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Tribune Des avocats plaident pour "le rapatriement en France" de tous les enfants de jihadistes français et de leurs mères retenus dans les camps en Syrie

Au lendemain du rapatriement de dix enfants de jihadistes français retenus dans des camps de déplacés sous contrôle kurde en Syrie, sept avocats plaident dans une tribune publiée mardi sur franceinfo pour le retour en France, avec leurs mères, des enfants français qui sont toujours retenus dans ces camps.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
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Des enfants dans le camp d'Al-Hol, dans le désert syrien, le 28 mars 2019. A l'origine prévu pour 5 000 personnes , il regroupe aujourd'hui les réfugiés comme les familles de combattants de Daech, soit 75 000 personnes en tout. (GIUSEPPE CACACE / AFP)

Dix enfants de jihadistes français ont été rapatriés de Syrie dans la nuit de dimanche à lundi, a annoncé lundi 22 juin le ministère français des Affaires étrangères. "La France a procédé ce jour au retour de dix jeunes enfants français mineurs, orphelins ou cas humanitaires, qui se trouvaient dans des camps du nord-est de la Syrie", a-t-il indiqué dans un communiqué. Au total, 28 enfants français ont été rapatriés de Syrie depuis l'effondrement du groupe État islamique en mars 2019.

Dans une tribune publiée mardi 23 juin sur franceinfo, sept avocats impliqués dans la défense du droit de ces enfants interpellent le gouvernement. Ils rappellent qu'un peu plus de 200 enfants français sont toujours retenus dans ces camps "gangrenés par la violence, la malnutrition, la maladie et la misère" et demandent "le rapatriement en France de tous ces enfants et de leurs mères". 


La France a rapatrié lundi matin dix enfants qui étaient détenus depuis plus d’un an dans les camps de Roj et d’Al-Hol au nord-est syrien. Certains sont orphelins et d’autres ont laissé derrière eux une mère et des frères et sœurs. Tous ont vécu en zone de guerre avant de pénétrer dans ces camps gangrenés par la violence, la malnutrition, la maladie et la misère.

Il reste un peu plus de 200 enfants français dans ces deux camps administrés par les autorités locales kurdes. Les deux tiers de ces enfants ont moins de six ans, et tous vivent dans la même tente que leurs mères depuis des mois et parfois des années.

Certains sont nés dans ces tentes, y ont fait leurs premiers pas, et ont prononcé leurs premiers mots dans ce sinistre décor que d’aucuns nomment un 'Guantanamo pour enfants'

Les signataires de la tribune

D’autres se souviennent parfaitement de leurs écoles, de leurs grands-parents et de leur pays, et se demandent quelle faute ils ont bien pu commettre pour que la France leur interdise de rentrer.

Le lien qui unit ces femmes et leurs enfants est éminemment fusionnel parce que marqué par la violence de leur environnement. Ensemble, ils ont connu le pire et sont confinés depuis des années dans un univers de quelques mètres carrés traversé par le froid, la canicule, la malnutrition et les maladies. 

La figure maternelle est le seul repère que ces enfants connaissent ; leur unique refuge.

les signataires de la tribune

Certaines de ces femmes, ne supportant plus de voir leurs enfants exposés au pire et privés de tout, ont envisagé le retour de leurs enfants sans elles. Mais la violence de la séparation est telle, tant pour elles que pour eux, que la plupart ont dû y renoncer. Et puis, comment imaginer que ces enfants rentrés seuls en France évolueront sereinement en sachant leurs mères, leurs frères et leurs sœurs abandonnés dans cette tente où ils ont grandi avec eux ? Quel sentiment de culpabilité sera le leur ? Que vont-ils comprendre de ce pays, leur pays, qui a accepté de les sauver à charge pour eux de laisser leur mère souffrir là où ils ont souffert avec elle ? Quelle sera leur histoire de France ?

"Aider ces enfants à comprendre et à s'approprier leur histoire"

Nous connaissons le traumatisme des enfants qui, expulsés de Turquie avec leurs mères parvenues à s’échapper de ces camps, en sont séparés à leur arrivée en France. Mais ils savent qu’ils reverront leur mère dans le cadre de visites médiatisées au parloir de la maison d’arrêt où elle est incarcérée ; ils s’envoient des dessins, des lettres, et le lien entre eux perdure. Mieux, il est travaillé avec des pédopsychiatres, des éducateurs, et des spécialistes pour aider ces enfants à comprendre et à s'approprier leur histoire. Ces passerelles n’existent pas pour les enfants rentrés seuls des camps syriens avec pour seul bagage la souffrance de leur mère et de leur fratrie laissées derrière eux. "Il est essentiel de ne pas les séparer ni de les emmener loin de leur mère, et de maintenir le lien affectif qui a pu se construire", rappelait le neuropsychiatre Boris Cyrulnik dans une tribune publiée en novembre dernier. Et si nous respectons le choix douloureux consenti par ces femmes, nous ne pouvons que condamner le pays qui les oblige.

Depuis deux ans et récemment encore, les autorités kurdes demandent aux pays européens de rapatrier tous leurs ressortissants majeurs et mineurs.

Les signataires de la tribune

Les ministres irakiens ont rappelé à la France que leur pays n’était pas une "poubelle à jihadistes", et plus personne aujourd’hui n’oserait faire allusion à la mise en place d’une juridiction internationale qui ne verra jamais le jour. Ces mères s’évadent du camp d’Al Hol avec leurs enfants pour tenter de rejoindre la Turquie afin d’être expulsées vers la France. Certaines y parviennent malgré les risques d’enlèvements auxquels elles s’exposent, d’autres ont disparu avec leurs enfants sans que personne ne sache qui les détient.

Toutes ces femmes ne sont judiciarisées qu’en France : elles font l’objet d’une information judiciaire antiterroriste, d’un mandat d’arrêt international français, et certaines ont déjà été condamnées par défaut à de très lourdes peines. Le coordonnateur des juges antiterroristes français, Monsieur David de Pas, a publiquement considéré qu’il fallait "une volonté politique de rapatriement", précisant que la France encourrait un "risque de sécurité publique" en refusant de prendre en charge judiciairement ses ressortissants. Le directeur du Centre d’analyste du terrorisme, Monsieur Brisard, a toujours soutenu la même position. Le Conseil de l’Europe, les Comités onusiens, le Secrétaire général de l’ONU, le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme,  l’UNICEF et le Parlement européen ont appelé les États européens à rapatrier les enfants avec leurs mères. Plus récemment, un communiqué conjoint des ministres des Affaires étrangères du groupe restreint de la coalition internationale contre Daech reconnaissait que la situation de ces familles était "très préoccupante" et qu’il convenait de "trouver une solution globale à ce problème".

Cette solution implique le rapatriement en France de tous ces enfants et de leurs mères dans le respect du droit international et de l’intérêt supérieur des enfants concernés. Poursuivre cette doctrine du cas par cas, qui résonne comme un "fait du prince" incompréhensible, en la saupoudrant du retour de quelques poignées d’enfants arrachés à leurs mères et à leurs fratries ajoute du traumatisme ici et là-bas. Chaque jour passé est un jour perdu, et il est temps désormais que la France organise le retour de tous ces enfants et de leurs mères en France.

Retrouvez ci-dessous la liste des signataires :

William Bourdon
Emmanuel Daoud
Marie Dosé
Henri Leclerc
Martin Pradel
Ludovic Rivière
Gérard Tcholakian

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