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Etats-Unis : on a regardé One America News, la chaîne de télévision pro-Trump qui veut doubler Fox News sur sa droite

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le président américain Donald Trump apparaît dans une vidéo promotionnelle de la chaîne câblée One America News (OAN).  (YOUTUBE / OAN)

Friand de télévision, le président américain mentionne désormais régulièrement sur Twitter cette petite chaîne câblée pourtant très confidentielle. Et pour cause : elle lui est totalement acquise. 

"Et souvenez-vous : même quand j'ai tort... [silence dramatique] j'ai raison." Il est 21 heures (heure de la côte est des Etats-Unis) et, comme tous les soirs de la semaine, le présentateur Graham Ledger conclut son heure d'antenne avec ce slogan orwellien. Depuis l'élection de Donald Trump, en 2016, la petite chaîne câblée qui l'emploie, One America News Network (OANN), tente de s'imposer comme la vitrine de la pensée trumpienne et des "faits alternatifs" chers à l'équipe du président américain. 

Chaîne payante très confidentielle disponible via des bouquets du câble qui proposent, entre autres, la chaîne complotiste InfoWars, ou RT, le média d'informations financé par Moscou, One America News s'adresse au président autant qu'à son électorat. Elle promet un journalisme "crédible, honnête et non biaisé". Avec une mission : faire réélire le milliardaire. Pour comprendre son mode opératoire, franceinfo a passé la soirée du lundi 3 février devant le petit écran. 

Samedi et dimanche, les téléspectateurs pourront découvrir les derniers volets de l'enquête de la journaliste Chanel Rion, dont l'objectif assumé est de "démanteler les accusations sans fondement des démocrates dans le procès en destitution de Donald Trump." Lundi, ils suivront en direct l'intégralité du meeting du président dans le New Hampshire. Sur OAN, qui se présente comme une chaîne d'info généraliste, Trump est omniprésent. Quand le président lui-même n'est pas le sujet d'un reportage laudateur, son style et son ton se retrouvent dans le discours des animateurs stars de la chaîne, un trio de fans qui se relaient chaque jour sur la tranche 20 heures-23 heures. Sur ce créneau, regarder OAN, c'est comme lire un interminable tweet signé @realDonaldTrump.

"Beyoncé et Jay-Z haïssent l'Amérique" 

La preuve avec Graham Ledger, être hybride entre Colin Farrell et Michel Galabru. Ce vétéran de l'info locale à San Diego, berceau d'OAN, prend l'antenne après le flash de 20 heures. Aucun doute : ses éléments de langage sont ceux du "Commander in chief". "Aujourd'hui, se tiennent les soi-disant arguments de clôture du procès", lance-t-il pour inaugurer le premier sujet de son émission : cette "farce" de procédure de destitution. Le sénateur Mitt Romney, l'un des rares sénateurs républicains en faveur de l'impeachment (destitution) est démonté dans les règles de l'art, Graham Ledger le qualifiant de "maillon faible""mesquin" et "puéril""C'est triste !"

Le présentateur de "The Daily Ledger", sur la chaîne pro-Trump One America News, Graham Ledger.  (Capture d'écran)

Si les programmes d'opinion sont légion outre-Atlantique, le présentateur n'exprime les siennes que dans les termes préférés du président-twitto. "Pathétique", "idiot", "idiot pathétique"... Ce ne sont pas les combinaisons qui manquent. Le vocabulaire présidentiel instaure ici une connivence entre OAN, le chef d'Etat et son audience. Quand, au cours de son émission, le présentateur décrit ironiquement le fils de Joe Biden comme "un génie très stable" (formule célèbre que Trump s'applique à lui-même), regard malicieux à l'appui, l'hommage au président ne fait aucun doute. 

Les attaques tous azimuts s'enchaînent ensuite, sans transition ni nuances. Le démocrate John Kerry, soutien du très modéré Joe Biden, défend le contrôle des armes à feu ? "Les gauchistes attaquent le second amendement." Beyoncé et Jay-Z sont restés assis pendant l'hymne américain joué avant la finale du Super Bowl ? Ce sont "des bouffons filmés en flagrant délit de pitoyable démonstration de leur haine de l'Amérique". Subtil mouvement de tête de Graham Ledger, qui désapprouve, blasé. Mais le présentateur est surtout inquiet. En effet, le réalisateur Michael Moore soutient Bernie Sanders, preuve s'il en faut une que les communistes lorgnent sur le rêve américain. "Il est un marxiste socialiste. Il est aveuglé par sa haine radicale et son idéologie anti-américaine !", s'indigne Ledger, lancé dans une tirade sur la nécessité de protéger la Constitution américaine de "ces débiles pathétiques" et autres "marxistes socialistes". 

Sujet suivant : la menace que représentent les élues démocrates Rashida Tlaib et Ilhan Omar. Dans un extrait diffusé à l'antenne, les deux femmes huent Hillary Clinton lors d'un meeting de Bernie Sanders. Retour plateau sur la mine consternée de "Colin Galabru" : "Vous imaginez la tête de ceux qui ont rédigé notre Constitution face à ces bouffonnes anti-Américaines qui siègent au Congrès ?" Traduction pour les téléspectateurs conservateurs qui n'auraient pas suivi : leur bête noire de 2016 paraît bien "modérée" face aux "socialistes" en embuscade pour le scrutin de 2020.

"Nous avons la preuve en vidéo" 

Ce soir du 3 février, la débâcle des démocrates empêtrés dans des difficultés de comptage des résultats des caucus de l'Iowa comble les présentateurs d'OAN. Il est à peine 21 heures quand la présentatrice Liz Wheeler s'engouffre dans la brèche, semant aussitôt la graine du soupçon : "Je ne suggère pas qu'il y a des fraudes. Mais nous mettons en lumière le fait qu'elles sont possibles." Son premier invité, le président du think tank conservateur Judicial Watch, assure d'ailleurs que ses équipes ont relevé des irrégularités dans les listes d'émargement. Peu importe qu'il s'agisse d'une rumeur propagée par des figures conservatrices, et démentie par les autorités – républicaines – de l'Iowa. La jeune femme au débit de mitraillette et à l'allure robotique s'indigne et dénonce une manipulation partisane : "Il faut faire éclater la vérité !"

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Thanks to the fan who sent me this.

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Aux frontières de la mauvaise foi, Liz Wheeler entreprend alors de "fact checker les mensonges du spot publicitaire [du candidat démocrate] Michael Bloomberg". A l'aide d'un éditorialiste conservateur joint par webcam, elle tranche : le spot, dans lequel une mère endeuillée raconte la mort par arme à feu de son fils afin de demander un meilleur contrôle des ventes d'armes, est "triste", certes, mais mensonger. Elle accuse le clip de gonfler les chiffres du nombre d'enfants tués par balle chaque année, en y incluant les adolescents ("le fils de la dame qui parle avait 20 ans"), les victimes de la violence entre gangs ou les jeunes auteurs de suicide. 

Puis c'est au tour des propos de Pete Buttigieg d'être décortiqués. "Il a déclaré que tous les 64 millions d'électeurs de Donald Trump étaient racistes. Est-ce la position du parti démocrate ?", se demande Liz Wheeler avant de diffuser une vidéo du démocrate de 38 ans. La séquence montre un journaliste en train d'interroger le candidat : "Pensez-vous que les électeurs de Donald Trump sont racistes ?" Réponse de l'intéressé : "Je pense qu'ils feignent d'ignorer le racisme." Résumé de Liz Wheeler : "Pete Buttigieg dit donc que les électeurs de Trump sont racistes." Et quand un éditorialiste, seul contradicteur de la soirée, l'accuse de "déformer ses propos", il se fait couper la parole : "Mais c'est la même chose !", rit la présentatrice. 

Nous avons tous vu l'extrait.

Liz Wheeler, présentatrice

sur OAN

L'argument est imparable, et Liz Wheeler en use souvent au cours de la soirée. Comme lorsqu'elle assure le service après-vente des vieilles déclarations de Donald Trump sur les émeutes de Charlottesville, en août 2018. "Tout le monde sait que quand il a dit qu'il y avait des gens bien des deux côtés, il parlait des deux côtés du débat sur la statue du général Lee et que cela ne concernait pas les suprémacistes blancs", analyse-t-elle. Là encore, "nous avons la preuve en vidéo". 

"Dès que je peux, je regarde OAN"

Et ça marche. Dès le mois de mai 2019, ce traitement a valu à la petite chaîne les salutations du chef de l'Etat : "Vos audiences sont en progression parce que vous faites du bon boulot", a-t-il tweeté. En août, il assume de zapper de plus en plus Fox News, la chaîne conservatrice à qui il reproche de relayer des sondages qui lui sont défavorables : "Dès que je peux, je regarde OAN". A tel point que des soutiens du milliardaire envisagent de la racheter, selon le Wall Street Journal. Pour en arriver là, la chaîne lancée le 4 juillet 2013 (jour de la fête nationale américaine) n'a pas lésiné sur le brossage dans le sens de la mèche, rappelle le San Diego Union Tribune "Président Trump, OAN a diffusé un documentaire spécial de 30 minutes sur vos accomplissements. Nous aurions pu le faire durer 30 minutes de plus. Mais vous, vous n'avez pas encore tweeté ce que vous en avez pensé", l'a ainsi interpellé son créateur, le millionnaire Robert Herring Sr, sur Twitter.

Sous son impulsion, la chaîne a été la première à épouser à fond le "trumpisme". Puisqu'il s'agit moins d'une idéologie que d'une façon de présenter les faits, Robert Herring a adapté la recette à l'antenne, revisitant l'actualité à la sauce Maison Blanche. Selon une enquête publiée par The Daily Beast, le patron de la chaîne, friand de théories du complot, dicte la ligne éditoriale. Robert Herring "n'était qu'un vieux monsieur avec une poignée de théories du complot et il fallait qu'on les relaie", témoigne un ancien présentateur. "On les appelait les histoires 'H'. C'était le cas de toutes les histoires incroyablement ridicules" dont la chaîne s'est fait l'écho. Quant aux infos traditionnelles, elles passent toutes à travers le prisme des idées prônées par le chef de l'Etat. Exemple lundi, avec l'épidémie de coronavirus. Dans son flash, une journaliste décrit un fléau qui vient "plomber l'économie chinoise déjà mise à mal par la guerre commerciale menée par Donald Trump". 

Un seul et unique décor, aucune star, des intervenants consultés via webcams, des images achetées ou glanées sur les réseaux sociaux, peu, voire pas, de journalistes sur le terrain... OAN est incapable de rivaliser en termes de budget avec sa rivale, Fox News. Mais son approche de l'actualité en a fait l'ultime machine à flatter le président. Alors que Donald Trump se lance dans la campagne pour sa réélection, la chaîne constitue un nouveau maillon du dispositif conservateur américain. Si les arguments développés par les analystes de Fox News se réincarnent en tweets de Trump, les tweets de Trump, eux, finissent par donner naissance aux analyses de One America News. En résulte un formidable outil de promotion réciproque. Une bête médiatique qui s'autoalimente et compte bien, de ce fait, se maintenir au pouvoir.  

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