Référendum en Crimée : un rattachement à la Russie, cela changerait quoi ?
Les autorités de cette péninsule de 2 millions d'habitants organisent, dimanche, un référendum. Choix proposé aux électeurs : un rattachement à la Russie ou une autonomie renforcée vis-à-vis de l'Ukraine.
C'est l'heure du choix pour la Crimée. Un référendum doit permettre à 1,5 million d'électeurs d'opter pour un rattachement à la Russie ou une autonomie renforcée vis-à-vis de l'Ukraine, dimanche 16 mars. Même si la légalité de ce scrutin est contestée par la communauté internationale, son issue ne fait plus guère de doute : la Crimée, peuplée de quelque 2 millions d'habitants, devrait rejoindre la Russie.
Francetv info tente d'appréhender les conséquences de cet événement, à l'aide de la politologue spécialiste de la Russie Hélène Blanc, auteure avec Renata Lesnik de l'ouvrage Les Prédateurs du Kremlin, 1917-2009 (Seuil, 2009) et de Russia blues (Ginkgo éditeur, 2012).
Qu'est-ce que cela changerait pour la Crimée ?
"Ne soyons pas naïfs, la Crimée est en quelque sorte déjà rattachée à la Russie, donc le référendum devrait entériner une situation de fait", estime Hélène Blanc. La politologue décrit une péninsule "coupée du monde et déjà occupée par les forces militaires russes". En conséquence, les habitants ne devraient pas voir de changement majeur dans leur quotidien. D'ailleurs, la Crimée, qui jouit déjà d'une certaine autonomie par rapport à Kiev, pourrait garder un statut à part en rejoignant la Russie, selon Eric Aunoble, historien spécialiste de l'Ukraine à l'université de Genève, interrogé par Metronews.
Au niveau économique, la Crimée devrait rapidement passer à la monnaie russe, le rouble, comme le relate Courrier international. Pour Hélène Blanc, la région ne va rien y gagner, étant donné que "l'économie russe se porte très mal, avec une croissance qui dégringole". Vendredi, la Bourse de Moscou est d'ailleurs tombée à ses plus bas niveaux depuis 2009. "Les investisseurs paniquent en raison des sanctions probables et de l'isolement international", explique à l'AFP un trader qui travaille à Moscou. En outre, l'Ukraine fournit "85% des ressources d'eau de la péninsule et 82% de son électricité", affirme un expert ukrainien, qui assure que la Russie "ne sera pas capable de compenser à court terme" ces besoins.
Les grands perdants du référendum devraient être les Tatars qui vivent en Crimée. Ils représentent 12% à 15% de la population, et ont déjà commencé à partir vers l'ouest ukrainien. Ils ont d'ailleurs appelé à un boycott du référendum. Ni russophiles, ni Ukrainiens, les Tatars, d'origine turque et de confession musulmane, sont arrivés dans la péninsule au XIIIe siècle. Ils ont été déportés par le régime stalinien en 1944, car ils étaient accusés d'avoir aidé l'armée allemande : à l'époque, près de la moitié des déportés sont morts de faim ou de maladies. Et aujourd'hui, les Tatars pourraient bien, une nouvelle fois, "devenir les boucs émissaires de la région", indique Eric Aunoble.
Qu'est-ce que cela changerait pour la Russie ?
Pour Hélène Blanc, le référendum doit permettre au Kremlin de déguiser un "coup de force" sur la Crimée en opération démocratique, même s'il faut en passer par des "bourrages d'urnes". Vladimir Poutine veut donner l'impression "d'agir dans la légalité, en respectant les règles constitutionnelles", ajoute cette spécialiste de la Russie. Vendredi, le président russe a d'ailleurs déclaré que le référendum était conforme au droit international et à la charte de l'ONU. De son côté, un professeur de droit public interrogé par francetv info estime qu'une "sécession n'est ni autorisée, ni interdite par le droit international".
Le rattachement de la Crimée doit également rassurer la Russie sur le contrôle de sa base militaire de Sébastopol, qui lui donne un accès direct à la mer Noire, même si Hélène Blanc rappelle qu'un contrat de location accorde le contrôle de cette base à la Russie jusqu'en 2042. Il semblerait que l'apport principal de la Crimée pour la Russie se résume surtout en une victoire symbolique construite sur le mythe de la reconstruction d'une grande Russie, comme l'analyse le Le Monde.
Du point de vue économique, "il s'agit peut-être, pour Poutine, de remettre à flot l'économie de son pays avec une guerre", avance Hélène Blanc. Une stratégie délicate, concède la politologue. Les potentielles sanctions des Occidentaux, comme le gel des visas et des avoirs russes, "ne sont pas de taille à effrayer Poutine". Mais elles pourraient, en fonction de leur durée, affaiblir un peu plus l'économie russe et isoler le Kremlin. Dans Les Echos, le chercheur Dominique Moïsi évoque "une victoire à la Pyrrhus" pour Poutine, qui se retrouve à sacrifier l'enjeu principal, qui est l'Ukraine, pour cet enjeu secondaire, la Crimée.
Qu'est-ce que cela changerait pour l'Ukraine ?
Pour l'Ukraine, la perte de la Crimée correspond à l'amputation d'un territoire de 27 000 km2 (l'équivalent, en France, de la Bretagne) peuplé de 2 millions de personnes et qui lui donne un accès stratégique à la mer Noire. Si la péninsule, qui vit essentiellement du tourisme, ne représente pas une perte économique conséquente, c'est avant tout une perte symbolique.
Même si l'Ukraine a annoncé qu'elle n'interviendrait pas en Crimée en cas de rattachement de celle-ci à la Russie, Hélène Blanc se demande si le nouveau pouvoir de Kiev "va réellement accepter de perdre la Crimée si facilement". La chercheuse rappelle que l'Ukraine a développé un fort sentiment patriotique et que des manifestants sont morts, il y a quelques semaines, en luttant contre l'influence de la Russie.
Qu'est-ce que cela changerait pour les Occidentaux ?
Pour les Occidentaux, un rattachement de la Crimée à la Russie ressemblerait d'abord à une défaite diplomatique. Jusqu'au bout, les puissances européennes et les Etats-Unis ont tenté de trouver une issue à la crise en Crimée. Mercredi, François Hollande a demandé au président russe "de tout faire pour éviter un rattachement de la Crimée à la Russie, qui serait une annexion inacceptable pour la communauté internationale".
Mais pour Hélène Blanc, il n'y a plus que "les Etats-Unis qui sont en mesure de dialoguer avec Poutine et, dans une moindre mesure, l'Allemagne". Pour la politologue, "Poutine est totalement autiste et mène un double, voire un triple langage". En conséquence, la Russie et les Occidentaux ne se comprennent plus. "Les Russes sont d'excellents joueurs d'échecs, ils anticipent tous les coups de l'adversaire" et ne dévoilent pas leur stratégie, en menant une politique du secret.
De leur côté, les Européens continuent à craindre "la menace de coupure sans préavis du gaz russe", constate Hélène Blanc, qui ajoute : "L'erreur de base des Européens, c'est de ne pas avoir développé une politique claire et cohérente à 28, et de s'être contentés de petites protestations au lieu de mener un dialogue de fermeté."
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