Guerre en Ukraine : Volodymyr Zelensky face au spectre d'une désunion nationale après deux ans de guerre et des choix controversés

Article rédigé par Louis Dubar
France Télévisions
Publié
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Le président Volodymyr Zelensky près de la ville Avdiivka, dans la région de Donetsk, en Ukraine, le 29 décembre 2023, sur une photo communiquée par la présidence. (UKRAINIAN PRESIDENTIAL PRESS OFFICE / AP/ SIPA)
Le renvoi du très populaire général Valeri Zaloujny et une loi sur la mobilisation ont suscité de nombreuses réactions au sein de la société ukrainienne et des partis d'opposition.

D'un front uni aux divisions internes. Alors que l'Ukraine entre bientôt dans sa troisième année de guerre, Volodymyr Zelensky doit affronter dans son pays une vague de critiques au sein de l'opinion publique et des principaux partis d'opposition. Le président ukrainien, qui entame vendredi 16 février une nouvelle visite en France, ne peut plus pleinement compter sur l'union nationale qui s'était formée dans les premières heures de l'invasion russe, et qui s'effrite avec le temps. Et aux difficultés politiques s'ajoute une situation militaire jugée "préoccupante" par le nouveau commandant des armées.

Le très populaire général Valeri Zaloujny a en effet été remplacé à la tête des forces ukrainiennes par Oleksandr Syrsky, le 8 février. Un limogeage qui fragiliserait la nation, d'après l'ancien président Petro Porochenko. "Car de quoi ce pays a-t-il besoin pour surmonter ses difficultés ? D'unité", explique l'oligarque ukrainien dans un entretien accordé au quotidien belge L'Echo .

Le limogeage très politique d'un général populaire

Derrière la poignée de mains ferme, les sourires de façade et la complicité mise en avant sur la photo postée par Volodymyr Zelensky, le départ du commandant en chef des forces armées a fait des vagues au sein de la société ukrainienne. La relation entre les deux hommes s'était progressivement dégradée ces derniers mois, notamment après l'échec de la contre-offensive de l'été.

Le franc-parler du militaire en poste depuis 2021 a fini par agacer l'administration présidentielle. En novembre 2023, il avait confié à l'hebdomadaire britannique The Economist que la guerre s'enfonçait selon lui dans "une impasse", et jugé irréaliste l'objectif fixé par Volodymyr Zelensky de libérer rapidement les territoires occupés par les Russes. "C'est sans doute la véritable raison du renvoi du général", souligne auprès de franceinfo le député Oleksiy Hontcharenko, membre de Solidarité européenne, le parti de l'ex-président Petro Porochenko. "Il s'agissait d'un commentaire très éloigné de ce que disait publiquement le président sur la conduite de la guerre."

S'est ajoutée à cela une rivalité plus personnelle. La cote de confiance du "général de fer" a atteint des sommets depuis le début de la guerre : 88%, selon un sondage publié par l'Institut international de sociologie de Kiev en décembre. Alors que celle du chef de l'Etat s'effondre, passant de 84% à 62% en un an. Pour le député Mykola Kniazhytskyi, également membre de Solidarité européenne, le départ du général Zaloujny a permis au président de se débarrasser d'un futur rival politique. "Le problème n'est pas que Volodymyr Zelensky l'ait renvoyé (c'est son droit), mais c'est qu'il n'en ait pas expliqué les raisons. (...) Ce renvoi semble être le résultat d'une jalousie politique", commente sur Facebook le député de l'opposition.

Une loi sur la mobilisation qui risque de démoraliser les troupes

Ce changement de chef militaire intervient alors que l'armée ukrainienne fait face à une importante pénurie d'hommes. Kiev peine à trouver de nouveaux volontaires pour regarnir les rangs de ses unités décimées par les combats. Pour remédier à ce problème, le gouvernement a déposé un projet de loi controversé modifiant les règles de conscription, réduisant notamment l'age minimum des appelés de 27 à 25 ans. Un texte qui a provoqué la colère des oppositions et des débats électriques au Parlement.

Le principal point d'achoppement entre l'exécutif et les parlementaires concerne la durée à l'issue de laquelle un soldat est démobilisable. Avec ce texte, le gouvernement propose qu'une recrue ayant servi 36 mois sans interruption dans l'armée puisse retourner à la vie civile. Toutefois, comme le précise l'agence de presse Reuters, cette démobilisation ne sera pas automatique et devra être actée par le commandement militaire.

Tout au long des débats sur le projet de loi à la Rada, le Parlement ukrainien, l'opposition a réclamé de la clarté : "Le texte présenté par le gouvernement reste évasif et mentionne une démobilisation prévue après 36 mois, (...) il s'agit d'une période purement déclarative", critique Oleksiy Hontcharenko. A ses yeux, l'absence d'un principe d'automaticité risquerait "de créer un effet démoralisateur important" chez les recrues et les soldats déjà engagés. Si le projet de loi est adopté en deuxième lecture et promulgué en état, il prolongerait d'un an le service des soldats qui se battent depuis le début de l'invasion russe.

L'usure de la guerre et des élections suspendues

La résurgence de divisons au sein de la classe politique n'a rien d'étonnant. "Il est certain que nous nous disputons davantage, que nous débattons plus qu’au début de l’invasion, fait remarquer Oleksiy Hontcharenko. C’est comme cela que la démocratie doit fonctionner. Il doit y avoir des débats et des points de vue qui s'opposent."

Pour Cyrille Bret, spécialiste de l'Europe centrale et orientale, cette séquence marque une nouvelle étape dans la vie politique ukrainienne. "Il est normal qu'un conflit aussi long, sur la durée, suscite des dissensions politiques et un débat. En France, pendant la première Guerre mondiale, de nombreux gouvernements ont été renversés par l'Assemblée nationale", rappelle le chercheur associé à l'Institut Jacques-Delors. "D'autant plus que les élections n'ont pas eu lieu."

La loi martiale, en vigueur depuis bientôt deux ans, a mis sous cloche le jeu démocratique. Le président a successivement suspendu l'organisation des législatives et de la présidentielle, respectivement prévues en octobre 2023 et mars 2024. "Les politiques ukrainiens sont unis, mais évidemment, avec le temps, les différences d'approche s'affirment", analyse Cyrille Bret.

Et au sein de la société ukrainienne, cette guerre qui s'enlise provoque une certaine lassitude. Au point qu'un nombre croissant d'habitants ne défend plus la poursuite des combats à tout prix face à l'envahisseur. D'après une étude d'opinion réalisée par le think tank américain National Democratic Institute en novembre, ils sont 42% à être favorables à l'ouverture discussions diplomatiques avec la Russie pour mettre fin à la guerre, soit 13 points de plus qu'en janvier 2023.

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