Guerre en Ukraine : pourquoi la prise de Marioupol constitue un enjeu stratégique pour la Russie
Dans ce port de la mer d'Azov, assiégé depuis plus de 40 jours, les forces russes resserrent leur étau sur les soldats ukrainiens.
Plus de quarante jours de siège à Marioupol. Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine le 24 février, l'armée russe s'acharne sur ce port de la mer d'Azov, au prix de ravages considérables. Le conseiller présidentiel ukrainien Mykhaïlo Podoliak a assuré mardi 12 avril sur Twitter que l'offensive avait provoqué la mort de "dizaines de milliers" de personnes et détruit "90% des maisons". Les forces russes continuent à resserrer leur étau sur des soldats ukrainiens "encerclés et bloqués". Franceinfo vous explique pourquoi la prise de la ville est un enjeu stratégique pour Vladimir Poutine et les séparatistes prorusses.
Pour s'assurer une continuité territoriale
Il y avait "une sorte de logique à ce que Marioupol soit en première ligne", puisqu'elle est située "à une quinzaine de kilomètres de la ligne de contact entre la Russie et l'Ukraine", souligne Alexandra Goujon, maître de conférence en sciences politiques à l'université de Bourgogne.
La cité portuaire se situe à 350 kilomètres environ au nord-est de la Crimée, annexée par la Russie en 2014, et à quelque 100 km au sud de Donetsk, "capitale" de l'une des deux républiques autoproclamées du Donbass, avec Louhansk, elle-même toute proche de la frontière russe. La conquête de Marioupol permettrait donc aux Russes de consolider leurs gains territoriaux et de relier la Crimée au Donbass. "C'est le dernier verrou à faire sauter pour les Russes avant l'occupation totale du sud et de l'est de l'Ukraine", résume Carole Grimaud-Potter, enseignante en géopolitique de la Russie à l'université de Montpellier.
Prendre Marioupol permettrait aussi aux Russes de contrôler environ 80% de la côte ukrainienne sur la mer d'Azov. Elle régnerait alors en maître sur cette mer ouverte sur la mer Noire, qui deviendrait une mer intérieure. "Si elle y parvient, la Russie n'aura de comptes à rendre à personne, elle pourra y placer n'importe quoi, des sous-marins nucléaires par exemple", explique à l'AFP Alexeï Malachenko, directeur de recherche à l'Institut du dialogue des civilisations.
>> Pourquoi le contrôle de la mer d'Azov est un enjeu stratégique pour la Russie
Pour priver l'Ukraine d'un poumon économique
Marioupol est le deuxième port le plus important d'Ukraine après Odessa. "Les grands ports ukrainiens de Marioupol et Berdiansk représentent 20% des exportations ukrainiennes", rappelle sur France Culture Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l'Institut français de géopolitique, avant le début de la guerre. Depuis ce port, l'Ukraine exporte en temps normal son acier, son charbon, son maïs aussi, en direction des pays du Maghreb notamment, détaille la BBC (en anglais).
"Ce port est important pour l'Ukraine, parce qu'il permettait notamment la livraison du blé et qu'on y trouve de grandes usines métallurgiques", abonde Alexandra Goujon. L'une des plus importantes, Azovstal, a été détruite le 20 mars dernier, occasionnant d'"énormes pertes économiques" pour le pays, selon une députée ukrainienne. Désormais, des combats se déroulent sur le site de cette vaste usine sidérurgique.
Le conflit a rendu la navigation sur la mer d'Azov très compliquée. Le 1er mars, six jours après le début de l'invasion russe en Ukraine, près de 170 navires étaient ainsi bloqués en mer, certains avec des cargaisons de grains, entraînant des effets immédiats sur les cours mondiaux du blé. "Avant la guerre, les Russes faisaient déjà tout pour limiter le commerce au départ de Marioupol et l'arrivée des marchandises", rappelle Alexandra Goujon. Marioupol et sa région possèdent également un sous-sol "très riche", notamment en lithium et en or, selon Carole Grimaud-Potter, pour qui cette zone est "un vrai enjeu au niveau des ressources".
Pour obtenir une victoire symbolique
La prise de Marioupol revêt aussi une importance symbolique capitale pour Vladimir Poutine, dont l'armée s'est enlisée en essayant en vain de prendre Kiev, avant de recentrer ses objectifs sur la "libération du Donbass". Pour le Kremlin, la chute de Marioupol "en devient le symbole", assure Alexandra Goujon. Au moment de l'offensive en Crimée en 2014, la ville était déjà convoitée par les forces séparatistes soutenues par la Russie. Marioupol était tombée brièvement entre leurs mains, avant sa libération, notamment grâce à l'action du bataillon Azov, régiment ukrainien accusé de compter des néonazis dans ses rangs.
Bien qu'ayant servi de refuge pour les personnes déplacées après la perte de contrôle de la capitale régionale de Donetsk, Marioupol était en outre "considérée comme prorusse, avec beaucoup d'entreprises qui commerçaient aussi bien avec l'Ukraine qu'avec la Russie", assure au Monde Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-NEI de l'Institut français des relations internationales (Ifri). "C'est considérable de réserver le sort de ville martyre à une cité historiquement russophile et russophone", ajoute-t-elle.
"Probablement veulent-ils faire de Marioupol un exemple, un éventail de ce dont ils sont capables."
Tatiana Kastouéva-Jean, chercheuse à l'Ifriau "Monde"
Aujourd'hui, la ville est quasiment détruite, alors qu'avant la guerre, elle était "dynamique, en pleine phase de modernisation", selon Alexandra Goujon. "Les Russes ne pouvaient pas entrer dans Marioupol (...) avec leurs chars alors ils l'ont réduite en cendres", résume à la BBC (en anglais), le général Sir Richard Barrons, ancien commandant du Commandement des forces conjointes du Royaume-Uni.
Pour servir la propagande autour de la "dénazification" de l'Ukraine
L'un des arguments avancés par Vladimir Poutine pour justifier cette invasion est l'objectif d'une prétendue "dénazification" de l'Ukraine. "Ce terme de 'dénazification' est employé avec l'objectif de trouver une juste cause à cette guerre et pour semer le doute dans l'opinion internationale", prévient Alexandra Goujon. Dans l'argumentaire du Kremlin, le bataillon Azov est l'incarnation de cette supposée mainmise nazie sur l'Ukraine. Or, le fait d'armes fondateur de cette unité a été la libération de Marioupol. Ce faisant, le régiment "a gagné en visibilité", observe Alexandra Goujon.
Aujourd'hui, le bataillon Azov "est considéré comme le défenseur de la ville", poursuit la maîtresse de conférence, même si "les élites politiques de la ville ne sont pas du tout d'extrême droite." Ecraser le régiment à Marioupol rentrerait alors pleinement dans l'entreprise de "dénazification" de l'Ukraine et lui permettrait de justifier cette invasion. "Marioupol, parce qu'il y a le bataillon Azov, serait une prise de guerre."
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