Guerre au Proche-Orient : charismatique, cruel, représentant d'une ligne dure… Qui est Yahya Sinouar, le nouveau dirigeant du Hamas ?
Il est l'ennemi numéro un de l'Etat hébreu. Déjà leader du mouvement dans la bande de Gaza depuis 2017, Yahya Sinouar a été élu par les instances dirigeantes du Hamas, mardi 6 août, à la tête du bureau politique pour succéder à Ismaïl Haniyeh, tué à Téhéran (Iran) dans une frappe attribuée à Israël. Franceinfo revient sur le profil du nouveau leader du groupe armé palestinien, introuvable depuis l'attaque terroriste du 7 octobre 2023.
Considéré comme le cerveau de l'attaque du 7 octobre
Avant d'être élu chef du bureau politique du Hamas, Yahya Sinouar, 61 ans, était depuis 2017 le chef de file du mouvement islamiste palestinien à Gaza. Il est présenté par Israël comme le commanditaire des massacres du 7 octobre 2023, menés par des commandos du Hamas, qui ont fait plus de 1 200 morts en Israël. "C'est sa stratégie, c'est lui qui a monté l'opération", probablement pendant un an ou deux, explique à l'AFP Leïla Seurat, du Centre arabe de recherches et d'études politiques (Carep) à Paris.
"Yahya Sinouar est le commandant... et c'est un homme mort", avait martelé le porte-parole des forces de défense israéliennes, Daniel Hagari, au lendemain de l'attaque, selon The Times of Israël. "Nous trouverons Sinouar et nous l’éliminerons !", avait martelé le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, le 4 novembre.
Surnommé le "boucher de Khan Younès"
Yahya Sinouar a vu le jour en 1962 dans le camp de réfugiés de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, qui était à l'époque sous administration égyptienne. Originaires d'Ashkelon, ses parents étaient venus se réfugier à Khan Younès après la Nakba, exil forcé de centaines de milliers de personnes après la création de l'Etat d'Israël en 1948.
Il rejoint le Hamas peu après sa fondation, en 1987, à l'occasion de la première Intifada dans un camp de réfugiés du nord de la bande de Gaza. Un an plus tard, il participe à la fondation du Majd, le service de sécurité intérieure du Hamas, relate l'European Council on Foreign Relations.
A 25 ans, il dirige l'unité de renseignement du Hamas qui punit les "collaborateurs", ces Palestiniens châtiés pour intelligence avec l'ennemi israélien. Ses différentes actions au sein du mouvement terroriste lui valent le surnom de "boucher de Khan Younès".
Il gagne, à cette époque, la confiance du fondateur du Hamas, cheikh Ahmed Yassine, et les deux hommes deviennent "très, très proches", explique à la BBC Kobi Michael, chercheur à l'Institut d'études de sécurité nationale de Tel-Aviv.
Il a passé une partie de sa vie dans les prisons israéliennes
Yahya Sinouar est incarcéré en 1988 et ne ressortira de prison qu'en 2011. Durant son incarcération longue de vingt-trois années, le détenu s'impose en leader des prisonniers. "En prison, il en profite pour étudier la société israélienne et apprendre l’hébreu. Il acquiert au fil des ans une certaine renommée auprès des détenus palestiniens, qui le désignent comme l’un de leurs représentants", explique pour France Culture la cartographe Delphine Papin, autrice d'une "BD cartographique" qui retrace sa trajectoire.
Dans des extraits de ses interrogatoires publiés par des médias israéliens, il raconte notamment avoir enlevé un traître, conduit au cimetière de Khan Younès : "Je l'ai mis dans une tombe et étranglé avec un keffieh (...). J'étais sûr qu'il savait qu'il méritait de mourir."
En 2004, il subit un accident vasculaire cérébral en prison et survit grâce à l'aide d'un dentiste israélien dont le témoignage a été récolté par franceinfo. Il est finalement relâché en 2011 avec plus d'un millier de détenus libérés par Israël, en échange du soldat Gilad Shalit, alors otage du Hamas. Yahya Sinouar rejoint le bureau politique du Hamas dans la bande de Gaza et s'occupe des liaisons avec les Brigades al-Qassam, la branche armée du mouvement.
Un homme invisible depuis plus d'un an
Yahya Sinouar n'est pas apparu en public depuis près d'un an. L’armée israélienne affirme l'avoir filmé dans un tunnel de la bande de Gaza, le 10 octobre 2023, trois jours après les attaques sanglantes ayant visé Israël. "On ne sait pas où il se trouve ; il se fond dans la population et est rompu aux méthodes de subversion. Il échappe aux renseignements israéliens", résume à franceinfo Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l'université Schiller.
Selon les informations du journal Le Monde, l'armée israélienne suspectait, au lendemain de l'attaque du 7 octobre, sa présence dans les tunnels de la bande de Gaza en compagnie de son frère Mohammed Sinouar, responsable du Hamas à Khan Younès.
Celui qui est désormais "le visage du diable" ou le "mort en sursis", selon les termes de l'armée israélienne, est une véritable cible à abattre pour l'Etat hébreu. Avant même sa nomination à la tête du Hamas, l'armée israélienne proposait déjà "de l'argent pour révéler où se cachait Sinouar et où se trouvaient les tunnels", a raconté Mahmoud al-Zaanine, l'un des Gazaouis qui ont témoigné auprès de l'AFP de torture des forces israéliennes.
La récente nomination de Yahya Sinouar "est une raison supplémentaire de l'éliminer rapidement et de rayer de la carte cette ignoble organisation", considérée comme terroriste par les Etats-Unis, l'Union européenne et Israël, selon le ministre israélien des Affaires étrangères, Israel Katz.
Le représentant d'une "ligne dure"
Il est présenté comme un dirigeant "charismatique" et "cruel" par les différents interlocuteurs sollicités sur le sujet. "Je n'ai jamais connu quelqu'un d'aussi cruel que Yahya Sinouar", a raconté un ancien des services secrets israéliens au correspondant de Radio France à Jérusalem. Celui qui a interrogé à plusieurs reprises le Palestinien en prison se souvient d'un "homme intelligent, vif et charismatique mais [qui] n'avait pas de sentiments". "Il parlait avec froideur et indifférence, rien ne le touchait", se remémore-t-il.
"Yahya Sinouar dispose d'un charisme et d'un ascendant sur l'ensemble du mouvement [du Hamas]", analyse la politologue Myriam Benraad. Une personnalité forte avec la mainmise sur le mouvement, ce qui risque de compliquer toute éventuelle tentative de négociations "avec les autres dirigeants [du Hamas] plus modérés", poursuit la chercheuse. Cette nomination peut ainsi être vue "comme un message de défiance". Elle "traduit très clairement la militarisation de ce conflit ; on est sur une ligne dure du Hamas", ajoute-t-elle.
Sur le plan politique, Yahya Sinouar, placé sur la liste américaine des "terroristes internationaux" depuis 2015, rappelle L'Orient-Le Jour, prône une direction palestinienne unie pour tous les Territoires occupés : la bande de Gaza, tenue par le Hamas, la Cisjordanie, administrée par le Fatah de Mahmoud Abbas, et Jérusalem-Est. "Il a fait savoir qu'il punirait quiconque tenterait d'entraver la réconciliation avec le Fatah", rappelle l'European Council on Foreign Relations.
Yahya Sinouar est également proche de l'Iran. Dans un discours prononcé en 2021 et dont la BBC se fait l'écho, le Palestinien a exprimé sa gratitude pour le soutien iranien, militaire et financier notamment, au mouvement : "S'il n'y avait pas eu l'Iran, la résistance en Palestine n'aurait pas eu les moyens dont elle dispose aujourd'hui", déclarait-il.
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