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Guerre en Ukraine : quels sont les objectifs de la Russie vis-à-vis de la centrale nucléaire de Zaporijjia ?

Le site, situé sur la ligne de front, est sous contrôle de l'armée russe, mais il reste piloté par des Ukrainiens. Ces derniers mois, il a subi de nombreuses frappes, et même une brève déconnexion du réseau électrique ukrainien.

Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un soldat russe dans la centrale de Zaporijjia, le 1er mai 2022 à Energodar (Ukraine). (ANDREY BORODULIN / AFP)

Pas de refroidissement en vue. Le sort de la centrale nucléaire de Zaporijjia, dans le sud de l'Ukraine, reste très incertain, après bientôt six mois d'occupation par l'armée russe et une succession d'affrontements qui font planer le risque d'une catastrophe nucléaire. Si Kiev veut à tout prix récupérer le contrôle de la centrale et de ses six réacteurs, les intentions de Moscou restent pour le moins ambiguës. Franceinfo fait le point sur les agissements et les déclarations de la Russie concernant la plus grande centrale nucléaire d'Europe.

L'Ukraine accuse les troupes russes de se servir de la centrale comme d'un bouclier

Plutôt loquace lorsqu'il s'agit de l'invasion de l'Ukraine, qu'il continue de décrire comme une "opération militaire spéciale", Vladimir Poutine a attendu le 19 août pour s'exprimer publiquement sur la situation à Zaporijjia. Soit 168 jours après la prise de contrôle, le 4 mars, de la centrale par l'armée russe. Au cours d'un entretien téléphonique avec Emmanuel Macron, l'homme fort du Kremlin a accusé l'armée ukrainienne de bombarder le site, faisant ainsi peser le risque d'une "catastrophe à grande échelle", comme l'a rapporté le New York Times (en anglais).

A part cette pique lancée au camp adverse, Vladimir Poutine n'a rien laissé filtrer au sujet de cette centrale bordée par le fleuve Dniepr, qui est surtout située sur la ligne de front et subit régulièrement des tirs d'artillerie lourde. Depuis le début de la guerre, Moscou accuse l'armée ukrainienne de "sabotage" et de frappes dangereuses sur la centrale. En face, Kiev rejette ces accusations et répète que l'armée russe se sert de la centrale comme d'un bouclier, pour pouvoir tirer sur les Ukrainiens stationnés sur la rive nord du fleuve. Aucune source indépendante n'a pour l'instant permis d'identifier avec certitude les auteurs des frappes ayant touché la centrale.

"On sait déjà grâce à des images satellites que les Russes utilisent le site comme bouclier et comme arsenal : ils y ont entreposé des armes lourdes", commente dans Le Parisien Dimitri Minic, chercheur spécialiste de la géopolitique russe à l'Institut français des relations internationales (Ifri). "On sait aussi, sans exclure la possibilité de tirs ukrainiens, que la Russie est coutumière d'actions sous faux drapeau." Un type d'opération consistant à faire croire à une attaque ennemie.

L'opérateur ukrainien craint une récupération de la production électrique

La Russie pourrait-elle prendre le contrôle total de la centrale pour alimenter les territoires occupés et la Crimée voisine, qu'elle a annexée en 2014 ? C'est le scénario redouté par Petro Kotin, président d'Energoatom, l'opérateur nucléaire public ukrainien qui exploite la centrale de Zaporijjia. "Les militaires russes (...) mettent en œuvre le programme de Rosatom [l'opérateur nucléaire russe] visant à raccorder la centrale aux réseaux électriques de Crimée", a-t-il déclaré le 9 août à la télévision ukrainienne, avant de dérouler un scénario troublant.

"Pour ce faire, il faut d'abord endommager les lignes électriques de la centrale reliées au système énergétique ukrainien. Entre le 7 et le 9 août, les Russes ont déjà endommagé trois lignes électriques", a-t-il alerté. Jeudi 25 août, les autorités ukrainiennes ont annoncé que la centrale avait même été complètement déconnectée du réseau national à cause de dommages provoqués par l'armée russe, avant d'être reconnectée vendredi après-midi. Le Kremlin s'est défendu en assurant que le site nucléaire avait essuyé plusieurs frappes ukrainiennes les jours précédant l'incident.

"Couper le courant, c'est facile. Raccorder est plus compliqué", tempère toutefois Hervé Bodineau, expert à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), interrogé par Le Parisien. "Il me paraît difficile d'installer un chantier de construction de pylônes et de lignes à très haute tension au milieu d'une zone de guerre. Actuellement, la centrale est raccordée au Sud [occupé par les Russes] par une seule ligne très haute tension, de 330 kW. Elle n'est pas suffisante pour 'supporter' l'ensemble de la production de la centrale. La capacité de la ligne ne le permet pas."

La centrale est un moyen de pression pour les deux camps 

Sur la scène internationale, le spectre d'une catastrophe nucléaire même moins grave que celle de Tchernobyl en 1986 – représente un levier tant pour Kiev que pour Moscou. "Tout incident radioactif à la centrale nucléaire de Zaporijjia peut porter un coup aux pays de l'Union européenne, à la Turquie, à la Géorgie et à des pays de régions plus éloignées. Tout dépend de la direction et de la force du vent", alertait lundi 15 août le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui espère que cette crise majeure renforcera la mobilisation pour la cause ukrainienne.

De son côté, Vladimir Poutine dispose d'un puissant moyen de pression sur l'Ukraine et le reste de l'Europe, selon Sergueï Jirnov, ancien espion des services secrets russes. "Poutine veut faire chanter le monde entier avec la centrale de Zaporijjia", a-t-il déclaré au Figaro. Le bras de fer autour de la centrale offrirait, toujours selon l'ex-agent secret, un peu de répit au maître du Kremlin : "Il veut une pause, car il est épuisé et il ne peut rien faire". Une thèse confirmée par l'expert de l'Ifri Dimitri Minic : la Russie pratique, selon lui, "un chantage nucléaire, tout comme elle a mené un chantage à la famine mondiale, dans le but de revenir au centre du jeu diplomatique et de semer la discorde parmi les Occidentaux".

En multipliant les alertes au désastre nucléaire, Moscou justifie sa mainmise sur ce site ultra-sensible, et ce malgré les demandes répétées de l'ONU pour démilitariser la zone au plus vite. "Toute attaque contre une centrale nucléaire serait suicidaire", a notamment lancé António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, lors d'une conférence de presse le 8 août. L'organisation a appelé à l'arrêt des opérations militaires autour de Zaporijjia, afin que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) puisse y accéder pour des inspections. Une demande rejetée par la Russie, qui estime qu'un retrait de ses troupes rendrait la centrale encore plus "vulnérable". Vladimir Poutine a toutefois promis que la Russie offrira "l'assistance nécessaire" pour une visite prochaine des émissaires de l'AIEA, sans donner de calendrier plus précis.

Mais au 185e jour de la guerre en Ukraine, les combats restent sporadiques mais bien présents autour du site. Et les équipes d'ingénieurs ukrainiens, toujours en poste dans la centrale, tentent coûte que coûte de maintenir son bon fonctionnement. 

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