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Pourquoi l'attribution du grade de lieutenant-colonel à Alexandre Benalla fait polémique

"J'ai pris cette décision en mon âme et conscience et je l'assume. Mais je comprends la colère qu'elle a pu susciter" a déclaré le patron des gendarmes, Richard Lizurey, devant le commission d'enquête du Sénat. 

Article rédigé par franceinfo - Juliette Campion
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Alexandre Benalla aux côtés d'Emmanuel Macron à l'occasion d'un dîner organisé par le Conseil français de la foi musulmane (CFCM) pour rompre le jeûne du Ramadan à Paris, le 20 juin 2017. (BENJAMIN CREMEL / AFP)

Une promotion fulgurante qui interroge. Parmi les nombreuses révélations qui concernent Alexandre Benalla, celle de son grade de lieutenant-colonel, qui lui a été attribué à l'âge de 26 ans, suscite des remous. L'ancien chargé de mission d'Emmanuel Macron s'est retrouvé nommé en 2017 à cet échelon très prestigieux, souvent octroyé en fin de carrière, alors qu'il n'était qu'un simple brigadier-chef de la réserve opérationnelle de la gendarmerie.

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Plusieurs députés de l'opposition ont dénoncé une ascension qu'ils jugent démesurée voire suspecte. Est-il si révoltant que l'ancien garde du corps du chef de l'État ait été nommé lieutenant-colonel de gendarmerie ? Éléments de réponse. 

Quand Alexandre Benalla a-t-il obtenu ce grade ?

Radié, à sa demande, de la réserve opérationnelle en 2017, Alexandre Benella a ensuite été intégré à un "vivier peu connu" et "constitué de 74 personnes recrutées pour leurs compétences particulières", précise une note interne de la gendarmerie, dévoilée par Le Parisien. C'est au moment où il intègre cette nouvelle unité qu'il a été nommé lieutenant-colonel, un grade qui "lui a été conféré au titre de son niveau d'expertise", justifie encore le document.

Lors de son audition devant la commission d'enquête du Sénat, le 25 juillet, le directeur général de la gendarmerie nationale est revenu sur sa décision d'octroyer ce grade à celui qui était chargé de "l'organisation de la sécurité des déplacements du président". "Il me paraissait intéressant d'avoir un œil extérieur, je considérais que compte tenu de son expérience en matière de protection des personnalités, il était un personnel ressource utile", a expliqué le général Richard Lizurey. Il a également indiqué que le chargé de mission, qui a rejoint Emmanuel Macron en 2016, lui avait donné "satisfaction" lors de son engagement dans la réserve opérationnelle de 2009 à 2015.

Pourquoi cette attribution est-elle discutable ? 

Au sein de la gendarmerie et dans plusieurs syndicats de police, la promotion éclair d'Alexandre Benalla a été vivement critiquée. Sur franceinfo, Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, a regretté que la direction de la réserve de la gendarmerie "donne à des gens – sans forcément beaucoup d'expérience un titre de lieutenant-colonel".

On sait tous ce que ce grade signifie, même s'il n'est qu'honorifique. Il pouvait s'en prévaloir, comme certains le font sur la voie publique lors de contrôles

Jean-Marc Bailleul

à franceinfo

Rarement atteint avant 40 ans, l'attribution du titre de lieutenant-colonel à un jeune brigadier-chef laisse aussi perplexe un ancien gendarme du GIGN : "C'est comme passer le bac en maternelle", explique-t-il, sous couvert d'anonymat, à franceinfo. Et d'énumérer les différents échelons d'un parcours militaire classique : "Vous pouvez d'abord être caporal chef, puis maréchal des logis chef, adjudant, adjudant chef, major, sous-lieutenant, lieutenant, capitaine, commandant, lieutenant-colonel" détaille-t-il.

Alexandre Benalla a donc fait un bond de neuf grades.

Un ancien membre du GIGN

à franceinfo

"Le cas d'Alexandre Benalla est assez déroutant et surtout, il n'y a pas de cas similaire à ma connaissance", conclut ce retraité de l'unité d'élite de la gendarmerie nationale. Pour Pierre Servent, spécialiste des questions de défense et de stratégie et lui-même réserviste, le cursus universitaire d'Alexandre Benalla tranche avec ce qui est généralement attendu dans cette unité "très exigeante". Pour intégrer ce groupe, il faut "apporter une expertise de très haut niveau, explique-t-il. Il faut par exemple être un grand spécialiste des hydrocarbures, un ingénieur de haut niveau ou une référence en informatique." Titulaire d'un master 1 de droit, sans avoir validé son master 2 comme l'affirme La Montagne, la trajectoire d'Alexandre Benalla se distingue donc de ce genre de carrière.

Se retrouver dans cette unité très élitiste avec un background universitaire aussi léger et une expérience professionnelle qui semble l'être tout autant, c'est quand même étrange.

Pierre Servent

à franceinfo

Ce grade lui a-t-il permis d'augmenter son salaire ?

Contactée par franceinfo, la gendarmerie nationale affirme qu'Alexandre Benalla a décroché cette promotion pour obtenir une compensation salariale. "Pour les gens recrutés sur une mission de courte durée, on leur attribue un grade qui correspond à une rémunération qu'ils ont dans le civil. C'est le cas de monsieur Benalla", explique-t-on.

Mais cette hypothèse ne convainc pas Pierre Servent car "les rémunérations de l'armée sont extrêmement faibles". "Les profils des personnes engagées au sein de cette unité d'experts sont si bien rémunérés dans leur profession qu'ils pourraient même se satisfaire de ne pas être soldés. Ce n'est pas ça qui les attirent", assure-t-il. En tout état de cause, le salaire d'Alexandre Benalla s'élevait à environ 6 000 euros net par mois, selon un document gouvernemental transmis à l'AFP.

Qui a décidé de lui attribuer ? 

Selon une source "ayant eu connaissance du dossier" et relayée par Mediapart, cette promotion aurait été octroyée alors qu'un "avis défavorable avait été émis par le service des réserves à la direction générale". Selon cette source, un "ordre venu de très haut" aurait finalement contraint la direction de la gendarmerie à accéder à cette demande formulée par Alexandre Benalla lui-même. Et "en état-major, nous sommes habitués à faire exécuter les ordres, surtout quand ça vient de l'Élysée ou de Beauvau", commente ce même interlocuteur.

Devant la commission d'enquête, le directeur de la gendarmerie nationale, Richard Lizurey, a démenti une quelconque intervention extérieure vis-à-vis de cette nomination. "À aucun moment, en aucune circonstance, personne ne m'a contacté et je n'ai contacté personne à l'Élysée. C'est une décision personnelle que j'assume", a-t-il assuré.

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