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Mort de George Floyd : six questions sur les "antifa", que Donald Trump veut classer parmi les organisations terroristes

Accusée de mener les pillages aux Etats-Unis, cette mouvance, ancrée à l'extrême gauche, désigne des individus et des groupes actifs qui militent contre le racisme, l'homophobie, ou encore le capitalisme néolibéral.

Article rédigé par franceinfo
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Un manifestant masqué défile à New York (Etats-Unis), le 1er juin 2020, pour réclamer après la mort de George Floyd à la suite de son arrestation à Minneapolis. (TIMOTHY A. CLARY / AFP)

Les affrontements survenus à Minneapolis (Minnesota) après la mort de George Floyd font tache d'huile dans plusieurs grandes villes américaines et Donald Trump a désigné des responsables. "Les Etats-Unis d’Amérique vont qualifier les 'antifa' d’organisation terroriste", a tweeté le président américain, dimanche 31 mai. Autrement dit, il souhaite les placer sur la liste d'entités comme le groupe Etat islamique ou encore Al-Qaïda. Pour y voir plus clair, franceinfo décrypte ce qu'est la mouvance des "antifa" outre-Atlantique, son rôle dans les manifestations actuelles et ce que les autorités américaines peuvent réellement faire face à elle.

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1Qui sont les "antifa" aux Etats-Unis ?

A l'origine, le terme "antifa" est la contraction d'Action antifasciste. Celle-ci désignait, dans la première partie du XXe siècle, les groupes socialistes qui luttaient contre Benito Mussolini en Italie et Adolf Hitler en Allemagne. Le mouvement s'est ensuite réveillé aux alentours des années 1970-1980 en Europe avec l'arrivée de skinheads neo-nazis sur la scène punk britannique et la recrudescence du neo-nazisme en Allemagne.

Aux Etats-Unis, l'histoire et les luttes sont en partie différentes. Là-bas, le mouvement antifa moderne a débuté dans les années 1980 avec des groupes qui se réclamaient initialement de l'"action antiraciste". Les militants qui se revendiquent aujourd'hui "antifa" luttent notamment contre le racisme et en faveur de la justice sociale, notamment pour les droits des minorités."Nous croyons et luttons pour un monde sans fascisme, racisme, sexisme, homo/transphobie, antisémitisme, islamophobie ni haine", a expliqué le groupe "antifa" de New York, sur Twitter.

Les "antifa" américains sont extrêmement actifs contre les groupuscules néo-nazis ou encore les suprémacistes blancs. Le New York Times* souligne ainsi que la mouvance antifasciste s’inscrit dans une "constellation de mouvements militants qui se sont rassemblés ces dernières années pour s'opposer à l'extrême droite".

En 2002, par exemple, des militants ont perturbé le discours du chef de file de la World Church of the Creator (devenue depuis le Creativity Movement), un groupe suprémaciste blanc, en Pennsylvanie. En 2007, le Rose City antifa de Portland (Oregon), l'un des plus anciens groupes antifascistes des Etats-Unis, a fait annuler un festival de musique néo-nazi.

La popularité des mouvements "antifa", plutôt marginaux, a connu une forte croissance outre-Atlantique lorsque Donald Trump est arrivé à la Maison Blanche, rapportait le magazine The Atlantic*, en 2017.

2Quelles sont les méthodes des groupes "antifa" ?

La confrontation directe face à ceux qu'ils dénoncent et combattent est devenue monnaie courante. Des groupes "antifa" se sont notamment illustrés en août 2017 en organisant une contre-manifestation face des suprémacistes blancs à Charlottesville (Virginie). "Leur rôle est de contrer la droite suprémaciste aux Etats-Unis ou de faire des contre-manifestations pour s'opposer aux mobilisations de l’extrême droite", a expliqué à France 24 Denis Lacorne, directeur de recherche au Centre de recherches internationales (Ceri) à Sciences-Po, et auteur du livre Les frontières de la tolérance.

Lors des événements de Charlottesville, plusieurs médias américains, comme CNN, avaient pointé les actions violentes des "antifa". "Vous devez rendre tellement insupportable d'organiser des rassemblements de suprémacistes blancs qu'ils ne voudront plus le faire. Et historiquement, c'est ce qui fonctionne. Il faut mettre son corps en travers de la route et s'exprimer dans une langue qu'ils comprennent. Et parfois, c'est la violence", avait notamment expliqué un militant à la chaîne américaine.

"Ce qu'ils essaient de faire maintenant est non seulement de devenir importants à travers la violence lors de ces rassemblements très en vue, mais aussi de tendre la main à travers de petites réunions et sur les réseaux sociaux pour attirer des progressistes qui étaient jusqu'ici pacifiques", a estimé auprès de CNN* Brian Levin, directeur du Centre d'études de la haine et de l'extrémisme à l'université d'Etat de Californie à San Bernardino.

Le Centre de recherche du Congrès américain se montre plus nuancé. Selon lui, les groupes "antifa" sont majoritairement non-violents, mais certains militants "sont prêts à commettre des crimes pour promouvoir leurs idées".

3Qui sont ceux qui manifestent depuis la mort de George Floyd ?

Difficile d'établir une photographie détaillée de celles et ceux qui battent le pavé pour réclamer justice après la mort de l'Afro-Américain de 46 ans. Néanmoins, Romain Huret, historien spécialiste des Etats-Unis et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), a tenté de dresser un début de portrait sur RFI"Ce sont des militants, pour beaucoup, de la gauche américaine. Gauche qui est en plein renouveau depuis une vingtaine d'années", a-t-il avancé. Selon lui, on trouve parmi les manifestants "des militants afro-américains, des militants de la gauche, du monde écologique, issus du mouvement social". Leur but : "Afficher leur horreur face à ce qui s'est déroulé la semaine dernière et demander une plus grande justice sociale et raciale dans les rues des Etats-Unis aujourd'hui."

Samedi soir à Washington, devant la Maison Blanche, "la foule criait 'George Floyd', 'Black lives matter' ('Les vies noires comptent'), ou encore 'Don't shoot' ('Ne tirez pas')", rapportait le correspondant de franceinfo dans la capitale américaine, précisant que plusieurs centaines de personnes, jeunes et moins jeunes, étaient réunies pour crier leur colère.

"Ce que cherchent les manifestants et ce qu'expriment les protestations violentes à l'échelle du pays, c'est la justice. La justice raciale et la justice sociale face à des décennies d'abandon", a estimé au micro de franceinfo Caroline Rolland-Diamond, professeure d'histoire des Etats-Unis à l'université Paris Nanterre.

4Les "antifa" mènent-ils les pillages ?

Donald Trump s'est monté hâtif en pointant la responsabilité de groupes "antifa" dans les saccages, si l'on en croit des responsables politiques et certains chercheurs. "Plusieurs groupes terroristes nationaux, d'extrême gauche et d'extrême droite, fomentent et commettent des actes de violences et des pillages", a déclaré, dimanche sur Twitter, le républicain Marco Rubio, président de la Commission sénatoriale du renseignement.

Dans le Minnesota, l'Etat où George Floyd est mort, les responsables estiment que les troubles sont créés à la fois par des groupes d'extrême droite, des anarchistes et des gangs locaux.

Dans plusieurs villes, des magasins de marques de luxe, de vêtements de sport ou de nouvelles technologies ont été les cibles des pillards. Dans la nuit de dimanche à lundi, à Washington, le siège de la principale centrale syndicale des Etats-Unis a été vandalisée. Difficile, sur les images, de trancher et de déterminer s'il s'agit de personnes se revendiquant "antifa".

Il est certain que des militants antifascistes ont participé aux violences, selon Mark Bray, historien à l'université Rutgers et auteur du livre L'antifascisme : son passé, son présent et son avenir. Mais, selon lui, il est impossible de déterminer leur nombre exact car les groupes sont de petite taille et agissent chacun de leur côté. En outre, ils "ne sont pas assez grands pour causer tout ce pour quoi Donald Trump les blâme", explique-t-il dans un article publié sur le site du Washington Post*.

Alors, quelles sont les personnes qui participent aux pillages et aux émeutes ? Le démocrate Tim Walz, gouverneur du Minnesota, a déclaré que des informations non vérifiées faisaient état de suprémacistes blancs à l'origine des violences, a relaté la radio publique américaine NPR*."La vérité, c'est que personne ne sait vraiment", a pour sa part assuré Keith Ellison, le procureur général du Minnesota, cité par le New York Times.

Surtout, une écrasante majorité de manifestations en soutien à George Floyd et au mouvement Black Lives Matter se déroule sans heurts, souligne Romain Huret. A Los Angeles (Californie), par exemple, les habitants se mobilisent pacifiquement contre les violences policières, sans connaître certaines dérives constatées dans d'autres villes, relève Le Monde (article payant). Autre exemple à Minneapolis, point de départ de la contestation : toute la ville n'est pas ravagée par des débordements, comme l'a montré un journaliste sur place.

5Les "antifa" peuvent-ils vraiment être classés comme organisation terroriste ?

Les vélléités de la Maison Blanche risquent de se heurter à des obstacles. "Seul le secrétaire d'Etat américain peut désigner une organisation terroriste – et il s’agit de la désignation [d’une organisation] étrangère, pas nationale", a rappelé sur Twitter Bruce Hoffman, membre du groupe de réflexion Council on Foreign Relations et spécialiste du terrorisme. L'un des plus anciens sites de vérification, Factcheck.org, abonde dans ce sens*.

De fait, les organisations qui figurent sur cette fameuse liste sont non américaines, comme le groupe Etat islamique, Al-Qaïda ou encore les Gardiens de la Révolution islamique iranienne. Par ailleurs, les "antifa" ne constituent pas une seule et même organisation nationale, mais un ensemble de collectifs autonomes fonctionnant sans hiérarchie.

Pourtant, le gouvernement américain a déjà amorcé un virage. William Barr, ministre de la Justice, a annoncé que le FBI était chargé d'identifier les casseurs. "La violence organisée et menée par les 'antifa' et d'autres groupes similaires (...) relève du terrorisme intérieur et sera traitée comme tel", a-t-il écrit dans un communiqué.

6Pourquoi Donald Trump a-t-il les "antifa" dans son viseur ?

La menace de Donald Trump représente "une manœuvre de la droite pour délégitimer ce mouvement de protestation", estime Mark Bray. "C'est la technique classique de Donald Trump. Il est maintenant président mais il cherche toujours un coupable extérieur", commente auprès de franceinfo la politologue Célia Belin, spécialiste de l'Amérique du Nord et chercheuse invitée à la Brookings Institution. "Quand c'est le coronavirus, c'est la Chine qui est coupable. Quand il y a des émeutes raciales aux Etats-Unis, c'est la faute de groupuscules tels que les 'antifa'", ajoute-t-elle.

C'est aussi une technique classique de la droite américaine de diaboliser la gauche radicale, parce que cela lui permet de cacher une partie de sa propre radicalité.

Célia Belin, politologue

à franceinfo

"S'il y a des 'antifa' impliqués, ils sont du côté des manifestants et ne sont qu'une minorité", estime la spécialiste. Quant aux casseurs, "il y a beaucoup de loups solitaires". La chercheuse souligne également que "nous sommes au milieu d'une crise économique très grave, qui frappe particulièrement toutes les communautés de couleur et les classes sociales déjà fortement appauvries. Donc s'agit-il de crimes d'opportunité ? C'est tout à fait possible".

*Tous les liens signalés par une astérisque sont en anglais

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