"Chasse à l'homme", "morale", "France fière"... Pourquoi les propos d'Emmanuel Macron sur l'affaire Depardieu sont vivement critiqués
"Un président ne devrait pas dire ça." C'est l'un des commentaires, signé par Emmanuelle Dancourt, cofondatrice de #MeTooMedia, qui a accueilli les déclarations d'Emmanuel Macron sur Gérard Depardieu. Le chef de l'Etat était interrogé, mercredi 20 décembre, dans "C à vous", sur France 5, sur le possible retrait de la Légion d'honneur de l'acteur, mis en examen depuis trois ans pour viols, visé par plusieurs accusations de violences sexuelles et filmé en train de tenir des propos misogynes et obscènes lors d'un voyage en Corée du Nord, en 2018.
Le président de la République a pris fait et cause pour Gérard Depardieu. "Il y a une chose dans laquelle vous ne me verrez jamais, ce sont les chasses à l'homme. Je déteste ça", a-t-il notamment lancé, assurant que l'acteur rendait "fière la France". Ces déclarations ont été vivement critiquées. Voici pourquoi.
Parce que le président n'a pas eu un mot d'empathie pour les plaignantes
Outre la multiplication de remarques déplacées et dégradantes à l'égard des femmes, et même d'une mineure, comme l'a révélé le documentaire de "Complément d'enquête" diffusé le 7 décembre sur France 2, Gérard Depardieu est mis en examen depuis décembre 2020 pour viols et agressions sexuelles, après une plainte de la comédienne Charlotte Arnould, pour des faits remontant à 2018, au domicile parisien de l'acteur. Deux autres plaintes ont été déposées depuis, l'une par l'actrice Hélène Darras, pour des faits d'agression sexuelle remontant à 2007, l'autre par la journaliste et écrivaine espagnole Ruth Baza pour des faits de viol remontant à 1995. Une quinzaine de femmes, actrices, figurantes, maquilleuses ou encore techniciennes ont par ailleurs accusé publiquement la star de cinéma de violences sexistes et sexuelles. L'acteur nie ces accusations.
Interrogé mercredi soir sur ce sujet, Emmanuel Macron n'a pas mentionné ces plaintes ni ces témoignages. "Peut-être qu'il y a des victimes, et je les respecte au combien, et je veux qu'elles puissent défendre leurs droits", a-t-il simplement déclaré, avant d'insister longuement sur l'importance de "la présomption d'innocence". "On ne peut pas commencer à dire que n'importe qui sera au tribunal public", a-t-il fait valoir, se disant "grand admirateur de Gérard Depardieu (...) un immense acteur" qui "rend fière la France".
"Juste... C'est super dur", a réagi Charlotte Arnould sur son compte Instagram. "Il a parlé de Gérard Depardieu, de son talent et de la présomption d'innocence. Moi, je vais vous parler des 14 femmes agressées, des femmes humiliées, des femmes bouleversées par les images qu'elles ont vues, de toutes ces femmes qui voient à travers Gérard Depardieu ce que peut être la violence, la domination, le mépris", a pour sa part déclaré l'ancien président François Hollande, jeudi sur France Inter.
Même analyse du côté de la Fondation des femmes. "Il aurait pu dire que c'est insupportable de parler comme cela des femmes, que l'égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans la Constitution. Il aurait pu avoir un message pour les victimes de Gérard Depardieu et les femmes en général. Il ne l'a pas fait", a observé la présidente de la fondation, Anne-Cécile Mailfert, auprès de l'AFP.
Parce que sa réaction sur la Légion d'honneur d'Harvey Weinstein avait été différente
Emmanuel Macron a désavoué sa propre ministre de la Culture au sujet d'un possible retrait de la Légion d'honneur de Gérard Depardieu. Alors que Rima Abdul Malak a annoncé le 15 décembre, également dans l'émission "C à vous", qu'une "procédure disciplinaire" allait être engagée par la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur à l'encontre de la star de cinéma, décorée en 1996, le président de la République a affirmé qu'il n'entendait pas donner son aval à cette décision. La Légion d'honneur, dont il est le grand maître de l'ordre, "n'est pas là pour faire la morale", a jugé le chef de l'Etat, estimant que sa ministre s'était "un peu trop" avancée.
Nonobstant le fait qu'"une bonne moralité" figure bien parmi les "conditions préalables" à l'attribution de la distinction, Alice Augustin, rédactrice en chef adjointe du magazine Elle, a rappelé jeudi sur franceinfo "que l'on peut retirer la Légion d'honneur en cas d'acte contraire à l'honneur ou de nature à nuire aux intérêts de la France". Surtout, dans une lettre ouverte de la rédaction publiée par le magazine féminin, les journalistes rappellent qu'Emmanuel Macron avait "engagé les démarches pour déchoir Harvey Weinstein de sa Légion d'honneur dès octobre 2017, avant même toute décision de justice [aux Etats-Unis]".
"Deux poids deux mesures, l'art de dire tout à la fois et son contraire, comme une nouvelle violence faite aujourd’hui aux femmes par Emmanuel Macron."
La rédaction de "Elle"dans une lettre ouverte au chef de l'Etat
Le producteur de cinéma américain, condamné depuis à deux reprises pour viols et agressions sexuelles, avait été décoré en 2012 par Nicolas Sarkozy. En 2019, deux ans après les démarches entamées par Emmanuel Macron, la fameuse distinction ne lui avait cependant toujours pas été retirée, comme l'avait révélé Libération. Contacté par franceinfo pour savoir si ce retrait a finalement abouti, l'Elysée nous a renvoyés vendredi après-midi vers la grande chancellerie de la Légion d'honneur, qui n'avait pas encore donné suite à nos sollicitations à l'heure d'écrire ces lignes.
Parce que cette prise de position est vécue comme une "trahison" de la grande cause nationale
"Je suis inattaquable sur la lutte contre (...) les violences faites aux femmes et pour l'égalité femmes hommes, ce sont les deux grandes causes de mes deux quinquennats", a assuré Emmanuel Macron dans "C à vous". C'est précisément à ce titre que sa défense de Gérard Depardieu et sa formule de "chasse à l'homme" constituent, selon le collectif Nous toutes, "un énorme recul dans les prises de position politiques contre les violences commises contre les femmes". Louise Delavier, de l'association En avant toute(s), dénonce auprès de l'AFP un "en même temps" du chef de l'Etat, "qui n'est pas heureux sur ces sujets-là".
"Faire tant de communication pour parler de la défense des femmes et de leurs droits, et ensuite aller outrageusement défendre quelqu'un comme Depardieu, cela créé de la dissonance cognitive."
Louise Delavier, de l'association En avant toute(s)à l'AFP
La militante féministe Andréa Bescond a de son côté interpellé le président de la République, en le tutoyant dans un long post publié sur Instagram : "Tu as dit être pleinement engagé dans la lutte contre les violences, mec, ça ne se fait pas que dans l'intitulé de tes quinquennats, tu es au courant ?" Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes, ne cache pas non plus sa désillusion : avec "le président, c'est un pas en avant, cinq pas en arrière", déclare-t-elle auprès de l'AFP.
"Je ne peux pas imaginer qu'un président de la République, et en particulier Emmanuel Macron, ne choisisse pas ses mots", relève sur franceinfo Michelle Dayan, avocate et présidente de l'association Lawyers For Women (L4W). "Chasse à l'homme... Il y a surtout une chasse à la femme, en tout cas dans les propos de Gérard Depardieu, et pas une chasse à l'homme", poursuit-elle, soulignant que les violences faites aux femmes "ne commencent pas dans les commissariats" ou "dans les tribunaux correctionnels" mais "dans l'image qu'on a de la femme".
Pour les journalistes du magazine Elle, le chef de l'Etat a "asséné" un "coup symbolique" à la "cause des femmes" et "dévoilé son vrai visage : celui d'un homme qui se range au côté des prédateurs" et qui fait "croire à son engagement auprès des femmes pour mieux les trahir".
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