"Complément d'enquête" sur Gérard Depardieu : constat d'huissier à l'appui, France Télévisions confirme que les mots prononcés par l'acteur sexualisent une fillette à cheval
"Il y a parfois des emballements sur des propos tenus, je me méfie du contexte, j'ai compris qu'il y avait des polémiques (...) sur les mots qui étaient en décalage avec les images." C'est ainsi qu'Emmanuel Macron a notamment commenté un extrait de "Complément d'enquête" sur Gérard Depardieu, au centre de l'attention depuis la diffusion de l'émission, le 7 décembre sur France 2. On y voit et on y entend l'acteur tenir des propos obscènes à l'égard d'une fillette dans un haras, en Corée du Nord, en 2018. Une enfant d'une dizaine d'années qu'il appelle "fifille". Dans ce documentaire, le comédien multiplie les remarques déplacées et dégradantes à l'égard des femmes.
En abordant ces "polémiques" autour de cette séquence, Emmanuel Macron fait notamment référence à une tribune de la famille du comédien dans Le Journal du dimanche, publiée le 17 décembre. Ses proches, dont sa fille Julie Depardieu, y affirment que "Complément d'enquête" "réalise une véritable mise en scène, procédant par plans de coupe dont on sait qu'ils sont nécessairement suspects puisqu'on peut les monter comme on le veut". Selon Julie Depardieu et sa famille, Gérard Depardieu "appelle tout le monde 'fifille' : les femmes, les hommes, les animaux. L'objectif était-il de faire passer Gérard Depardieu pour un pédophile ?", écrivent-ils. Et de citer Yann Moix, qui accompagnait Gérard Depardieu en Corée du Nord, selon lequel "ce montage est frauduleux" car "ces propos ne désignaient pas une petite fille".
Plusieurs caméras filmaient dans le haras
Au retour de ce voyage, le réalisateur et écrivain en a tiré un documentaire, qui n'a jamais été ni vendu ni diffusé. Dans une interview à TV Magazine, publiée jeudi 21 décembre, Yann Moix avance en effet être "sûr à 99% que Gérard a tenu ces propos sur une cavalière qui n'était pas la petite fille. Gérard est incapable de tenir des propos comme ça sur une enfant". Une version déjà relayée mardi 19 décembre par un chroniqueur de Cyril Hanouna sur le plateau de "TPMP".
Face à ces allégations, un huissier de justice, commissaire de justice et audiencier au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, mandaté par France Télévisions, a établi un constat après avoir visionné les images du tournage en Corée utilisées dans cet extrait. Ces rushs sont notamment issus de deux caméras positionnées dans le haras. Sur ces images, on distingue une troisième caméra : il s'agit d'un caméscope tenu par un participant au voyage. Il apparaît aux côtés de la star de cinéma.
"Habituellement, nous ne montrons nos rushs à personne, pas même à la justice, car cela relève du secret des sources. Mais dans ce contexte d'avalanche de fake news dont l'émission 'Complément d'enquête' est victime, nous avons décidé de les montrer exceptionnellement à un huissier de justice pour attester de la rigueur de notre travail", confie Tristan Waleckx, le présentateur de l'émission.
La première caméra de l'équipe de tournage filme principalement Gérard Depardieu en plan serré ainsi que les personnes présentes sur le manège, la seconde enregistre les images des cavaliers en plan large. Ces différents angles de prise de vue permettent d'attester que c'est bien au passage de la fillette sur son poney que Gérard Depardieu tient des propos obscènes. Dans son procès-verbal, l'huissier constate que tous les propos contestés ont bien été tenus dans le haras, à ce moment-là et, surtout, il indique : "Au cours de cette séquence, je constate qu'à l'exception de la jeune fille, seuls des cavaliers d'apparence masculine entrent en premier plan des caméras."
Gérard Depardieu tient des propos obscènes lors de deux passages de l'enfant devant lui. Lors d'un premier tour effectué par la très jeune cavalière, l'acteur s'exclame : "Oh c'est bien madame. Si jamais il galope, elle jouit", glisse-t-il à son voisin qui tient le caméscope avant d'ajouter : "S'il la fait galoper, elle mouille, elle jouit." L'huissier de justice conclut son procès-verbal en relevant : "Sur la caméra 2, on voit la jeune fille sur un équidé guidé par un homme. (…) Monsieur DEPARDIEU dit 'C'est bien ma fifille, continue. Tu vois, elle se gratte, là.' (…) Monsieur DEPARDIEU dit 'Oh, c'est bien'. La jeune fille tourne la tête vers la droite. Monsieur DEPARDIEU prononce une onomatopée gutturale."
"Une fausse polémique pour éviter de parler du reste"
Selon Damien Fleurette, réalisateur du documentaire Gérard Depardieu, la chute de l'ogre, "c'est la seule fois en 18 heures de rushs où nous avons noté que le mot 'fifille' était prononcé'. Il n'y a aucune ambiguïté sur le fait qu'il sexualise cette fillette."
Selon Anthony Dufour, producteur chez Hikari, l'agence de presse propriétaire des images tournées en Corée du Nord, Yann Moix, lui, avait "fait disparaître" la fillette de son projet de film. "Il a fait un choix au montage pour protéger Gérard Depardieu, expose-t-il. Le monteur du film, qui était aussi présent lors du voyage, se souvient parfaitement que Yann Moix a trouvé la scène trop trash. Il ne voulait pas mettre les plans avec la fillette. Elle n'existe pas du tout dans son documentaire."
"Ce qui est terrible, c'est qu'on va essayer de créer une fausse polémique pour éviter de parler du reste, poursuit Anthony Dufour. On parle de trois secondes d'extrait pour détourner l'attention." "Il y a d'innombrables passages problématiques tout aussi graves et aussi choquants dans notre documentaire", relève le réalisateur, soulignant qu'il est "difficile pour les femmes qui témoignent dans cette enquête d'entendre que l'on remet en cause l'honnêteté du travail réalisé."
Aucune ambiguïté, selon France Télévisions
Dans un communiqué de presse, France Télévisions précise : "Le reportage de 'Complément d'enquête' sur Gérard Depardieu a été réalisé dans le plus grand respect des règles déontologiques (...) et il n'y a aucun doute et aucune ambiguïté sur le fait que c'est bien la jeune fille à l'image qui est ciblée par les propos de Gérard Depardieu."
Gérard Depardieu est mis en examen depuis 2020 pour viols, après une plainte de la comédienne Charlotte Arnould. Deux autres plaintes ont été déposées depuis, l'une par l'actrice Hélène Darras, pour des faits d'agression sexuelle remontant à 2007, l'autre par la journaliste et écrivaine espagnole Ruth Baza pour des faits de viol remontant à 1995. L'acteur nie ces accusations.
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