Guerre en Ukraine : pourquoi le feu vert américain pour livrer des avions F-16 à Kiev marque une étape-clé dans le conflit
La livraison d'avions de combat F-16 signera-t-elle le tournant militaire de la guerre en Ukraine ? Symboliquement, Volodymyr Zelensky a obtenu gain de cause sur ces aéronefs de fabrication américaine, réclamés par Kiev avec insistance depuis plusieurs semaines. Après s'y être refusé, Joe Biden a fait savoir vendredi 19 mai aux dirigeants du G7 qu'il donnerait son feu vert à la livraison, par les Occidentaux, d'avions de combat à l'Ukraine, dont des F-16.
Au sujet de ces appareils surnommés "Fighting Falcon", le président ukrainien a salué vendredi une "décision historique des Etats-Unis". "Cela va considérablement renforcer notre armée de l'air", a écrit Volodymyr Zelensky sur Twitter.
Entrés en service dans l'US Air Force en 1978, les F-16 ont été d'abord développés par l'entreprise américaine General Dynamics et aujourd'hui par Lockheed Martin. C'est la raison pour laquelle l'accord de Joe Biden est indispensable, en cas de livraison à un pays tiers. Dans un souci de protection de la technologie militaire américaine, le département d'Etat – l'équivalent du ministère des Affaires étrangères – donne ensuite son feu vert.
Rattraper un retard quantitatif
Le "Figthing Falcon" présente l'avantage d'être un avion de combat très répandu dans le monde. "Plus de 4 000 exemplaires ont été produits" depuis son lancement, précise au Figaro le consultant en défense et en aéronautique, Xavier Tytelman, également ex-membre de l'aviation navale. Selon le rapport 2023 (en anglais) de Flight Global, média spécialisé dans l'aviation, 2 184 de ces aéronefs sont encore en service, soit 15% de la flotte totale des bombardiers de tous les pays confondus. Il existe donc, en théorie, des milliers d'exemplaires disponibles de cet appareil.
"Il est possible de les mettre à niveau très rapidement", assurait auprès de franceinfo Xavier Tytelman, trois jours avant l'aval de Joe Biden. Pour le général Jean-Claude Allard, interrogé par franceinfo samedi, ce feu vert américain permettra d'ajouter "des capacités supplémentaires dans un domaine sur lequel l'Ukraine était un peu faible actuellement", à savoir "la force aérienne et la capacité d'utiliser des avions de combat en soutien des forces terrestres".
Kiev est, depuis le début de la guerre, défavorisée dans les airs. Le 19 janvier 2023, date du dernier recensement du site d'analyse militaire Global Firepower (en anglais), l'Ukraine comptait 187 aéronefs opérationnels contre 2 091 pour la Russie. La livraison de F-16 permettrait donc de combler, peu ou prou, cet écart.
Un avion de combat multifonctionnel
Mais le F-16 est aussi reconnu pour sa polyvalence. "C'est un avion multifonctions qui pourra faire du renseignement dès lors qu'il est équipé de systèmes" dédiés, explique Jean-Claude Allard. Pour ce spécialiste des questions militaires, il est également disposé à "compléter les défenses anti-aériennes pour empêcher l'aviation russe de venir frapper l'Ukraine".
"Il pourra aussi faire de l'appui air-sol, c'est-à-dire tirer directement sur les forces russes qui tiennent aujourd'hui la ligne de défense."
Le général Jean-Claude Allardfranceinfo
Selon la configuration adoptée, le F-16 joue donc sur tous les tableaux : air-air et air-sol. Enfin, il est en capacité de tirer à plusieurs dizaines de kilomètres de sa cible, permettant de "frapper des réserves de munitions" ou "des axes de communication" derrière la ligne de front.
La décision de Joe Biden est "très significative", estime Mick Ryan, expert militaire et ancien général de l'armée australienne, interrogé par l'AFP, car ces avions égalent, voire surpassent, les chasseurs russes. Ils devraient ainsi compliquer les opérations aériennes de Moscou en Ukraine.
Beaucoup de questions en suspens
Alors que la contre-offensive ukrainienne sur les zones contrôlées par la Russie est attendue depuis des mois, le "cadeau" de Joe Biden va-t-il convaincre Volodymyr Zelensky de la lancer ? "Il faut compter environ six mois pour que des avions capables d'agir arrivent sur le théâtre" de la guerre, tempère Jean-Claude Allard. Cette contre-offensive ne peut être victorieuse qu'en "ayant tous les moyens combinés", juge le général.
"Pendant que l'entraînement se déroulera ces prochains mois, notre coalition de pays participant à cet effort décidera quand fournir des avions, combien, et qui les fournira", a déclaré vendredi un haut responsable de la Maison Blanche, au moment où Joe Biden participait au sommet du G7 au Japon. Une phrase qui résume les zones de flou autour de l'annonce du président américain.
En attendant des éclaircissements de la part de Washington, plusieurs pays européens s'en sont tenus à promettre qu'ils formeraient les militaires ukrainiens, comme l'a promis le Danemark. Paris et Londres ont aussi ouvert cette voie, avec la particularité qu'ils n'ont, dans tous les cas, pas de F-16 en stock. Mardi, le Royaume-Uni avait plaidé pour une "coalition internationale" destinée à fournir ces avions de combat à l'armée ukrainienne, mais avait estimé ensuite, de concert avec l'Allemagne, qu'il revenait "à la Maison Blanche" de donner son feu vert final.
"Compresser les durées de formation" des pilotes
Seuls la Pologne et les Pays-Bas sont allés plus loin, disant qu'ils seraient disposés à fournir ces avions de combat à Kiev. Comme un certain nombre de pays de l'Otan, ils ont entrepris de remplacer leur flotte de F-16 par un avion plus récent, le F-35. "Ainsi, ça ne déshabille pas les forces opérationnelles", estime auprès du Figaro Xavier Tytelman. Impossible, pour autant, de savoir combien seront légués.
Puisque l'autorisation n'a pas été officiellement signée, la date de livraison fait aussi figure d'inconnue. A cela s'ajoute le délai de formation des soldats ukrainiens. "Les Etats-Unis ont fait une expérience sur simulateur avec deux pilotes ukrainiens. Ils les ont formés en quatre mois au lieu de 18. On va certainement compresser les durées de formation", anticipe Jean-Claude Allard. Mais le général prévient : "Il ne faut pas oublier que derrière, il y a aussi les maintenanciers (...) qui vont entretenir ces aéronefs. Il faut également préparer le matériel qu'on va livrer aux Ukrainiens".
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