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Syrie : cinq raisons de penser que la trêve ne va pas être respectée

Moscou et Washington ont négocié un plan qui doit entrer en vigueur, lundi dans la soirée. Mais ce cessez-le-feu doit faire face à de nombreux écueils.

Article rédigé par franceinfo
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Le secrétaire d'Etat américain John Kerry et le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, le 9 septembre 2016, à Genève. (KEVIN LAMARQUE / AFP)

Dix mois de tentatives infructueuses pour aboutir à une trêve fragile. La guerre qui dure depuis cinq ans en Syrie est devenue extrêmement complexe. Dans ce contexte, le plan conclu à Genève, vendredi 9 septembre, entre les Etats-Unis et la Russie pour réduire les violences est une bonne nouvelle, mais il n'en est pas moins fragile.

D'autant plus qu'un influent groupe rebelle syrien a rejeté cet accord, qui doit entrer en vigueur, lundi dans la soirée. Franceinfo livre cinq raisons de penser que les affrontements vont se poursuivre en Syrie.

1Le plan est complexe et comporte plusieurs étapes

La trêve, qui doit entrer en vigueur à 18 heures (heure de Paris), a été approuvée par Damas. En face, un groupe islamiste a critiqué ce plan et l'opposition syrienne réclame des "garanties" sur son application. Ce cessez-le-feu est prévu pendant 48 heures. S'il tient, il pourrait être renouvelé de nouveau pour 48 heures.

Le site américain Vox résume (en anglais) le plan en quatre phases : d'abord un cessez-le-feu, puis une séparation entre "bons" et "mauvais" rebelles, c'est-à-dire convaincre les rebelles de se dissocier de leurs alliés jihadistes. Ensuite, une offensive russo-américaine doit être lancée contre les groupes jihadistes avant d'obtenir un accord de paix entre Bachar Al-Assad et les rebelles.

Concrètement, les Russes doivent obtenir du président syrien qu'il cloue son aviation au sol. En contrepartie, les Américains exigent des insurgés qu'ils rompent avec les jihadistes. Américains et Russes doivent créer un centre de commandement commun pour mener les frappes contre les forces du groupe Etat islamique, mais aussi de l'ex-Front Al-Nosra (qui était affilié à Al-Qaïda).

2Les précédentes trêves se sont soldées par des échecs

Evidemment, si cette trêve, qui doit conduire à une désescalade des violences, suscite des doutes, c'est que les précédentes initiatives ont toutes échoué. Un premier accord russo-américain de "cessation des hostilités", entré en vigueur le 27 février, a volé en éclats après des violations répétées des différents belligérants. D'ailleurs, l'annonce de cette trêve n'a pas fait baisser les violences avant qu'elle entre en vigueur.

Plus tôt dans l'année, un cessez-le-feu, censé entrer en vigueur le 11 février, conformément à un accord parrainé par Moscou et Washington, avait lui buté sur la poursuite des bombardements russes et syriens sur Alep, rappelle Le Monde. 

Sans oublier que Bachar Al-Assad ne semble pas disposer à faire de grands efforts. Le président syrien a, en effet, affirmé, lundi, vouloir "reprendre" tout le territoire qui échappe au contrôle du régime, quelques heures avant l'entrée en vigueur de ce nouvel accord de cessation des hostilités. "Les forces armées vont poursuivre leur travail sans hésitation (...) et indépendamment des facteurs extérieurs et intérieurs", a-t-il ajouté.

3Les Etats-Unis redoutent un double-jeu de la Russie

Pour Le Figaro (article payant), dans son édition de lundi, la Russie "apparaît comme la grande gagnante de la partie diplomatique qui s'est jouée à Genève". Le journal relève que "même si le sort de Bachar Al-Assad n'est pas évoqué, le fait que les Américains aient demandé aux Russes de faire pression sur le régime pour qu'il cloue ses avions au sol implique la reconnaissance de son rôle dans le règlement du dossier". Or, les rebelles exigent la tête du président syrien.

Par ailleurs, le Pentagone redoute que les Russes soient surtout intéressés par le centre de commandement qui permettrait de récolter des informations sensibles, explique le New York Times (en anglais). Ils pourraient se servir des données pour apprendre comment les Américains identifient et attaquent leurs cibles. Selon le Guardian, "le Pentagone, et certains au sein du département d'Etat, doutent que la Russie ait l'intention ou la détermination de contrôler l'armée de l'air syrienne".

Ces suspicions sont attisées par l'attitude la Russie, qui a profité de la période de négociations préalables à la trêve pour aider Damas à imposer un siège aux quartiers rebelles d'Alep.

4L'Iran a été tenu à l'écart

Autre obstacle de taille : l'Iran n'est pas associé au plan de trêve et l'accord ne mentionne pas la présence de milices chiites étrangères, comme le Hezbollah. Or, Téhéran est très impliqué aux côtés de Bachar Al-Assad et "ne poursuit pas forcément les mêmes objectifs que Moscou en Syrie. Les vélleités du Kremlin d'assouplir son soutien à Bachar Al-Assad ont plus d'une fois été refroidies par Téhéran", selon Le Figaro qui précise toutefois que l'Iran a salué l'accord de cessez-le-feu. De même que le Hezbollah, son bras armé libanais.

5Les rebelles n'accordent pas une grande confiance aux Etats-Unis

Washington doit convaincre les groupes rebelles dits "modérés" de se dissocier de Fateh Al-Cham (l'ex-Front Al-Nosra). Un allié de poids, aguerri, bien organisé, qui avait notamment permis de briser le siège d'Alep. Pour les rebelles, comment faire confiance à Washington ? Quand le régime syrien a utilisé des armes chimiques et franchi la "ligne rouge" fixée par Barack Obama, ce dernier n'a pas levé le petit doigt. Se sentant trahie, l'opposition armée s'est rapprochée de certains groupes terroristes puissants.

Aujourd'hui, Charles Lister, spécialiste des mouvements jihadistes, indique au Guardian avoir "parlé avec des chefs de plusieurs dizaines de factions armées ces dernières semaines" et "pas un n'a suggéré la moindre volonté de se retirer des lignes de fronts où le Front Al-Nosra est présent. Pour eux, se comporter ainsi serait céder du territoire au régime, car ils croient peu au maintien d'un cessez-le-feu sur le long terme". Néanmoins, "l'opposition armée en Syrie fait maintenant face à ce qui est peut-être sa plus grande et plus importante décision, depuis qu'elle a choisi de prendre les armes contre d'Al-Assad, en 2011".

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