Présidentielle américaine : Hillary Clinton peut-elle être plombée par son argent ?
La candidate démocrate est la cible d'un livre retentissant, "Clinton Cash", sur l'origine d'une partie de sa fortune. Un boulet supplémentaire ?
"Mo' money, mo' problems" (davantage d'argent, davantage de problèmes). Aux Etats-Unis, le livre d'investigation Clinton Cash, qui paraîtra le 5 mai, offre son lot de révélations fracassantes sur l'origine d'une partie de la fortune des Clinton. L'auteur, Peter Schweizer, accuse le couple Hillary-Bill d'avoir profité de la fonction de secrétaire d'Etat qu'occupait Hillary Clinton de 2009 à 2013 pour récolter de l'argent, par l'intermédiaire des conférences onéreuses de son mari. Leur fortune est aujourd'hui estimée à plusieurs dizaines de millions de dollars.
Trop riche pour être présidente, Hillary ? Lors du dîner des correspondants de presse à Washington, Barack Obama s'en est lui-même amusé : "Une amie proche était millionnaire, maintenant elle vit dans un minibus dans l'Iowa", référence au mode de transport employé par la démocrate pour son premier déplacement de campagne. Un an et demi avant la présidentielle de 2016, Hillary Clinton est déjà mise en difficulté. L'argent sera-t-il son talon d'Achille ?
Une multimillionnaire partie de (presque) rien
Hillary Clinton n'a pas toujours été riche de plusieurs millions, loin de là. "A l'origine, les Clinton sont même pauvres, ils n'ont aucun argent personnel", rappelle pour francetv info l'universitaire Anne Deysine, auteure de La Cour suprême des Etats-Unis : droit, politique et démocratie (Ed. Dalloz, 2015). Le père d'Hillary, Hugh Rodham, était commerçant dans le textile, sa mère femme au foyer. Comme Bill, elle n'avait rien d'une héritière, même si, à la fin de sa carrière, Hugh Rodham était à la tête d'une entreprise florissante, et a notamment ouvert et dirigé plusieurs usines de textile.
C'est à la sortie des deux mandats de Bill Clinton (de 1993 à 2001) que le couple commence à s'enrichir. "A cette époque, nous étions sur la paille, nous avions des dettes", a commenté Hillary Clinton en 2014, phrase qui lui a valu bon nombre de moqueries. Les dettes sont épongées en 2004, et la machine à cash s'enclenche. Bill Clinton facture chaque conférence 500 000 dollars en moyenne, et Hillary entre 200 000 et 300 000 dollars à partir de 2013, année où elle quitte la tête de la diplomatie américaine. Grandes universités, entreprises, fondations... Son audience est vaste.
Tout ne va pas pour autant dans leurs poches. "Une partie de l'argent est directement reversée à leur fondation, souligne Thomas Snégaroff, auteur de Bill et Hillary Clinton : Le mariage de l'amour et du pouvoir (Ed. Tallandier, 2014), contacté par francetv info. Quand on parle de la fortune des Clinton, il faut distinguer l'argent de la fondation, qui ne peut pas être mis à profit pour la campagne, et leur argent personnel."
Hillary Clinton est surtout riche de connaître des gens très riches, d'avoir un gros réseau.
La fondation Clinton, dont "le financement a toujours été opaque", selon Thomas Snégaroff, a été contrainte de faire amende honorable, après la parution d'extraits de Clinton Cash dans la presse. "Nous avons fait une erreur en combinant les dons de gouvernements étrangers avec des dons" d'autres sources, a commenté la directrice de la fondation, Maura Pally. Sur les conflits d'intérêts entre Hillary Clinton et son mari, la candidate démocrate reste pour l'instant muette.
Pourtant, il y a matière à s'interroger. Selon les médias américains, le Qatar, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis figurent parmi les généreux donateurs de la fondation Clinton. Et ce alors même qu'Hillary Clinton prône l'émancipation des femmes dans le monde – or l'Arabie saoudite, notamment, est loin d'être le pays le plus avancé dans ce domaine.
Autre dossier, relaté par Le Point.fr : la prise de contrôle par le consortium russe Rosatom du cinquième des ressources américaines en uranium, alors qu'Hillary Clinton était secrétaire d'Etat et que Bill Clinton donnait une conférence pour une fondation proche du groupe russe. Sur Twitter, le candidat à l'investiture républicaine Ted Cruz a lancé une campagne pour demander à la démocrate de "rendre tout l'argent gagné grâce aux pays étrangers".
I’m #ReadyForHillary to return all the money she raised from foreign nations. Add your name if you are too: https://t.co/tphIjnM0TH
— Ted Cruz (@tedcruz) April 22, 2015
Hillary Clinton traîne toujours derrière elle les multiples casseroles de son mari, ainsi que le scandale du Whitewater, sur des investissements immobiliers troubles, qui avait éclaté pendant la campagne de Bill Clinton en 1992. La wannabe présidente prend garde de ne pas trop mêler son mari à sa campagne."Bill Clinton a des consignes précises, il doit rester au second plan, analyse Anne Deysine. Il a très envie que sa femme récupère la Maison Blanche, mais il reste dangereux. En revanche, Chelsea [la fille unique du couple] sera très présente. Sa responsabilité, c'est aussi de tenir son père un peu à l'écart."
Un numéro d'équilibriste
Aux Etats-Unis, les grandes fortunes s'affichent plus volontiers qu'en France, y compris en politique. Millionnaire, Hillary Clinton connaît personnellement les grands patrons de Wall Street, qu'elle a côtoyés quand elle était sénatrice de l'Etat de New York. Lloyd Blankfein, le PDG de Goldman Sachs, fait ainsi partie des donateurs de la fondation Bill, Hillary & Chelsea Clinton.
Mais son patrimoine n'en fait pas une cible pour autant, selon Thomas Snégaroff, qui se souvient qu'en 2012, le républicain Mitt Romney avait dû faire face à des critiques : "Mitt Romney était multimillionnaire, mais ses activités avaient détruit des milliers d'emplois. Hillary Clinton n'a pas ce préjudice."
Son combat en tant qu'avocate puis femme politique l'a portée vers des thèmes qu'elle défend encore aujourd'hui : les familles, les classes moyennes, la lutte contre les inégalités. "Elle y croit vraiment, son combat est sincère", note Anne Deysine. Selon l'universitaire, ce numéro d'équilibriste est bien compris par ses soutiens. "L'électorat démocrate s'en souvient et les républicains s'en font des gorges chaudes, chacun est dans son rôle."
C'est le système – les contraintes pour arriver au pouvoir – qui fait qu'Hillary Clinton se trouve en porte-à-faux avec ses convictions
L'opacité et la distance, vraies failles
Plus que les billets verts, les failles d'Hillary Clinton se révèlent plus profondes dans la façon de communiquer sur ces sujets. "La critique sur la fortune des Clinton est un faisceau parmi d'autres, qui visent à la présenter avec son mari comme un couple vénal qui se sent au-dessus des lois", développe Thomas Snégaroff.
Les critiques dont elle fait l'objet sur sa gestion de l'affaire Benghazi – l'attentat qui a coûté la vie à quatre Américains, dont l'ambassadeur de Libye, en 2012 – s'inscrivent dans cette perspective. Idem avec l'affaire des e-mails. "Elle est soupçonnée de cacher des choses et de penser que rien ne peut l'atteindre." Son mari n'avait-il pas reçu le surnom de "Teflon", du nom de ce revêtement antiadhésif ?
Pour Anne Deysine, Hillary Clinton va devoir redoubler d'efforts pour faire oublier ces accusations d'opacité et de condescendance. "Ses démentis n'empêcheront pas l'amalgame, car certains médias véhiculent des informations erronées qui ne sont jamais remises en cause." Et de citer l'exemple de Barack Obama, qui a longuement essayé de convaincre les Américains qu'il était né aux Etats-Unis et non en Afrique. "Huit ans après, 40% des Américains continuent de ne pas le croire."
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