De quelle marge de manœuvre dispose vraiment la France face à l'offensive turque en Syrie ?
Depuis mercredi dernier, la Turquie a lancé une offensive dans le nord de la Syrie. Les moyens de pression dont dispose Paris pour contraindre Ankara à cesser son opération militaire semblent limités.
La France condamne, mais que peut-elle faire de plus ? Depuis mercredi 9 octobre, la Turquie a lancé une opération militaire dans le nord de la Syrie afin d'instaurer une "zone de sécurité" de 32 km de profondeur pour séparer la frontière turque des territoires contrôlés par les Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde qualifiée de "terroriste" par Ankara.
Depuis le début l'offensive turque la semaine passée, quelque 104 combattants kurdes et plus de 60 civils ont été tués, selon un dernier bilan de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). La France, par l'intermédiaire d'Emmanuel Macron et du ministère des Affaires étrangères, appelle chaque jour la Turquie à mettre fin à cette opération. Mais comment peut-elle se faire entendre par Ankara ? Franceinfo fait le point.
Que dit la France sur l'offensive turque ?
Des déclarations pour condamner. C'est l'une des principales réponses de la France à l'offensive turque en Syrie. Depuis le début de cette opération militaire, il ne se passe pas une seule journée sans une déclaration française sur le sujet. Ainsi, dès mercredi dernier, Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, déclarait sur Twitter qu'il condamnait cette "opération unilatérale lancée par la Turquie en Syrie". "Elle doit cesser", ajoutait-il.
Je condamne l'opération unilatérale lancée par la Turquie en Syrie. Elle remet en cause les efforts sécuritaires et humanitaires de la Coalition contre Daech et risque de porter atteinte à la sécurité des Européens. Elle doit cesser. Le Conseil de sécurité est saisi.
— Jean-Yves Le Drian (@JY_LeDrian) October 9, 2019
Le lendemain, c'était au tour d'Emmanuel Macron, lors d'une conférence de presse à Lyon, d'appeler la Turquie "à mettre un terme le plus rapidement possible" à son offensive, qui "risque d'aider Daech à reconstruire son califat". "Je condamne avec la plus grande fermeté l'offensive militaire unilatérale en Syrie et j'appelle la Turquie à y mettre un terme le plus rapidement possible", poursuivait le président de la République.
Je condamne avec la plus grande fermeté l’offensive militaire unilatérale qui est en cours en Syrie. J’appelle la Turquie à y mettre un terme le plus rapidement possible. La Turquie fait courir un risque humanitaire à des millions de personnes.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 10, 2019
Vendredi, même discours. L'offensive turque en Syrie doit cesser "au plus vite", a martelé Emmanuel Macron lors d'une conversation téléphonique avec son homologue américain, Donald Trump. Dans la nuit de dimanche à lundi, l'Elysée a publié un nouveau communiqué après la réunion du Conseil de défense et de sécurité nationale dans lequel il est écrit que "la France condamne dans les termes les plus fermes" cette offensive turque.
Quelles sont les actions concrètes déjà mise en œuvre par Paris ?
Emmanuel Macron tente d'être à la manœuvre en essayant de mobiliser la communauté internationale sur le sujet. "La France accentuera ses efforts diplomatiques, en étroite coordination avec ses partenaires de la coalition contre Daech, dans le cadre de l'Union européenne, de l'Otan et du Conseil de sécurité des Nations unies, pour obtenir la cessation immédiate de l'offensive turque en cours", indique le communiqué de l'Elysée publié dimanche soir.
Le couple franco-allemand s'est également mobilisé sur la question. "Nous avons échangé, qui avec le président (américain) Trump, qui avec le président (turc) Erdogan, et nous avons passé le message clair de notre volonté commune que cette offensive cesse", a indiqué Emmanuel Macron dimanche avant un dîner avec la chancelière allemande, Angela Merkel, à l'Elysée.
La France a également pris des mesures "pour assurer la sécurité des personnels français militaires et civils présents dans la zone" et annoncé "un programme de réponse humanitaire d'urgence" en faveur des populations locales. Mais la mesure la plus contraignante pour la Turquie a été prise samedi avec la fin de l'exportation de matériels de guerre, qui pourraient être utilisés dans cette opération, vers la Turquie.
La France a décidé de suspendre tout projet d'exportation vers la Turquie de matériels de guerre susceptibles d'être employés dans le cadre de l'offensive en Syrie.
Les ministères des Armées et des Affaires étrangères
"Cette décision est d'effet immédiat", ont précisé les deux ministères dans un communiqué.
Et au niveau européen ?
Réunis lundi 14 octobre à Luxembourg, les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont également condamné l'opération turque. "L'UE condamne l'action militaire de la Turquie qui compromet gravement la stabilité et la sécurité de l'ensemble de la région", annoncent-ils dans une déclaration commune. Ils ont décidé d'adopter des "mesures restrictives visant les personnes physiques et morales responsables ou impliquées dans des activités illégales de forage d'hydrocarbures en Méditerranée orientale".
Les Etats membres n'ont, en revanche, pas réussi à imposer un embargo européen global en raison de l'opposition du Royaume-Uni, qui avance comme argument le fait que la Turquie est membre de l'Otan. Les pays de l'UE se sont simplement engagés, comme l'a donc fait la France, à "adopter des positions nationales fermes concernant leur politique d'exportation d'armements vers la Turquie", relève la déclaration commune à l'issue du conseil des Affaires étrangères de l'UE.
Ces mesures sont-elles efficaces ?
Les déclarations de condamnation sont, de l'avis des spécialistes interrogés par franceinfo, inefficaces. "Les Etats-Unis ne reviendront probablement pas sur leur décision et, du côté d'Erdogan, les rapports sont ce qu'ils sont avec la France et l'UE. Paris ne peut pas grand-chose", tranche Philippe Moreau Defarges, chercheur à l'Ifri (l'Institut français des relations internationales). "Ce n'est pas efficace, certes, mais il faut le faire pour montrer que nous nous sommes opposés", nuance Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint à l'Iris (l'Institut de relations internationales et stratégiques).
Concernant l'arrêt des ventes d'armes à la Turquie, les deux chercheurs sont partagés. Pour Philippe Moreau Defarges, "la Turquie va se tourner vers d'autres pays, comme la Russie, la Chine, voire l'Iran. Le pays n'a pas à s'inquiéter de ce côté-là : trouver des armes, c'est très facile." Au contraire, Jean-Pierre Maulny estime que c'est "un signal important".
Mettre un pays de l'Otan sous embargo d'exportations d'armes, c'est important, c'est une façon de rejeter la Turquie de la communauté internationale.
Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Irisà franceinfo
Quelles sont les autres options envisageables ?
La France peut-elle imposer des sanctions économiques à la Turquie ? "Il peut effectivement y en avoir mais ce ne sera pas au niveau de la France mais au niveau de l'UE", explique Jean-Pierre Maulny. La réunion du conseil des Affaires étrangères n'a rien évoqué en ce sens. Quid d'une intervention militaire française ? Impossible, assurent les spécialistes. "Une intervention militaire ne peut avoir lieu. La seule possibilité, ce serait une opération de plusieurs Etats, avec les Etats-Unis, développe Philippe Moreau Defarges. Or, en la matière, l'UE, en plus de la France, se résume à deux Etats : l'Allemagne, qui est très réticente pour envoyer des troupes, et le Royaume-Uni, qui, pris dans le Brexit, ne fera rien".
La France ne fera absolument rien sur le plan militaire, le président n'y songe absolument pas.
Philippe Moreau Defarges, chercheur à l'Ifrià franceinfo
La seule solution serait donc d'ordre politique et diplomatique. "Le plus important, c'est d'obtenir l'arrêt des combats, c'est la question de la solution politique. Il faut voir si la France peut entraîner l'Union européenne pour proposer une médiation", conclut Jean-Pierre Maulny.
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