Etats-Unis : pourquoi l'avenir de Brett Kavanaugh, accusé d'abus sexuels, est un enjeu crucial pour Donald Trump et son camp
Christine Blasey Ford affirme avoir été agressée sexuellement par le candidat de Trump à la Cour suprême. Elle va être entendue par le Sénat jeudi, lors d'une audience publique.
L'audition est cruciale. Jeudi 27 septembre, Christine Blasey Ford va témoigner devant une commission du Sénat américain. Elle est l'une des trois femmes qui accusent le juge Brett Kavanaugh, 53 ans, candidat de Donald Trump à la Cour suprême, d'abus sexuels (dans son cas, les faits se seraient déroulés en 1982, quand elle et Kavanaugh étaient adolescents). A quelques semaines des élections de mi-mandat, que les démocrates souhaitent transformer en référendum anti-Trump, on vous explique pourquoi l'enjeu est considérable pour le président américain et son camp.
Parce que Donald Trump s'est engagé publiquement pour le défendre
Après les accusations de Christine Blasey Ford, Donald Trump a volé au secours de son candidat. "Si les attaques avaient été aussi graves que ce que dit le Dr Ford, il y aurait eu une plainte d'elle ou de ses parents", a-t-il défendu sur Twitter, vendredi 21 septembre. C'est un "homme parfait au passé irréprochable", a-t-il ajouté lundi.
I have no doubt that, if the attack on Dr. Ford was as bad as she says, charges would have been immediately filed with local Law Enforcement Authorities by either her or her loving parents. I ask that she bring those filings forward so that we can learn date, time, and place!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 21 septembre 2018
Le président américain a néanmoins pris un peu de distance, mercredi, après les accusations d'une troisième femme : Donald Trump a concédé qu'il pourrait ne plus soutenir Brett Kavanaugh "[s'il] pensait qu'il était coupable de quoi que ce soit". "Il est possible que je change d'avis" après l'audition de Christine Blasey Ford au Sénat, a-t-il affirmé. Mais pour lui, le juge Kavanaugh est "un gentleman et un intellectuel formidable", victime d'une "belle grosse arnaque" fomentée par les démocrates. Il a également fait le lien avec sa propre expérience. "J'ai été accusé par quatre ou cinq femmes qui ont reçu beaucoup d'argent pour inventer des choses sur mon compte, a-t-il assuré. Donc, quand vous dites que cela affecte ma façon de voir l'affaire Kavanaugh, c'est exact."
Une position publique risquée, pour la consultante en communication auprès du parti des Républicains, Liz Mair. "Trump a déjà un problème avec les femmes vivant dans les banlieues résidentielles. Et avec le tournant que prend cette affaire, je ne vois pas l'avantage que pourrait en tirer le parti", expliquait-elle la semaine passée à USA Today (en anglais). "Les républicains doivent faire attention de ne pas offenser les électeurs indécis tels que les femmes", ajoute le site.
Or sa réaction a déclenché une tempête de réactions, autour du hashtag #WhyIDidntReport sur Twitter. Des milliers de victimes de harcèlement ou d'agressions sexuelles y ont expliqué à Trump "pourquoi elles n'ont pas porté plainte". "Trump se coupe obstinément de l'électorat féminin, confirme Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaine, interrogé mardi par franceinfo, avant la diffusion du témoignage d'une troisième accusatrice. Ce n'est pas nouveau. A l'époque de #Metoo, il n'avait montré aucune empathie envers le mouvement et a toujours pris la défense, par principe, des hommes accusés." L'expert estime que cette affaire éloigne plus encore du président américain "l'électorat féminin blanc qui avait pourtant voté pour lui".
Parce que des élections cruciales approchent
Les Américains se prononceront, le 6 novembre, dans le cadre des midterms, les élections de mi-mandat, pour renouveler l'intégralité des membres de la Chambre des représentants (435 sièges), une partie des sénateurs (35 sièges sur 100), certains gouverneurs et des élus au sein des assemblées locales, Etat par Etat. Et depuis la diffusion de la première accusation contre le juge Kavanaugh, l'affaire prend de plus en plus de place dans les débats entre les candidats.
"Ça commence à être utilisé par les candidats dans leur campagne, observe Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaine, interrogé mardi par franceinfo, avant le témoignage d'une troisième accusatrice. Le parti républicain essaye de faire passer l'idée que les démocrates veulent voler une nomination et imposent une chasse aux sorcières. En face, les démocrates disent que confirmer la nomination de Brett Kavanaugh serait un outrage fait aux femmes."
CNN (en anglais) donne ainsi l'exemple de Gretchen Whitmer, candidate démocrate dans le Michigan. "Je suis horrifiée de voir que les Républicains dénigrent cette universitaire, [Christine Blasey Ford], qui s'est fait connaître, a raconté son histoire malgré toutes les horribles pressions qu'elle a reçues", a-t-elle déclaré lors d'un meeting. Ces discours "auront forcément un impact sur l'électorat", avance Corentin Sellin. Deux tiers des Américains disent suivre au moins un peu les allégations de Christine Blasey Ford visant le juge Kavanaugh, selon un sondage YouGov pour CBS (en anglais).
Lundi 24 septembre déjà, des femmes portant des tee-shirts noirs barrés des credo "votez non" ou "croyez les femmes" ont organisé des manifestations devant plusieurs permanences de sénateurs pour leur demander de ne pas confirmer la nomination du candidat de Donald Trump. "L'affaire et les réactions de Donald Trump ont lancé un mouvement de mobilisation. Ça risque de laisser des traces dans l'électorat féminin, quel que soit le résultat de l'audition", explique Corentin Sellin.
Parce que l'avenir de la Cour suprême est en jeu
L'arrivée du juge Kavanaugh dans cette institution américaine, annoncée par Donald Trump en juillet dernier, placerait les juges modérés ou progressistes en minorité au sein de cette institution qui compte 9 juges. La Cour suprême arbitre les questions de société les plus épineuses, comme le droit à l'avortement ou la régulation des armes à feu, et ses décisions ont donc un réel poids aux Etats-Unis.
Il reste à faire valider la nomination de Brett Kavanaugh par le Sénat. Sur ce point, "les auditions auront un enjeu fort sur la nomination de Kavanaugh à la Cour suprême", affirme Corentin Sellin.
Le spécialiste explique : "Si l'audition de jeudi renversait la donne, si trois ou quatre Républicains se retournaient au Sénat – et certains ont déjà dit qu'ils attendaient d'entendre l'accusatrice –, Donald Trump serait obligé de retirer la candidature de Kavanaugh." Un autre juge ne serait alors pas nommé avant les élections de novembre et, en cas de défaite et de perte de la majorité au Sénat, l'entrée d'un démocrate pourrait faire basculer la plus haute juridiction américaine, jusqu'à présent à droite. "Les midterms se transformeraient en référendum sur la prochaine nomination à la Cour suprême", envisage Corentin Sellin.
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