Accord sur le nucléaire : "Le retour de l'Iran sur la scène internationale est de toute première importance"
Azadeh Kian, professeur de sociologie politique à l’université Paris 7 Diderot et spécialiste de l'Iran, revient sur l'accord historique trouvé à Genève sur le programme nuclaire de Téhéran.
Ce n'est qu'un accord intérimaire, mais il n'en est pas moins historique : les "5+1", membres du Conseil de sécurité de l'ONU et Allemagne, ont trouvé dans la nuit du samedi au dimanche 24 novembre un accord avec Téhéran pour mettre un frein au programme nucléaire iranien.
En dix ans, c'est la première fois qu'une étape aussi importante est franchie vers une normalisation des relations entre l'Iran et la communauté internationale. Azadeh Kian est professeur de sociologie politique à l’université Paris 7 Diderot et membre du CNRS. Elle a consacré de nombreux ouvrages à l’Iran dont elle est originaire.
Pour francetv info, elle explique les coulisses et implications de l’accord conclu à Genève entre l’Iran et les puissances occidentales.
Comment cet accord a pu voir le jour ?
Azadeh Kian : Selon moi, c’est l’implication américaine qui a permis ce premier pas. Pour la première fois en effet, les Etats-Unis ont pris part directement aux négociations. L’engagement du président Obama a été remarquable dans ce dossier. On sait d’ailleurs que les discussions ont commencé bien avant l’arrivée au pouvoir d’Hassan Rohani en juin dernier.
Côté iranien, la question du nucléaire et des sanctions occidentales était l’un des grands enjeux de la récente campagne électorale. Lors des débats télévisés, le candidat Rohani avait parlé de l’acquisition nécessaire d’une capacité nucléaire civile, tout en adressant des signes apaisants aux autres pays du monde.
Une fois élu, il a désigné Mohammad Javad Zarif, son ministre des affaires étrangères, pour conduire les négociations. Il avait donc réussi à ce qu’elles ne passent plus par le conseil de la sécurité nationale, ce qui a très certainement permis d’aller de l’avant. On le voit bien : de chaque côté de la table des négociations, le souhait de parvenir à un accord était bien réel.
Qui peut bénéficier de ce premier accord ?
Un peu tout le monde. Les Iraniens d’abord, avec l’assouplissement des sanctions qui pèsent sur le pays depuis 2006. La pauvreté et le chômage atteignent des niveaux dramatiques.
Mais aussi, la paix mondiale. L’Iran compte 77 millions d’habitants, très bien formés pour la plupart. Avec une quinzaine de voisins, c’est un pays carrefour dont on ne pouvait plus se passer. Et c'est ce que les Américains, fortement impliqués dans plusieurs régions du monde, ont bien compris.
Où que l’on se tourne, l’Iran possède une influence notable. Avec l’Afghanistan, il possède 900 km de frontières. L’élite de Kaboul parle la même langue que les Iraniens, les liens sont historiques. Avec l’Irak, il y a en partage le chiisme majoritaire et les Kurdes qui ont trouvé refuge en Iran sous l’ère Saddam Hussein. Les liens d’amitié entre les acteurs des deux pouvoirs sont bien réels. Avec la Syrie, l’aide financière et militaire au régime de Bachar Al-Assad - et avant à celui de son père - est substantielle.
Ajoutons que l’Iran a contribué à la naissance du hezbollah libanais, qu’elle a soutenu un temps, une partie du Hamas en Palestine, et vous constaterez que le retour sur la scène internationale d’un tel interlocuteur est un événement de toute première importance.
Soit, mais cet accord est provisoire, il fait l’objet de critiques, peut-il survivre à terme ?
Il n’est que le début d’un processus. Les néoconservateurs américains sont furieux, les israéliens désapprouvent, et même en Iran, les ultraconservateurs sont très mécontents. Ils seront donc nombreux à vouloir torpiller cette nouvelle dynamique mondiale.
Pour que cela réussisse, il faut que de part et d’autre il y ait des contreparties concrètes, par exemple de l’oxygène pour l’économie iranienne et de la transparence sur l’enrichissement nucléaire. Si tout cela embraye correctement, les modérés pourront se maintenir au pouvoir, être confortés, et devenir un facteur d’espoir dans un monde à l’équilibre précaire.
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