Pourquoi Trump n'est pas complètement sorti d'affaire après le rapport Mueller
Une version expurgée du rapport Mueller a été rendue publique, jeudi 18 avril. Si toute collusion entre l'équipe de campagne de Donald Trump et la Russie est exclue, le procureur Robert Mueller n'exonère pas pour autant le président américain.
"Pas de collusion, pas d'obstruction. Pour les rageux et les démocrates de la gauche radicale, c'est Game Over." Donald Trump craignait les conclusions du rapport du procureur spécial Robert Mueller sur les soupçons de collusion avec les Russes qui pèsent sur lui. Lorsque les conclusions du rapport, certes partiellement expurgées, ont été publiées jeudi 18 avril, le président des Etats-Unis s'est empressé de tweeter en criant victoire.
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 18 avril 2019
Pourtant, après 22 mois d'enquête, l'équipe de Robert Mueller ne dédouane pas totalement le président des Etats-Unis, notamment en ce qui concerne les tentatives d'obstruction à la justice. Face au manque de preuves et aux contraintes légales, le procureur spécial laisse la possibilité au Congrès de poursuivre les investigations. Franceinfo revient sur ses conclusions.
Il y a bien eu une ingérence russe dans la campagne présidentielle
Les 448 pages du rapport de Robert Mueller mettent à jour des tentatives russes d'influer sur la campagne présidentielle américaine de 2016. Un bureau basé à Saint-Pétersbourg, l'Internet Research Agency (IRA), s'est employé à dénigrer la campagne de la candidate démocrate Hillary Clinton, notoirement opposée à Vladimir Poutine. Selon Le Monde, c'est depuis la Russie que l'IRA a acheté des publicités et organisé des événements politiques aux Etats-Unis. S'en est suivi une campagne intensive à l'encontre d'Hillary Clinton sur les réseaux sociaux, favorisant Donald Trump.
"Les employés de l’IRA se faisaient passer pour des personnes ou des entités américaines locales et ont noué des contacts avec des partisans de Trump et des membres de son équipe de campagne", stipule ainsi le rapport, sans pouvoir pour autant "[identifier] de preuve" établissant une coordination entre des citoyens américains et l'IRA.
Le rapport du procureur spécial s'attarde longuement sur le piratage des messageries électroniques du parti démocrate et de proches de sa candidate. Les attaques sont venues de hackers russes liés au service du renseignement militaire du Kremlin, le GRU. Les Russes ont ensuite diffusé les informations interceptées sur internet, notamment sur Wikileaks durant l'été.
5) Pages 44-45: le rôle de #Wikileaks est abordé en détail dans la diffusion du matériel hacké par la #Russie sur #Clinton et les motifs purement politiques et partisans de #Assange y sont détaillés. Pas très "lanceur d'alerte"selon #Mueller... pic.twitter.com/eVuVuwdA5m
— Corentin Sellin (@CorentinSellin) 18 avril 2019
Des tentatives d'ingérence russe sont ainsi établies, sans, toutefois, qu'elles prouvent une complicité américaine volontaire. Le rapport Mueller détaille tout de même des contacts entre Donald Trump Jr., fils du futur président des Etats-Unis, et WikiLeaks, une fois les documents publiés.
Une collusion de l'équipe Trump non avérée...
C'était un enjeu primordial que devait éclaircir l'enquête conduite par le procureur républicain de 74 ans. L'équipe de Donald Trump s'est-elle secrètement entendue avec les Russes au détriment de l'intérêt national lors de sa campagne ? Les conclusions inscrites dans le rapport partiel publié jeudi sont plus nuancées que ne le laisse entendre le président des Etats-Unis.
Page 180, Robert Mueller confirme que de "nombreux liens" ont été établis entre l'équipe de Donald Trump et les Russes. Il ne peut toutefois pas engager de poursuites au motif d'une conspiration ou d'une trahison délibérée car cela signifierait qu'il puisse prouver que les proches du président ont coopéré de manière intentionnelle et consciente. Une phrase résume l'esprit du rapport : "Les preuves n’étaient pas suffisantes pour mettre en accusation quiconque dans l’équipe de campagne de Trump".
... mais des dizaines de rencontres troublantes
Longtemps qualifié de "fake news" par le président américain, les contacts entre le cercle proche de Donald Trump et les Russes interrogent. Le Monde énumère les rencontres qui posent question au procureur spécial : elles commencent dès 2015 au sujet de la création d'une Trump Tower à Moscou, une rencontre pourtant farouchement niée par Donald Trump. L'agitation du conseiller pour les affaires étrangères du candidat, George Papadopoulos, en 2016, lorsqu'il apprend que les Russes ont de quoi déstabiliser leur rivale démocrate, pose également question.
Autre exemple cité, l'atttitude du gendre de Donald Trump, Jared Kushner. Ses liens forts avec les Russes sont connus. Le mari d'Ivanka Trump se démène pour se rapprocher des Russes : en juin 2016, il reçoit, avec le frère de sa femme, Donald Trump Jr, et le directeur de campagne, Paul Manafort, une avocate russe et d'autres individus à la Trump Tower de New York. Jared Kushner se montre prêt à coopérer au cas où Wikileaks lui donnait des informations compromettantes sur Hillary Clinton, sans que cela ne se concrétise. Ces intentions ne sont pas suffisantes pour inculper pour collusion, faute de preuves concrètes d'actions.
Quelques semaines après l'élection de son beau-père, Jared Kushner s'adresse directement à l'ambassadeur de Russie en poste et lui promet un nouveau départ dans les relations entre Washington et Moscou. Une déclaration qui interroge alors que l'administration de Barack Obama venait de sanctionner lourdement la Russie pour ingérence électorale.
Paul Manafort, lui, rencontrera un proche des services de renseignements russes. Les contacts continuent et se renforcent après l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche : Michael Flynn, le conseiller à la sécurité du président élu, s'entretient à Washington avec l'ambassadeur de Russie.
Ces contacts fréquents ont fait hésiter Robert Mueller, comme l'explique la page 185 de son rapport : l'équipe de Donald Trump a-t-elle violé les lois américaines sur le financement électoral ? Une rencontre aux Seychelles avec un banquier d'affaires proche du Kremlin l'intrigue, notamment.
42) Et de fait, le rapport #Mueller confirme qu'il y a bien eu 1 rencontre aux Seychelles entre Erik Prince, le fondateur de Blackwater, beau-frère de la future ministre de #Trump DeVos et Dmitriev, patron du fond souverain russe, le 11 janvier 2017, via Nader conseiller des EAU
— Corentin Sellin (@CorentinSellin) 19 avril 2019
Finalement, le rapport explique que le procureur a renoncé, faute de preuves, là encore.
Des soupçons d'entrave à la justice demeurent
C'est précisément le manque de preuves qui ne permet pas de dédouaner définitivement le président américain. Une phrase fait particulièrement réagir outre-Atlantique : "Si ce rapport ne conclut pas que le président a commis un crime, il ne l’exonère pas non plus", écrit Robert Mueller. L'ex-patron du FBI met en lumière des agissements de la part de l'équipe de Donald Trump, similaires à des tentatives d'obstruction à la justice.
Depuis le début de cette enquête hors norme, lancée il y a 22 mois, des témoins ont été condamnés pour avoir menti : c'est le cas de l'ex-directeur de campagne, Paul Manafort, de son ancien conseiller à la sécurité, Michael Flynn, et de son ancien avocat personnel, Michael Cohen. Des "documents pertinents" ont été détruits, regrette par ailleurs le rapport.
Si nous étions certains, après une enquête rigoureuse, que le président n'avait clairement pas commis d'entrave à la justice, nous le dirions.
Le procureur spécial Robert Mueller
De multiples pressions exercées par Donald Trump, dans le but de peser sur le cours de l'enquête, sont également révélées. Sans se prononcer sur les suites à donner, le procureur spécial, réputé pour son sérieux, liste les ordres donnés par le président aux témoins clefs. Le locataire de la Maison Blanche souhaite qu'ils mentent ou qu'ils ne collaborent pas aux investigations.
Ces machinations ont débuté lors du limogeage opéré par Donald Trump du chef du FBI chargé de l'enquête, James Comey. Nommé pour le remplacer le 17 mai 2017, Robert Mueller évoque une scène saisissante dans son rapport : face à ses collaborateurs, le président américain se dit "foutu" en apprenant la nouvelle de sa nomination. "C'est terrible. C'est la fin de ma présidence", aurait confié l'ex-magnat de l'immobilier. Il se serait ensuite démené pour faire chuter le procureur Mueller.
Autre point problématique, Donald Trump a répondu par écrit aux questions des enquêteurs, mais seulement sur les accusations d'ingérence. "Les preuves que nous avons obtenues à propos des actions et de l’objectif du Président soulèvent des points problématiques qui nous empêchent de conclure de manière définitive qu’il n’y a pas eu de conduite criminelle", stipule le rapport. Les conclusions du procureur spécial justifient l'absence de poursuites et pointent du doigt un conflit d'intérêt : "Le président est juge et partie, ayant autorité au moins partielle sur l’appareil judiciaire, ce qui pose des problèmes constitutionnels pour savoir s’il peut être accusé d’obstruction."
Sur cette question, ce sera désormais au Congrès américain d'en décider : les élus démocrates demandent l'accès à l'intégralité du rapport, la version expurgée publiée jeudi 18 avril ne comprenant pas les informations jugées confidentielles. Et ils comptent bien auditionner rapidement Robert Mueller, qui s'est gardé jusqu'à présent de tout commentaire. Avec l'objectif, au final, de faire tomber Donald Trump, comme l'explique la figure démocrate Alexandrai Ocasio-Cortez sur Twitter : "Beaucoup savent que je ne prends aucun plaisir à débattre de la destitution [de Donald Trump] (...) mais le rapport dépose directement cette question devant notre porte."
Many know I take no pleasure in discussions of impeachment. I didn’t campaign on it, & rarely discuss it unprompted.
— Alexandria Ocasio-Cortez (@AOC) 18 avril 2019
We all prefer working on our priorities: pushing Medicare for All, tackling student loans, & a Green New Deal.
But the report squarely puts this on our doorstep.
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