Cet article date de plus de neuf ans.

Jean-Noël Guérini, un baron marseillais face aux juges

Le président du conseil général des Bouches-du-Rhône a été relaxé, lundi, dans une affaire de détournement de fonds publics.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le président du conseil général des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël Guérini, lors d'une conférence de presse, le 11 octobre 2013, à Marseille. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Son premier procès se solde par une relaxe. Jugé pour détournement de fonds publics dans une affaire de licenciement abusif, le président du conseil général des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini a été déclaré non coupable des faits qui lui étaient reprochés, lundi 8 décembre, à Marseille. Six mois de prison avec sursis, un an d'inéligibilité et 15 000 euros d'amende avaient été requis à son encontre à l'audience, le 13 octobre.

L'ancien patron du PS local, réélu sénateur le 28 septembre, est toutefois mis en examen, depuis 2011 et 2013, dans deux autres affaires, plus retentissantes mais toujours au stade de l'enquête, pour avoir participé à des marchés publics présumés frauduleux. Le juge le soupçonne d'avoir été "le trait d'union entre le 'milieu' [mafieux] et la 'bonne société', entre le monde économique et la sphère politique". Il est notamment poursuivi pour association de malfaiteurs et corruption passive. Des accusations qu'il rejette.

Kadhafi et "pipi d'alouette"

"Il n'y a dans le dossier que du pipi d'alouette." En septembre 2011, quelques jours avant sa première mise en examen, Jean-Noël Guérini convoque les conseillers généraux socialistes pour leur clamer son "innocence", rapporte Le Monde (article payant). Depuis le Bateau-bleu, siège du CG 13, il accuse son rival de l'UMP Renaud Muselier d'être à l'origine de ses déboires judiciaires et refuse de démissionner.

Sans renoncer à son poste, il se met simplement en retrait pendant l'orage, s'achète un barbecue et cuisine des pavés de viande à ses amis. "L'odeur du grillé avec l'ail et la tomate, c'était que du bonheur", raconte-t-il au Monde, deux mois plus tard, de retour au dernier étage du conseil général, "apaisé, différent".

Figurines de Jean-Paul II, de Gaston Defferre, de Bouddha... Jean-Noël Guérini dans son bureau du conseil général des Bouches-du-Rhône, le 16 septembre 2013, à Marseille. (  MAXPPP)

Sa légèreté et son entêtement au pouvoir agacent certains élus. Michel Pezet, l'un des rares conseillers généraux socialistes à réclamer sa démission, le compare alors au dictateur libyen récemment tué Mouammar "Kadhafi, qui claironnait haut et fort qu'il allait gagner la bataille" en s'accrochant à son trône. "Il va falloir appeler l'ONU ou qu'on nous donne un BHL", scande l'élu frondeur.

Jean-Noël Guérini, lui, réclame que justice soit faite. "Kadhafi, je ne l'aimais pas, mais je maintiens qu'il ne fallait pas le tuer comme ça, rétorque-t-il. Il fallait le juger, peut-être le condamner à mort, mais le juger. Je n'aime pas les exécutions."

Les frères Dupont et le "délit de fraternité"

Dans l'affaire Guérini, le Corse de 63 ans estime avoir déjà été exécuté, présumé coupable depuis des années. Tout serait dans son nom, encombrant, lourd à porter. "Est-ce que vous pensez que, si je m'appelais Dupont, on aurait écrit cette histoire ?", demande, dans Le Monde (payant), celui qui se dit victime d'un "délit de patronyme", en allusion notamment à son frère.

Son frère ? Alexandre Guérini, 57 ans, un entrepreneur qui a fait fortune dans la gestion des déchets dans les Bouches-du-Rhône. "Alex" est mis en examen depuis 2010 dans le cadre de l'attribution douteuse à ses sociétés de contrats de collectivités territoriales. Le même dossier dans lequel Jean-Noël Guérini est soupçonné d'avoir joué les facilitateurs pour son frère. "Si mon frère a fauté, il en répondra devant la justice, dit-il à Libération, début 2011. Pour l'instant, il n'existe pas que je sache de délit de fraternité."

Magouilles dès le berceau

Dans la très pieuse famille Guérini, il y a les frangins, et les ascendants. A commencer par les parents, qui ont menti sur l'année de naissance de Jean-Noël, "pour une histoire d'armée", selon le principal intéressé, dans une confession, en 2011, au Monde. L'aîné Guérini est né dans le village corse de Calenzana en 1950, le jour de Noël (d'où son prénom), et non le 1er janvier 1951, comme indiqué à l'état civil, encore aujourd'hui.

L'entrepreneur Alexandre Guérini arrive au palais de justice de Marseille en vue d'une audition, le 29 avril 2014. (BORIS HORVAT / AFP)

Cinq ans après la naissance de "JNG", la famille déménage au Panier, un quartier corse de Marseille, où un grand-oncle, conseiller général, offre au père Guérini un emploi à l'office HLM. Un boulot pour papa puis un tremplin pour Jean-Noël, propulsé conseiller municipal de Marseille à l'âge de 26 ans, après des études vite abandonnées. Dix ans plus tard, Jean-Noël Guérini devient président de l'organisme HLM où travaillait son père. En 1998, le doublé : il est élu sénateur et président du conseil général des Bouches-du-Rhône.

La technique de l'arrosoir

Après des années de présidence du CG 13, Jean-Noël Guérini se vante, en 2011, d'être à la tête du "premier département investisseur de France et l'un des moins endettés". Ses adversaires, à commencer par Renaud Muselier, l'accusent d'avoir "acheté tout le département" dans une "démocratie des grands électeurs" qui est "à vomir".

Le sénateur "arrose copieusement les villes et villages de son département, en utilisant l'aide aux communes", écrit Libération, qui évoque une facture de plus de 350 millions d'euros, sur un budget de 2,5 milliards en 2011. A cela s'ajoutent les centaines de milliers d'euros dépensés par le CG 13 pour l'achat de places de matchs de l'Olympique de Marseille chaque année, une pratique dénoncée en 2008 par la chambre régionale des comptes.

En septembre dernier, sans nommer Jean-Noël Guérini, la sénatrice PS Samia Ghali l'accuse d'avoir "profité de [sa] situation pour distribuer l'argent public par rapport à des voix" aux sénatoriales. Il a fait campagne "avec le chéquier", selon le sénateur UMP Jean-Claude Gaudin (qui l'avait battu de peu, en 2008, à la mairie de Marseille).

"La surprise au Sénat, c'est lui, pas le FN"

Aux sénatoriales 2014 dans les Bouches-du-Rhône, "la surprise, c'est lui, pas le FN", estime un membre de l'état-major UMP marseillais, cité par Le Monde"On ne s'attendait pas à le voir si haut", si facilement réélu, avec en bonus la victoire de deux autres socialistes dissidents, Mireille Jouve et Michel Amiel. "Chapeau l'artiste", salue la droite dans Libération, tandis que la gauche reconnaît un "travail d'orfèvre".

Jean-Noël Guérini lors d'une de ses rares visites au Sénat, le 1er octobre 2014, à Paris. (WITT/SIPA)

Malgré ses trois mises en examen, une démission/exclusion du PS en avril et un absentéisme notable au Sénat, Jean-Noël Guérini se félicite d'avoir "conservé beaucoup d'amis", qu'ils soient élus, religieux (il a toujours deux chapelets en poche) ou médecins (il a subi un pontage cardiaque et est hypocondriaque). "Il a toujours soutenu notre commune, explique le maire de Saint-Andiol. Aujourd'hui, nous lui renvoyons l'ascenseur."

Après le Sénat, son prochain objectif est de conserver la tête du conseil général des Bouches-du-Rhône, lors des élections départementales de mars prochain. La possibilité de faire appel de toute condamnation lui permet de voir venir, avant une éventuelle inéligibilité. Son combat se poursuit désormais au sein du parti La Force du 13, qu'il a lancé en avril. Avec un engagement clair, destiné aux "esprits malveillants" : "La Force du 13 fonctionnera sans faire appel à l'argent public".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.