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Présidentielle américaine : comment la recherche d'un vaccin contre le coronavirus contamine la campagne de "Docteur Trump"

Le président sortant a promis de trouver le remède avant l'élection du 3 novembre, au point d'en faire son principal argument de campagne. Il a lui-même été testé positif au coronavirus le 2 octobre.

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Washington DC et Baltimore (Etats-Unis)
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le président américain, Donald Trump, brandit le vaccin contre le coronavirus comme un argument de campagne électorale. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

On ne le dit pas trop fort parce que c'est quand même la Maison Blanche, mais dans les couloirs, on n'en pense pas moins. "Vaccin, vaccin, vaccin… Donald Trump n'a plus que ce mot à la bouche", chuchote à franceinfo un habitué des prises de parole du principal locataire des lieux. "Il n'y a pas une intervention où il n'en parle pas, c'est flagrant." Lors des réunions, "pas grand-chose d'autre ne retient son attention", vont jusqu'à remarquer certains membres de l'administration américaine*, selon ce que rapporte le Washington PostIl faut dire que le 45e président des Etats-Unis, lui-même testé positif au Covid-19 le 2 octobre, a pris un sacré engagement en promettant de fournir un vaccin contre le coronavirus à ses 330 millions de concitoyens avant la fin de l'année. Et si possible même avant l'élection du 3 novembre.

Donald Trump s'y accroche si fermement qu'il l'a fait inscrire noir sur blanc dans son programme*, dans la partie intitulée "Eradiquer le Covid-19". "J'ai remarqué qu'il commence des briefings en évoquant le vaccin alors que ce n'est pas forcément l'actualité du moment", certifie David Smith, journaliste accrédité à la Maison Blanche pour le quotidien britannique The Guardian. "C'est comme si c'était plus fort que lui." 

Il est obnubilé par le vaccin, il revient sur le sujet dès qu'il peut.

David Smith, correspondant à Washington pour "The Guardian"

à franceinfo

Même ses meetings prennent désormais des allures de colloques médicaux. "Il arrive bientôt", a-t-il promis, lundi 21 septembre*, aux habitants de Swanton (Ohio) venus l'applaudir. Rebelote le lendemain, 400 kilomètres plus à l'Est, du côté de Pittsburgh (Pennsylvanie) : il est cette fois venu vanter ce "vaccin" en passe d'être fabriqué et distribué "en un temps record". On a compté : à Fayetteville* (Caroline du Nord), samedi 19 septembre, il a prononcé le mot "vaccin" à treize reprises en deux heures, soit une fois toutes les neuf minutes. Dix jours plus tard, le milliardaire ne s'est pas non plus privé d'en toucher quelques mots lors du premier débat présidentiel entre les deux candidats à la Maison Blanche. "Nous sommes à quelques semaines d'avoir ce vaccin", s'est-il félicité, la moue satisfaite.

Le président américain, Donald Trump, fait un point à la télévision sur l'avancée du vaccin contre le coronavirus, le 18 septembre 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"L'affaire est devenue politique"

Le contexte électoral est ainsi : avant le début de la campagne, "le président avait prévu d'axer ses discours sur ses bons résultats en matière économique, avec un taux de chômage bas et la croissance", énumère Benjamin Toll, professeur de sciences politiques à l'université Wilkes (Pennsylvanie). Sauf que l'épidémie de Covid-19, qui a déjà tué 200 000 personnes aux Etats-Unis, a "tout bousculé", obligeant le candidat à changer de stratégie pour espérer rester quatre ans de plus à la tête du pays.  

Il s'est mis en tête qu'un vaccin pourrait jouer en faveur de sa réélection. Après avoir été largement critiqué sur sa gestion de l'épidémie, c'est un peu une manière de se rattraper.

Benjamin Toll, professeur de sciences politiques

à franceinfo

"Avec cette course au vaccin, on est complètement sorti du champ médical, l'affaire est devenue politique", ajoute Benjamin Toll. De fait, Donald Trump semble prêt à tout, comme ce soir-là à Pittsburgh, lorsqu'il maintient mordicus que Joe Biden mettrait au moins "deux, trois ou quatre ans" pour trouver un vaccin s'il était élu en novembre (à partir de 1h23').

Un peu plus tard et beaucoup plus cash, il affirmera même que "les démocrates ne veulent pas du vaccin". C'est faux, mais cela fait mouche : les militants, masques rouges floqués du célèbre "Make America Great Again" ("Rendre sa grandeur à l'Amérique"), acquiescent. "Si j’étais à sa place, je ferais pareil. Je serais fixée là-dessus", lâche Shannon Wright, élue républicaine qui rêve de s'asseoir dans quelques semaines dans le fauteuil de maire de Baltimore (Maryland). "Il sait que trouver un vaccin permettrait au pays d'aller mieux", explique-t-elle en replaçant sur sa paillasse en bois un livre intitulé... Les ennemis de Trump. 

Au fond des locaux, qui prennent des allures de QG au fur et à mesure que sont déballés les cartons remplis de matériel pour la campagne, un homme, cheveux ras, juge également le président "offensif et crédible" sur ce sujet. Il avoue "ne pas comprendre que certains lui reprochent de vouloir guérir les gens".

"Il n’a aucune expertise"

Côté démocrate, les avis concernant Donald Trump sont évidemment bien différents. Sa gestion de la pandémie le "disqualifie totalement", a sèchement lancé son adversaire, Joe Biden, à l'occasion d’un discours prononcé chez lui, à Wilmington (Delaware), le 23 septembre*. "La première responsabilité d'un président est de protéger le peuple américain. Et il ne le fera pas", a-t-il expliqué.

Les gouverneurs des Etats de New York et du Michigan exigent pour leur part une enquête du Congrès* sur la gestion "politisée" de cette crise par la Maison Blanche. "Qui est encore dupe ?", interroge Jennifer Blemur, la présidente des Jeunes démocrates de Washington DC qui apprécie "moyennement le coup du 'Il va sauver l'Amérique'". "Il agite à tout va la promesse de l’arrivée imminente d’un vaccin. C'est dangereux. C'est devenu 'Docteur Trump', mais non, il n'est pas docteur !"

Utiliser l'argument du vaccin pour faire campagne, moi je trouve ça un peu honteux.

Jennifer Blemur, présidente des Jeunes démocrates de Washington DC

à franceinfo

Wesley Beggs, son homologue en Floride, où une partie de l'élection va une nouvelle fois se jouer, trouve également "tout ça assez bas". "C'est pour lui une sorte de distraction, alors que des milliers de gens ont perdu leur travail à cause de la crise sanitaire. Bref, ça ne fait pas sérieux."

Le corps médical manque d'avaler son stéthoscope quand le président milliardaire enfile la blouse blanche pour parler piqûre. "D'habitude, il ne croit pas en la science, mais là, ça l'arrange, alors il s'en sert", souffle Stefan Flores, médecin urgentiste à New York, mobilisé sur le front de l'épidémie depuis mars. Si ses mots sont durs, c'est qu'il a encore en tête cette sortie de Donald Trump qui, en avril dernier, a tenté de jouer publiquement au "coronavirologue". Le président suggérait alors que les malades reçoivent des injections de désinfectant et des rayons ultraviolets dans les poumons, pendant qu'on montait à la hâte des hôpitaux de campagne dans "la ville qui ne dort jamais" pour accueillir des milliers de patients"Nous, médecins, étions dépités du niveau de désinformation propagé par le président au grand public. Il n’a aucune expertise", explique Stefan Flores.

On sait que Donald Trump est prêt à changer d'avis pour être plus populaire.

Stefan Flores, médecin urgentiste à New York

à franceinfo

C'est aussi pour calmer les ardeurs présidentielles que neuf laboratoires ont publié un texte commun*, début septembre, les engageant à respecter le protocole le plus strict : "Nous, les soussignées entreprises biopharmaceutiques, souhaitons affirmer clairement notre engagement actuel à développer et à tester des vaccins potentiels contre le Covid-19 dans le respect de hautes normes éthiques et de principes scientifiques rigoureux", peut-on lire dans ce communiqué en bas duquel les directeurs généraux d'AstraZeneca, BioNTech, GlaxoSmithKline, Johnson & Johnson, Merck Sharp & Dohme, Moderna, Novavax, Pfizer et Sanofi ont apposé leur signature. Autrement dit, pas question d'accélérer la cadence parce qu'il y a une élection.

L'argent n'est pourtant pas un problème : Donald Trump a sorti la planche à billets (18 milliards de dollars, selon Bloomberg*) pour accélérer autant que possible les recherches. Son opération spéciale "Warp Speed" ("au-delà de la vitesse de la lumière") mobilise les ressources de l’administration, de l’armée et du secteur privé. Quelque chose de "gros et rapide", comparable selon lui au célèbre "Manhattan Project" qui avait permis aux Etats-Unis de fabriquer la première bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale. Plus de 100 000 personnes avaient été embauchées à l'époque.

A ce jour, trois fabricants occidentaux ont bien avancé : AstraZeneca (partenaire de l’université britannique d’Oxford), Moderna (partenaire des instituts américains de santé) et l’alliance Pfizer/BioNTech. Néanmoins, même si les essais cliniques sont concluants avant le 3 novembre, la distribution de doses sera initialement "très limitée" et réservée à certaines populations prioritaires, a précisé* Robert Redfield, le directeur des centres pour le contrôle et la prévention des maladies, auditionné mi-septembre par des membres du Sénat.

Si vous me demandez quand les Américains pourront, de manière générale, commencer à bénéficier du vaccin pour revenir à une vie normale, je vous dirai qu'on peut probablement envisager que ce soit le cas à la fin du deuxième trimestre ou au troisième trimestre de 2021.

Robert Redfield, directeur des centres pour le contrôle et la prévention des maladies

devant le Sénat américain

"Seriez-vous prête à tester le vaccin ?"

"Il y a ce que veut Donald Trump, et il y a ce que peuvent faire les autorités de santé. La différence est grande", se permet d'intervenir le médecin Stefan Flores. A trop vouloir politiser la question du vaccin, le président-candidat peut aussi semer le doute sur son efficacité. Une étude, publiée le 10 septembre par la Kaiser Family Foundation*, indiquait que 62% des Américains s'inquiétaient des pressions exercées par le gouvernement fédéral sur l'autorité d'homologation des médicaments (la Food and Drug Administration) pour qu'elle approuve un vaccin sans s'assurer de son efficacité et de son innocuité. Un autre sondage, dévoilé le 17 septembre par l'institut Pew*, révèle quant à lui que près de la moitié des Américains refuseraient l'injection si le vaccin était disponible aujourd'hui. En mai dernier, ils n'étaient que 27% à l'affirmer. 

Shannon Wright, candidate républicaine à la mairie de Baltimore (Maryland), vérifie le matériel de campagne, le 19 septembre 2020.  (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

A la question "si le vaccin arrivait, seriez-vous prête à l'essayer ?", la candidate républicaine de Baltimore, Shannon Wright, observe d'abord quelques secondes de silence, avant de répondre à franceinfo qu'elle préférerait attendre qu'il soit "sûr". Tom Kennedy, délégué à la convention républicaine en août et administrateur du groupe Facebook "Baltimore City for Trump 2020" (330 membres), donne la même réponse : "Pas maintenant". Il assure que le vaccin n'est d'ailleurs "pas vraiment la priorité des gens" qu'il rencontre, à l'inverse des "problèmes économiques et de violence." 

* Le contenu de cette page est en anglais

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