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Corse : on vous explique ce que signifie "aller jusqu'à l'autonomie"

En amont de sa visite en Corse, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a ouvert la voie à l'autonomie de l'île. A moins d'un mois de la présidentielle, les négociations entamées sont toutefois suspendues à une réélection d'Emmanuel Macron.

Article rédigé par franceinfo - Miren Garaicoechea
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une femme agite un drapeau corse à Bastia le 13 mars 2022, une semaine après l'agression d'Yvan Colonna en prison. (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)

"Nous sommes prêts à aller jusqu'à l'autonomie. Voilà, le mot est dit." Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a fait un premier pas vers les élus de Corse en ouvrant la voie à une autonomie de l'île, dans un entretien à Corse-Matin, mercredi 16 mars. En visite sur l'île, il a promis de s'entretenir de "la question institutionnelle en premier lieu" à condition d'un "retour au calme". Depuis 10 jours, en effet, manifestations et violences se sont multipliées après l'agression d'Yvan Colonna, le 2 mars, à la prison d'Arles. Le militant indépendantiste corse, condamné pour l'assassinat du préfet Erignac en 1998, se trouve toujours dans le coma. Franceinfo fait le point sur cette annonce dans une île où "les voix se réclamant du nationalisme corse ou de l'autonomisme" ont cumulé "près de 70% des suffrages lors des dernières élections régionales en juin dernier".

Qu'a déclaré le ministre de l'Intérieur ?

"La question est de savoir ce qu'est cette autonomie. Il faut qu'on en discute. Et cela prend du temps, car il s'agit de l'avenir des Corses", a fait savoir le ministre de l'Intérieur. A l'issue d'un Conseil des ministres, mercredi, Gérald Darmanin a précisé que "l'autonomie" envisagée ne peut être accordée qu'au terme d'un "long processus", "dans les mois ou les années qui viennent".

Cette annonce a un air de déjà-vu. Peu avant la dernière élection présidentielle, en avril 2017, le candidat Emmanuel Macron estimait pouvoir "envisager d'aller plus loin et de réviser la Constitution" si "le cadre actuel ne permet pas à la Corse de développer ses potentialités". Les espoirs des élus nationalistes avaient vite été calmés : lors d'un discours en février 2018, le président avait balayé la plupart de leurs revendications. Seule la mention de la Corse dans la Constitution avait été évoquée de nouveau, sans être concrétisée depuis.

"Ce sont des mots importants, qui ouvrent une perspective, mais des mots auxquels il convient maintenant de donner des prolongements et des concrétisations", a réagi le président autonomiste du conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, après l'interview de Gérald Darmanin. A moins d'un mois de la présidentielle, les négociations entamées sont donc conditionnées à la réélection d'Emmanuel Macron. A la question "pourquoi maintenant ?" posée par Corse-Matin, le ministre a évoqué "la gravité des événements"

Quel est le statut actuel de la Corse ?

La collectivité unique de Corse est "unique sur le territoire". Elle résulte de la fusion entre l'ancienne collectivité territoriale de Corse et des deux conseils départementaux, explique André Fazi, spécialiste du nationalisme corse et maître de conférences en science politique à l'université de Corse. Contrairement aux autres régions françaises, en Corse, "la séparation est nette entre l'organe délibératif et l'organe exécutif".

"Depuis 1992, l'assemblée de Corse élit un conseil exécutif dirigé par un président et peut adopter une motion de censure contre ce conseil exécutif, à l'instar d'un Parlement."

André Fazi, maître de conférences à l'université de Corse

à franceinfo

Autre spécificité : la Corse a "quelques compétences administratives, parfois importantes comme dans les transports depuis 1982, puisque l'assemblée adopte les modalités d'organisation des transports aériens et maritimes". Certaines compétences, comme les routes nationales, ont "d'abord été données aux élus de la Corse en 1991 avant d'être étendues aux continentaux en 2004".

Par ailleurs, le statut particulier de l'île lui permet de demander des dérogations spécifiques quand une décision nationale est prise. Mais sur 72 demandes de dérogations, "70 n'ont reçu aucune réponse, une a été refusée, et une est en cours d'instruction", notait un connaisseur du dossier interrogé par franceinfo. Le signe selon lui que l'Etat ne respecte pas sa parole.

Que demandent les élus corses ?

Déjà, en 1991, la Corse souhaitait fixer la notion de "peuple corse" dans une décision sur le "statut de la Corse", mais cette loi a été censurée par le Conseil constitutionnel. Trente ans plus tard, cette revendication est toujours d'actualité. Jeudi 10 mars, après un échange téléphonique avec le Premier ministre, le président du Conseil exécutif de Corse a demandé "un nouveau cycle politique" pour "dire clairement qu'il y a une question corse". Un collectif citoyen a aussi été créé ce même jour, avec comme objectif la reconnaissance du peuple corse.

Gilles Simeoni estime qu'il existe actuellement "un problème constitutionnel" : "Tout le monde sait qu'il y a un peuple corse avec sa communauté, sa langue, sa culture, son rapport à sa terre" mais "on n'arrive pas à le dire et à le reconnaître". Pour le président autonomiste du conseil exécutif de la collectivité de Corse, "il faut qu'on invente un changement juridique et politique qui respecte aussi les principes fondamentaux de la République française".

A quoi ressemblerait une autonomie ? 

Avec ce processus d'autonomie, certaines compétences  –comme "la fiscalité", "la politique de lutte contre la spéculation foncière" ou "certaines politiques de développement économiques" – seraient transférées "de plein droit à la collectivité de Corse qui va exercer un véritable pouvoir normatif, de nature législative", a expliqué Gilles Simeoni. Les compétences régaliennes, elles, resteraient "du domaine de l'Etat". Transférer des compétences à la Corse, tout en préservant le contrôle de l'Etat sur les compétences régaliennes, est aussi l'option plébiscitée par les présidents de régions de France. "Pour la première fois", ils se sont récemment dits favorables à "reconnaître à la Corse un statut d'autonomie renforcée dans la République".

Il faut pour cela "créer un nouvel article dans la Constitution". Et "cela a été fait plus de 20 fois depuis 1958", rappelle André Fazi. Après un référendum régional préalable optionnel, le même projet de loi doit être adopté par l'Assemblée nationale et par le Sénat. Le texte doit ensuite passer par un référendum national ou être approuvé par le Parlement convoqué en Congrès. Dans ce dernier cas, il faut atteindre les 3/5e des suffrages. Si ce processus aboutit, des pouvoirs seraient transférés en Corse, comme la fiscalité, "instrument numéro un des politiques", analyse André Fazi.

Dans un contexte de tension sur la question foncière et immobilière, "cela peut avoir un impact". Mais attention, "l'autonomie est toujours quelque chose de relatif", rappelle l'universitaire corse.

"La totalité des impôts ne pourront pas être transférés, mais il pourrait y avoir un partage du produit de l'impôt sur le revenu comme en Espagne, où l'Etat et la région décident des tranches pour la part qui leur revient."

André Fazi, maitre de conférences à l'université de Corse

à franceinfo

De même, "les fonctions régaliennes peuvent différer selon le lieu et l'époque. A part pour l'armée, ce n'est pas un absolu, c'est toujours discutable. Le maintien de l'ordre est bien partagé en Catalogne", insiste le politologue.

Quels sont les statuts déjà existants ? 

Dans son interview à Corse-Matin, Gérald Darmanin fait savoir que "des élus" corses ont évoqué "un statut à la Polynésienne". Depuis la révision constitutionnelle de 2003, il existe deux régimes législatifs pour les collectivités d'outre-mer. Le régime de l'identité législative (Mayotte, Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion) diffère du régime dit de spécialité législative et d'autonomie (Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna). La Nouvelle-Calédonie et les Terres australes et antarctiques françaises disposent elles d'un "statut particulier".

En Polynésie française, l'organisation se rapproche ainsi d'un parlementarisme d'assemblée, avec un président, un gouvernement et des lois promulguées. Dotée d'une assemblée élue au suffrage universel direct, la Polynésie française est entièrement compétente pour les questions économiques et sociales, d'éducation, de santé, d'équipement et d'environnement. L'Etat français continue les missions régaliennes de sécurité, de secours, de justice, de politique étrangère et de défense.

D'autres territoires français, comme Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sont aussi dotés d'une autonomie et peuvent régir leur fiscalité, leur urbanisme, leur logement. "On peut donc créer des exceptions aux principes généraux", conclut André Fazi. "Maintenant, pour la Corse, lesquelles ? Ce sera par exemple plus difficile d'obtenir la co-officialité d'une langue régionale, que d'insérer une mention qui va permettre l'enseignement immersif dans cette langue."

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