'hypothétique candidat est d'abord accusé de ne pas jouer franc jeu. "Il entretient l'emballement médiatique. Plus on parle de lui, plus il montera [dans les sondages]. Nous, on a une candidate déclarée, il ne joue pas les règles du jeu et ça me gêne", se plaint Jean-Paul Garraud. "Eric, maintenant, il faut que tu sois candidat", a d'ailleurs demandé Marine Le Pen, jeudi. 

Le terrain des idées

L'ex-star de CNews est surtout pointée du doigt pour sa supposée déconnexion avec le terrain. "Marine Le Pen, elle, fait des déplacements et va voir les gens", souligne Laurent Jacobelli. Et lorsqu'on fait remarquer au président du groupe RN de la région Grand-Est que l'ancien journaliste multiplie lui aussi les rencontres avec les Français à travers la promotion de son livre, ce dernier s'agace. "Mais qu'est-ce que vous appelez le terrain ? Aller dans une salle en centre-ville avec une entrée payante, c'est pas le terrain ! Si c'est pour parler à des gens très urbains qui viennent voir des conférences, il y a un côté entre-soi qui n'est pas notre façon de faire !" Et Jean-Paul Garraud de moquer : "Quand il ira discuter avec des agriculteurs, je ne sais pas s'il sera autant à l'aise !"

L'argument de la déconnexion n'a visiblement pas assez fait mouche pour stopper la dynamique du polémiste. Les leaders du RN ont donc dû se résoudre à se placer sur le terrain des idées pour marquer leurs différences avec Eric Zemmour. "Je ne vois pas bien la plus-value qu'il apporte sur le sujet de l'immigration", a ainsi ironisé Marine Le Pen, jeudi, dans le Puy-de-Dôme, tout en glissant qu'elle ne reprenait pas à son compte ses provocations

Jordan Bardella avait quelque temps auparavant lancé la charge sur la question des femmes et dénoncé "la brutalité" du débatteur sur le sujet.

La fin de "la paix des braves" ?

Pas sûr que ce soit la bonne stratégie, à voir le pourcentage élevé d'électeurs RN qui pourraient voter Zemmour. Selon un sondage Harris Interactive qui donnait le polémiste à 17% des intentions de vote au premier tour, 30% des électeurs de Marine Le Pen se tourneraient vers lui. "J'ai extrêmement mal accueilli la levée de boucliers de personnalités du RN face à la montée de Zemmour, raconte Sébastien, 34 ans, sympathisant du RN. Le fait de l'attaquer frontalement alors qu'il a été un relais du RN, cela me gêne beaucoup". Depuis ces récentes sorties, le jeune Francilien a fait son choix : pour la présidentielle, il votera Zemmour, s'il est candidat. 

Il n'y a pas que les électeurs du RN qui se tournent vers Zemmour. De nombreux anciens cadres locaux ont aussi rejoint le polémiste, à l'image d'Arnaud Humbert, ex-délégué départemental des Deux-Sèvres qui a démissionné en juin. "Le RN a opté pour un discours consensuel qui lui a fait perdre des électeurs sans en gagner de nouveaux, c'est la stratégie de l'échec". Abordé par les équipes de l'ancien journaliste du Figaro, il a depuis monté le site des amis d'Eric Zemmour et structure les futurs réseaux de campagne en Nouvelle-Aquitaine. "Une grosse partie de l'électorat du RN se retrouvera plus facilement derrière la ligne claire de Zemmour plutôt que dans le discours lissé et politiquement correct de Marine Le Pen", veut-il croire. 

Face à ces défections, les pontes du RN usent des mêmes éléments de langage : ce sont des aigris qui n'ont pas supporté de ne pas être reconduits aux dernières élections. "Ce sont des opportunistes sans aucune colonne vertébrale", tacle Julien Odoul. "Franchement, je dis bon courage à Zemmour avec eux", poursuit Laurent Jacobelli. Bref, le temps de l'apaisement semble loin derrière. "Je ne souhaiterais pas que cela s'envenime, je suis pour la paix des braves", s'inquiète Bruno Gollnisch.

Le vieux compagnon de route de Jean-Marie Le Pen doit pourtant justifier la dernière sortie du Menhir qui, dans une interview au Mondeexpliquait qu'il soutiendrait Eric Zemmour s'il était "mieux placé" que sa fille. Sans surprise, la déclaration a fait polémique. Mais c'est oublier que Marine Le Pen disait la même chose en 2018, quatre ans avant le premier tour. "Si quelqu'un d'autre que moi est mieux placé, alors je le soutiendrai car je me bats non pas pour moi-même mais pour nos idées", déclarait alors la dirigeante du RN à L'Express. Une phrase qu'on ne va pas manquer de lui ressortir en ce début de campagne. 

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