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Retard politique, arrestations multiples, retraits d'argent limités... Pourquoi la situation au Liban est-elle à nouveau tendue ?

Le pays a vécu, samedi, la journée la plus violente depuis le début du mouvement de contestation, qui dure depuis quatre mois.

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants construisent une barricade dans les rues de Beyrouth (Liban), le 18 janvier 2020. (XEUHMA / HANS LUCAS)

Quatre mois de turbulences et une colère qui n'a jamais autant débordé. Près de 400 personnes ont été blessées, samedi 18 janvier, dans les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre à Beyrouth, la capitale libanaise. Il s'agit de la journée la plus violente depuis le début du mouvement de contestation qui secoue le Liban. Franceinfo vous explique pourquoi la situation se tend de nouveau ces derniers jours.

Parce que la classe politique traîne à agir

Le regain de mobilisation s'explique avant tout par le retard pris dans la formation d'un nouveau gouvernement. Deux mois après la démission de l'ancien Premier ministre Saad Hariri, et quatre semaines après la désignation de son successeur Hassan Diab, le Liban est en effet toujours au point mort. 

Une situation que ne supportent pas les manifestants, qui ont le sentiment que leurs dirigeants ne prennent pas la mesure de la gravité de la crise. "Les Libanais, tous les Libanais, avaient donné une chance aux promesses de voir la formation d'un gouvernement salvateur pour les tirer du marasme économique et social, loin de la politique politicienne... Mais ils voient qu'ils avaient surestimé cette chance donnée et que la promesse de la formation du gouvernement s'éloigne pour disparaître totalement du fait de jeux politiques malvenus et malsains", écrit L'Orient Le Jour.

Et les "jeux politiques" devraient encore durer. Hassan Diab, qui n'a toujours pas formé d'équipe, entend privilégier un gouvernement "de technocrates indépendants"... alors que le président de la République et le président de la Chambre souhaitent de leur côté voir un gouvernement techno-politique. "Il y a une voie pour calmer la tempête populaire, a tweeté l'ancien chef du gouvernement Saad Hariri, dimanche. Assez perdu de temps, formez un gouvernement et ouvrez la porte à des solutions politiques et économiques". C'est dans ce contexte que le budget 2020, qui aurait dû être adopté dès fin octobre, devrait encore être ajourné, selon une source du quotidien Al-Akhbar.

Parce que les banques ont limité les retraits

Ces derniers jours, la contestation s'est de nouveau concentrée sur les établissements bancaires du pays, que les manifestants jugent en partie responsables de la situation. Des dizaines de personnes se sont rassemblées devant la Banque centrale à Beyrouth, mais également devant d'autres établissements partout dans le pays. Des projectiles (pierres, poteaux de signalisation, branches d'arbres...) ont été lancés sur des vitrines de banques. Car les restrictions draconiennes imposées sur les retraits financiers ne passent pas.

En effet, les banques libanaises n'autorisent plus qu'un retrait maximum de 200 dollars par semaine et par personne. "Les banques ont appliqué en toute illégalité une procédure où les gens ne peuvent pas retirer leur argent. Ce qui équivaut à une déclaration de faillite des banques, explique l'économiste syrien Samir Aita sur RFI. (...) Les gens sont limités à prendre, suivant leur banque, entre 200 et 400 dollars par semaine alors qu'ils ont leurs avoirs et qu'ils ont beaucoup de dépôts en dollars dans les banques."

C'est une situation où les gens paniquent sur la valeur de leurs avoirs et sur la façon dont ils vont pouvoir vivre avec des biens ou de l'argent qu'ils possèdent et que les banques refusent de leur donner.

Samir Aita, économiste

sur RFI

Alors que la livre locale a déjà perdu la moitié de sa valeur, trois millions de Libanais pourraient bientôt vivre sous le seuil de pauvreté, estime la Banque mondiale.

Parce que les arrestations se multiplient

Rien que samedi, journée la plus violente depuis le début du mouvement de contestation qui secoue le pays, une trentaine de personnes ont été interpellées, rapporte l'agence officielle ANI. Cinq jours plus tôt, mardi, "59 personnes soupçonnées d'actes de vandalisme et d'agressions" avaient déjà été interpellées, selon les forces de l'ordre.

Elles ont également procédé à l'arrestation de 56 personnes mercredi soir, y compris cinq mineurs, selon le comité des avocats pour la défense des manifestants. Jeudi, le procureur général près la Cour de cassation a toutefois ordonné la libération de tous les détenus, à l'exception des auteurs "d'actes de vandalisme ou de ceux faisant l'objet de mandats d'arrêt précédents", détaille l'agence nationale de l'information (ANI).

Cette multiplication des arrestations inquiète Amnesty International. "C'est une attaque inquiétante contre la liberté de réunion et d'expression, peut-on lire dans un communiqué. Les forces de sécurité ont frappé violemment des manifestants, les traînant dans la rue jusqu'au poste de police, les insultant et les brutalisant physiquement. Elles ont également tiré de grandes quantités de gaz lacrymogènes dans des quartiers d'habitation". 

Les Forces de sécurité intérieure du Liban ont utilisé une force excessive et illégale contre les manifestants (...) rouant de coups de nombreux militants et procédant à des vagues d'arrestations arbitraires de manifestants pacifiques.

Lynn Maalouf, directrice des recherches à Amnesty International

dans un communiqué

Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs ont partagé une vidéo montrant des membres des forces de l'ordre, dans une caserne de police, en train de frapper violemment des personnes présentées comme des manifestants à leur descente d'un fourgon. Evoquant cette vidéo sur leur compte Twitter, les forces de sécurité intérieure ont annoncé l'ouverture d'une enquête. "Tout agent qui a agressé des détenus sera interpellé", selon un tweet.

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