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Iran : de quoi cette photo d'une femme tête nue est-elle le symbole ?

Pour la quatrième nuit consécutive, des manifestants sont descendus dimanche soir dans la rue dans plusieurs villes du pays, dont la capitale Téhéran, pour protester contre le gouvernement et les difficultés économiques. Au total, 12 personnes, dont dix manifestants, ont péri dans les violences qui ont émaillé les protestations.

Article rédigé par franceinfo
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Capture d'écran d'une photo montrant une femme tête nue à Téhéran, retweetée par l'opposante iranienne féministe Maryam Namezie, en exil à Londres, le 31 décembre 2017.  (DR)

La photo de cette Iranienne, tête nue, a circulé lors des derniers jours de 2017 sur les réseaux sociaux. Elle est souvent reprise et partagée comme un symbole de la protestation en cours en Iran. Cette image, pourtant, est antérieure aux manifestations contre la vie chère qui se déroulent dans une dizaine de villes iraniennes depuis jeudi 28 décembre, et durant lesquelles douze personnes ont été tuées et des dizaines d'autres arrêtées. Franceinfo répond à trois questions autour de cette image devenue virale.

D'où vient cette photo ?

Ce cliché, explique Le Monde, a été publié pour la première fois sur Facebook et Instagram par une journaliste iranienne habitant aux Etats-Unis, Masih Alinejad. Il a été posté le 28 décembre, jour de la première manifestation contre l'austérité dans une ville iranienne, à Machhad.

فيلم؛ ميدان انقلاب چهارشنبه و اعتراض نمادين به حجاب اجباري. یک وقتهایی تاریخ را میخوانیم و از شهامت و جسارت امثال رزاپارکس ها برای به چالش کشیدن قدرت و اعتراض به ظلم و تبعیض غرق حیرت و حسرت میشویم... در حالی که حالا صدها و هزاران رزا پارکس ایرانی هستند که با همان شجاعت و با همان سرسختی به قوانین مرتجع و عقب مانده و تبعیض آمیز اعتراض میکنند و متاسفانه کمتر دیده میشوند و در بسیاری از مواقع با پوزخندی از کنارشان می‌گذریم. On Wednesday, Enghlab Ave. this brave woman who hung her scarf on a stick and waved it in the air in protest to compulsory hijab This girl was arrested by the security guards after her demonstration and the group of young people who supported her were also arrested. The girl was speaking about freedom to choose one’s own outfits and other youth were supporting her. The demand movement is advancing. Do you think the regime will respond to the demand for social rights? The Iranian police took a step back today and announced that from now on no one will be arrested for not wearing the hijab! #چهارشنبه_های_سفید #چهارشنبه_های_بدون_اجبار #whitewednesdays #نه_به_حجاب_اجباری

Une publication partagée par Masih Alinejad (@masih.alinejad) le

Pourtant, révèle Le Monde, en citant sa correspondante sur place Ghazal Golshiri, "cette photo n'a rien à voir avec les manifestations. Elle a été prise avant." En effet, Masih Alinejad a précisé sur son fil Instagram que le cliché avait été pris la veille, mercredi 27 décembre, à Téhéran.

Cette photo fait partie d'une série publiée par la journaliste pour dénoncer les obligations vestimentaires imposées aux femmes en Iran. Et elle a été prise trois jours avant que la contestation ne gagne la capitale iranienne, samedi 30 décembre.

Qui a fait circuler cette photo ?

Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, des opposants au régime iranien ont largement fait circuler le cliché sur les réseaux sociaux. Ainsi, la militante féministe iranienne Maryam Namazie, qui vit à Londres, a retweeté le dessin stylisé de la jeune femme devenue une "icône" brandissant son foulard au bout d'une pique.

Si elle a été largement reprise par des féministes iraniennes en exil opposées au régime des mollahs, cette image a aussi servi au site américain Breitbart pour illustrer les manifestations en cours. Ce média d'extrême droite, qui soutient Donald Trump, n'a jamais caché son animosité contre l'Iran. Lundi 1er janvier, le président des Etats-Unis a d'ailleurs appelé à un changement de régime dans ce pays : "La richesse de l'Iran est confisquée, comme les droits humains. Il est temps que ça change."

Le voile est-il le motif de ces manifestations ? 

Non, répondent les spécialistes. Le mouvement de contestation actuel est dû à une austérité qui s'éternise, selon des experts interrogés par l'AFP. "Ce qui fait descendre les Iraniens dans la rue le plus souvent, ce sont des problèmes économiques ordinaires, la frustration face au manque d'emplois, l'incertitude par rapport à l'avenir de leurs enfants", explique ainsi Esfandyar Batmanghelidj, fondateur du Europe-Iran Business Forum. Selon lui, les troubles de ces derniers jours ont été provoqués par des mesures économiques comme les réductions des budgets sociaux ou l'augmentation des prix des carburants annoncées il y a quelques semaines.

S'y ajoutent, selon le géographe Bernard Hourcade, spécialiste de l'Iran et directeur de recherche au CNRS interrogé par franceinfo, une forte déception. "Après l'accord sur le nucléaire signé le 14 juillet 2015, tout le monde disait : 'les capitaux vont revenir en Iran' (...) Les Iraniens s'attendaient à ce que dans les mois qui suivent, on voit se créer des entreprises et des emplois. Or, la réalité est bien loin de cela." Entre autres, poursuit-il, parce que "les Etats-Unis poursuivent leur embargo sur l'Iran" et que "les Américains menacent de sanctions toutes les entreprises internationales qui investiraient en Iran". 

Correspondante du Figaro au Proche-Orient et auteure de Je vous écris de Téhéran, la journaliste Delphine Minoui résume ainsi la situation :

Mais il y a bien une mobilisation contre le port du voile en Iran ?

Oui, des femmes se mobilisent pour avoir le droit de ne plus porter le hijab dans l'espace public. Et cela ne date pas d'hier : une publication de la BBC en juin 2017 rendait compte de la campagne virale #WhiteWednesdays (mercredis blancs), à laquelle ont participé de nombreuses Iraniennes en postant des photos d'elles enlevant leur voile. L'opération a notamment été lancée par Masih Alinejad, la journaliste à l'origine de cette nouvelle photo, qui lutte depuis plusieurs années contre les diktats vestimentaires imposés par le régime iranien, depuis la révolution islamique de 1979. 

Mais les choses semblent commencer à changer. A Téhéran, la police a d'ailleurs décidé d'assouplir les règles, a annoncé son responsable, mercredi 27 décembre.  "Ceux qui ne respectent pas les codes islamiques ne seront plus placés en centres de détention et n'auront pas de casier judiciaire", a-t-il indiqué. Ce que le New York Times résume ainsi : "Au lieu d'être arrêtées ou de payer des amendes pour "mauvais hijab" (c'est-à-dire un voile ne couvrant pas totalement les cheveux), les femmes seront obligées de suivre un cours d'éducation à l'islam."

La photo de cette jeune femme est donc bien le symbole d'un combat, mais un peu différent de celui porté par les manifestants qui se relaient dans les rues iraniennes. A moins que les luttes ne convergent, avance Marianne : "Qu'il s'agisse de l'expression d'un malaise social, d'un ras-le-bol de la corruption ou d'une recherche de davantage de liberté, le mouvement apparaît comme multiple." L'avocate iranienne Shirin Ebadiprix Nobel de la paix 2003, veut y voir "le début d'un grand mouvement qui peut aller bien au-delà de la vague verte de 2009" qui s'était organisé après la réélection de l'ex-président conservateur Mahmoud Ahmadinejad. 

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