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Affaires, homme de média et vie en politique : qui est Jean-Michel Baylet ?

Mis en cause dans une affaire de violences datant de 2002, le ministre de l'Aménagement du territoire est un habitué des polémiques, qu'il attribue souvent à ses adversaires. 

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Jean-Michel Baylet pose dans son bureau de ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collecitivités territoriales, le 10 mars 2016, à Paris. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

"Quand on veut monter sur le cocotier, il faut avoir les fesses propres." Si Jean-Michel Baylet s'est servi de ce proverbe, un jour, pour discréditer un responsable politique lui donnant des leçons d'exemplarité, il pourrait aussi aisément le faire sien. Après l'arrivée de François Hollande à l'Elysée, en 2012, le président du Parti radical de gauche (PRG) a dû patienter près de quatre ans avant de finalement grimper dans l'équipe gouvernementale, le temps d'être blanchi dans deux enquêtes de favoritisme et de frais de bouche

Le 11 février, à 69 ans, il a obtenu le portefeuille le plus prestigieux de sa longue carrière, devenant ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales. L'état de grâce a été de courte durée. Moins de deux mois plus tard, le site Buzzfeed déterrait une plainte pour violences déposée contre lui, en 2002, par son assistante parlementaire de l'époque. Le voilà rattrapé par les affaires judiciaires, qui lui collent à la peau.

"Vous avez choisi le silence face à ces informations qui dérangent", a lancé la députée écologiste Isabelle Attard au ministre, le 11 octobre, à l'Assemblée nationale. Certes, la plainte n'a pas eu de suites judiciaires, mais pour une étrange raison : "Vous avez acheté le silence de votre victime", a accusé l'élue. Jeudi 20 octobre, Jean-Michel Baylet a fait savoir qu'il allait porter plainte pour diffamation après ces attaques contenant "des propos mensongers" et "un témoignage anonyme des plus douteux". Pas de quoi, donc, le faire tomber de son cocotier.

"Un vrai sens politique"

A six mois de la présidentielle, et malgré une pétition lancée par Isabelle Attard, les chances de voir François Hollande se priver de Jean-Michel Baylet sont faibles. Mis à part le PS, le PRG a été le seul parti loyal aux socialistes sur la durée du mandat, permettant d'assurer une majorité de gauche à l'Assemblée nationale grâce à la vingtaine de députés du groupe radical. Conscient de son pouvoir, Jean-Michel Baylet a, plusieurs fois, fait peser la menace d'un retrait de ses troupes du gouvernement (Anne-Marie Escoffier, Sylvia Pinel, Annick Girardin, Thierry Braillard), obtenant ainsi des arbitrages favorables. Il a même espéré, en vain, obtenir un ministère régalien, en lorgnant particulièrement sur la Défense.

Jean-Michel Baylet accompagne Sylvia Pinel, alors ministre de l'Artisanat et candidate aux législatives, lors d'une visite de campagne au marché de Valence-d'Agen (Tarn-et-Garonne), le 26 mai 2012. (PASCAL PAVANI / AFP)

"Jean-Michel est un élu qui a une grosse expérience de terrain, avec un vrai sens politique, une capacité à nouer des alliances et à faire avancer les choses", salue son ancien directeur de campagne lors de la primaire socialiste en 2011, Harold Huwart, interrogé par franceinfo. Les soutiens du ministre louent son "pragmatisme" et son sens du consensus, illustré par l'adoption à la quasi-unanimité de sa loi Montagne mardi.

En se lançant dans la course présidentielle au milieu de cinq ténors socialistes, il y a cinq ans, Jean-Michel Baylet a offert une publicité rare aux idées radicales, prônant une laïcité stricte, une Europe fédérale, la dépénalisation du cannabis, le droit de mourir dans la dignité ou encore le mariage des homosexuels. Malgré un score de 0,64%, le Toulousain a été ovationné en interne. "Au PRG, il a toujours été incontesté, l'opposition n'a jamais dépassé les 25%, souligne Harold Huwart. Il a porté le parti à bout de bras et c'est grâce à lui qu'il existe encore, malgré la bipolarisation."

"Ne se serait-il donné que la peine de naître ?"

Jean-Michel Baylet a baigné dans le radicalisme dès le berceau. Son père, Jean, a été député, conseiller général et maire, avant de se tuer dans un accident de voiture en 1959. Sa mère, Evelyne, a aussitôt récupéré les mandats locaux, devenant la première femme présidente d'un conseil général, en 1970, dans le Tarn-et-Garonne. Ces deux figures ont marqué le Sud-Ouest, au point d'avoir aujourd'hui des rues et des établissements publics à leur nom.

Lorsque le fils se lance en politique, il devient maire de Valence-d'Agen, président du conseil général et député du Tarn-et-Garonne, des mandats que sa mère a pris soin de lui garder au chaud. "Ne se serait-il donné que la peine de naître ?", s'interroge L'Express, en 1984. Quelques mois plus tard, François Mitterrand, ami de la famille, le nomme secrétaire d'Etat auprès du ministre des Relations extérieures.

"Mon père est mort, j'avais 12 ans, et je me suis dit : 'il faut que tu arrives à le remplacer partout'", raconte alors Jean-Michel Baylet. Partout ? Le paternel a aussi laissé derrière lui la présidence de La Dépêche du Midi, reprise avec poigne par sa veuve, puis transmise au fils adoré. Le "fistonné", également désigné par le surnom vache de "veau élevé sous la mère", hérite alors d'un empire médiatique étroitement lié à la politique.

"La Pravda du Midi"

Journal engagé, La Dépêche du Midi est, aujourd'hui encore, fidèle à la ligne partisane du clan Baylet. Les adversaires politiques se plaignent d'y être snobés, ou de voir leurs photos et propos tronqués. Les défaites électorales ou les mises en cause judiciaires de Jean-Michel Baylet n'y sont, bizarrement, guère évoquées. "Son journal, c'est la Pravda du Midi", ironise le sénateur Les Républicains du Tarn-et-Garonne François Bonhomme, opposant notoire à Jean-Michel Baylet, interrogé par franceinfo. "La Dépêche est un journal qui a une histoire et qui a toujours tenu une ligne politique", assume le ministre, sur BFMTV.

Jean-Michel Baylet pose avec un exemplaire de "La Dépêche du Midi", le 30 octobre 2003, à Toulouse (Haute-Garonne). (MAXPPP)

Le mélange des genres vaut toutefois, en 2003, à Jean-Michel Baylet une condamnation à six mois de prison avec sursis et 30 000 euros d'amende dans une affaire d'abus de biens sociaux. Il est conjointement sanctionné avec sa mère et ses sœurs pour avoir fait travailler des employés du journal à des fins privées (ménage à domicile, entretien de voitures et d'un bateau, etc.). Son loyer parisien aurait même été pris en charge par l'entreprise et son appartement toulousain aurait été gratuitement équipé en électroménager en échange de publicités dans le journal, selon le site de Libération.

Actionnaire principal du quatrième groupe de presse quotidienne régionale en France, Jean-Michel Baylet est le ministre le plus riche du gouvernement, avec un patrimoine de plus de 8 millions d'euros. Il a notamment hérité de la villa familiale à Valence-d'Agen, estimée à 1,2 million d'euros, où il entrepose ses cinq voitures de collection et ses deux motos Harley Davidson et Honda.

Un "ogre" face aux "fous"

Son omniprésence politico-médiatique dans son bastion lui vaut une popularité incontestable, mais aussi de nombreuses inimitiés. Parfois surnommé "l'ogre du Tarn-et-Garonne", Jean-Michel Baylet est "habitué à ce que ceux qu'il appelle les 'fous du Tarn-et-Garonne' mènent des cabales contre lui", assure son soutien Harold Huwart. Il en va ainsi de la révélation d'une de ses mises en examen en 2011, en pleine campagne des primaires, que le candidat attribue à l'UMP départementale, qui "ne cesse de chercher par voie judiciaire ce qu'elle n'arrive pas à obtenir par la voie démocratique".

L'homme, amateur de bordeaux et ancien troisième ligne du club de rugby de sa ville, est aussi moqué à Paris, notamment pour ses prises de position sur le cannabis ou pour son accent. "La seule chose capable de l'énerver est le mépris des Parisiens pour les provinciaux, confie Harold Huwart. Il n'accepte pas qu'on se moque de son cher accent, avec l'assurance si détestable des Parisiens."

Malgré les tempêtes, il tient bon, longtemps. Dix-huit ans au Sénat, 23 ans à la mairie, 30 ans à la présidence du conseil général, où il se vante d'avoir boosté la population du Tarn-et-Garonne grâce à un aménagement du territoire "attractif". Puis vient la chute, attendue à droite, mais aussi à gauche.

Des traîtres de tous bords

En 2014, Jean-Michel Baylet échoue aux sénatoriales face à l'UMP François Bonhomme. "On ne se pressait pas beaucoup pour être candidat face à lui", raconte son tombeur, fier d'avoir fait vaciller le "système Baylet" et avec lui un élu qui, dit-il, brillait par son absentéisme au Sénat et au conseil général. Chez les radicaux, on peste contre le Parti socialiste, accusé d'avoir volontairement laissé prospérer les dissidences contre le PRG aux sénatoriales. Une trahison.

Défait, Jean-Michel Baylet abandonne son siège de président du conseil départemental du Tarn-et-Garonne, à Montauban, le 2 avril 2015. (PASCAL PAVANI / AFP)

L'année suivante, les traîtres sont de retour. Alliés dans une opération "Tout sauf Baylet", des élus de droite et des indépendants, pour certains liés au PRG, font tomber Jean-Michel Baylet de la présidence du conseil départemental. Il est remplacé au perchoir par Christian Astruc, l'un de ses anciens proches, "un type que j'avais lancé en politique". C'est la fin de 70 ans de règne quasi ininterrompu de la famille Baylet sur le Tarn-et-Garonne.

Et maintenant ? Fidèle à François Hollande, le ministre ne compte pas se représenter à la primaire à gauche. Au printemps prochain, il ne lui restera plus que son groupe de presse et des mandats locaux"Jean-Michel n'a pas besoin de la politique pour vivre, avance Harold Huwart. Ce n'est pour lui qu'une activité parmi d'autres. En 2011, à l'université d'été du PS à La Rochelle, il m'avait dit 'Qu'est-ce qu'on fait là au milieu des socialistes, alors qu'on pourrait faire du bateau et manger des grillades à l'île de Ré ?'" Le temps est peut-être bientôt venu.

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