"Cela va poser des problèmes plus compliqués qu’on ne croit" : à Istanbul, Sainte-Sophie devient désormais payante pour les touristes étrangers

L'ex-basilique Sainte-Sophie reconvertie en mosquée depuis 2020 est payante à partir de ce lundi 15 janvier pour tous les touristes étrangers. Une décision qui doit permettre, notamment, de financer les travaux de restauration, mais qui est loin de faire l'unanimité.
Article rédigé par Marie-Pierre Vérot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
L’accès à Sainte Sophie devient payant pour les touristes étrangers à partir de lundi 15 janvier (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)

Le tarif est de 25 euros l’entrée. De quoi faire tiquer Souad, venue de Lyon, qui sortait tout juste de Sainte-Sophie, ce week-end. "Non, mais c’est de la folie, c’est de l’abus. Heureusement qu’on l’a fait aujourd’hui, on a eu de la chance !", réagit-elle. 

Sainte-Sophie, basilique byzantine transformée en mosquée lors de la prise de Constantinople, puis en musée par Atatürk, est redevenue mosquée en 2020 lorsque le président Erdogan a souhaité, disait-il, "la rendre aux musulmans turcs" et l’ouvrir à tous gratuitement. Mais depuis lundi 15 janvier 2024, l’accès devient finalement payant pour les touristes étrangers. 

L'entrée de Sainte-Sophie sera désormais de 25 euros pour les touristes étrangers. (MARIE-PIERRE VEROT)

Il y a désormais deux entrées distinctes : les touristes seront donc dirigés vers la fontaine Ahmed III derrière Sainte-Sophie. Le billet leur donnera accès à la galerie supérieure actuellement fermée. L’étage inférieur, lui, restera réservé à la mosquée, dévolu aux prières. Visiteurs étrangers et croyants, assure le gouvernement, pourront ainsi profiter de l’édifice sans se gêner. Mais il s’agit surtout de financer les travaux de restauration, précise Hayre, guide à Sainte-Sophie. "La restauration des monuments est tellement chère", assure-t-il.

"Quand on paye l’entrée, il est possible de faire la restauration plus facilement"

Hayre, guide à Sainte-Sophie

à franceinfo

La transformation de Sainte-Sophie en mosquée et son accès gratuit ont en effet attiré des dizaines de milliers de visiteurs supplémentaires. Les dégradations sur les portes en bois, sur le sol en marbre inquiétaient la direction du patrimoine. L’entretien de l’édifice grève le budget d’un État déjà en crise. Il fallait donc trouver de l’argent frais, note le chercheur Jean-François Pérouse. "C’est le principe de réalité, la raison économique prend le dessus. Après cette décision généreuse, les calculs ont vite conduit à pratiquer cette discrimination, parce c’est bien une discrimination. L’étranger musulman, comment sera-t-il considéré ? Cela va poser des problèmes plus compliqués qu’on ne croit. Et cela écorne aussi un peu le projet généreux initial d’ouverture à tous gratuitement", analyse le spécialiste.

"Cela traduit une volonté de faire du profit sur le dos des touristes"

Jean-François Pérouse, chercheur

à franceinfo

Comment, en effet, établir cette distinction entre l’étranger qui vient en visite et celui qui souhaite prier ? Muharrem n’est pas trop inquiet. Il vend des simits, ces pains turcs typiques devant Sainte-Sophie depuis une trentaine d’années. "Il y a des gardes à l’entrée qui vont faire le tri. Ils poseront quelques questions pour savoir si les gens savent prier, s’ils savent faire leurs ablutions...", explique-t-il.

Muharrem vendeur de simits devant Sainte Sophie (MARIE-PIERRE VEROT / RADIO FRANCE)

Toutefois, il regrette sa transformation en mosquée. "Pour moi ce serait mieux qu’elle soit entièrement reconvertie en musée. D’abord cela peut aider les finances de l’Etat et la population turque, et puis il y a déjà assez de moquées Sultanahmet, Ayasofya, Firuzaga etc.", poursuit-il. D’autant que, désormais les touristes ne passeront plus devant son stand de petits pains. Et ça, ajoute Muharrem, "ce n’est pas très bon pour mes affaires".

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