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Guerre en Ukraine : des référendums d'annexion, mais avec quelles frontières ?

La Russie n'a toujours pas précisé si elle allait revendiquer tout ou partie des régions concernées. Cette question engage pourtant l'attitude du Kremlin dans les prochaines semaines, et sa force de dissuasion nucléaire.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une affiche en faveur du "oui" au référendum d'annexion, le 26 septembre 2022 à Berdyansk, dans la région occupée de Zaporijjia (Ukraine). (STRINGER / AFP)

La Russie s'apprête à officialiser l'annexion des territoires occupés de Zaporijjia, Kherson, Louhansk et Donetsk, après les résultats des référendums d'annexion, mardi 28 septembre. Pourtant, aucun des oblasts ukrainiens concernés n'est entièrement contrôlé par les forces russes. Les affrontements se poursuivent dans la région de Kherson et de Donetsk, et une contre-offensive est en cours dans celle de Louhansk. Le drapeau jaune et bleu a toujours flotté dans la capitale éponyme de la région de Zaporijjia.

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La ligne de front est mouvante, mais selon les calculs de franceinfo, les forces russes contrôleraient environ 14,8% du territoire ukrainien – soit 85 000 kilomètres carrés, l'équivalent de la région Nouvelle-Aquitaine – et 18,6% en tenant compte de la Crimée annexée. En intégrant les quatre oblasts dans leurs limites administratives actuelles, et non plus simplement les zones sous contrôle russe, Moscou revendiquerait 18% de l'Ukraine – l'équivalent de la Bulgarie ou de l'Islande – et 23,5% en incluant la Crimée – soit la superficie de la Grèce.

Les régions de l'Est et du Sud sont partiellement occupées par les forces russes.  (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Les futurs traités évoqueront-ils l'intégralité des oblasts administratifs ukrainiens, ou bien les zones occupées ? Cette alternative – qui oppose une version extensive et a minima – n'a rien de rhétorique, puisqu'elle engage l'attitude future de la Russie et les contours de sa dissuasion nucléaire. Le problème, c'est que le Kremlin a livré peu d'indices sur les futurs contours autoproclamés de sa fédération. Et ce, malgré l'organisation en urgence de pseudo-référendums de façade, décisifs pour l'avenir des populations concernées.

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Après le référendum en Crimée, la Russie s'était contentée de transposer les frontières fédérales sur les frontières administratives de la province ukrainienne. La chose, évidemment, est plus complexe dans le Donbass. "Il n'y a pas de réponse précise sur ce point et les deux options restent possibles, écrit à franceinfo la politologue russe Ekaterina Schulmann. Mais dans les deux cas, les annexions vont entraîner la poursuite de la guerre, pas sa fin."

Une ambiguïté jamais levée par le Kremlin

A ce stade, il faut donc se contenter de simples déclarations orales, qui n'engagent que leurs auteurs. "Les référendums concernent l'ensemble des territoires à l'intérieur des limites administratives", a commenté (en russe) Vladimir Rogov, chef des autorités d'occupation de la région de Zaporijjia. Denis Pouchiline, leader prorusse de Donetsk, s'est rendu à Moscou pour régler, dit-il, les "points juridiques" de la future annexion. "L'ensemble du territoire constitutionnel de la RPD sera libéré", a-t-il ajouté.

"Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Et y a-t-il une description géographique dans leur Constitution ?", rétorque Ekaterina Schulmann. Celle-ci ménage les deux options. "Le territoire de la République populaire de Donetsk est déterminé par les frontières qui existaient au jour de sa formation" en 2014, évoque ainsi le texte.

Le 21 février, Vladimir Poutine avait signé des décrets tout aussi ambigus pour reconnaître l'indépendance des "républiques" autoproclamées de Louhansk et de Donetsk. Les articles 7 des traités respectifs (ici et ) mentionnaient simplement le respect de "l'intégralité territoriale et de l'inviolabilité des frontières existantes" de la Russie et des deux territoires occupés. Le texte n'établit pas formellement de contours.

Le drapeau ukrainien flotte sur la ville industrielle de Kramatorsk, le 18 juillet 2022, dans la région ukrainienne de Donetsk en partie occupée par des milices et l'armée russe. (MIGUEL MEDINA / AFP)

"Ces textes ne semblent pas forcément clairs et la présidente du Sénat avait d'abord retenu une version a minima, analyse le géopolitologue David Teurtrie, contacté par franceinfo. Mais le Kremlin avait rectifié et fixé l'objectif de conquérir l'intégralité des deux oblasts du Donbass." Le ministre de l'Intérieur, Vladimir Kolokoltsev, avait déclaré, en février, que l'indépendance de ces entités devait être reconnue dans les frontières administratives. "Vladimir Poutine a pris position là-dessus, et revenir sur cet objectif lui ferait perdre la face." 

Vers un nouveau district fédéral russe ?

En témoignent les propos tenus mercredi par Dmitri Peskov, qui a déclaré que "l'opération spéciale" russe se poursuivrait jusqu'à ce que "tout le territoire de la RPD soit libéré à l'intérieur des frontières de la région de Donetsk". La situation, poursuit David Teurtrie, est en revanche plus confuse pour les deux oblasts du Sud, avec lesquels aucun texte n'a jamais été signé. "L'armée russe fait son maximum pour contrôler l'intégralité de l'oblast de Kherson", mais "le front est extrêmement stable dans celui de Zaporijjia".

"Il faut faire la distinction entre les républiques populaires autoproclamées du Donbass, où le Kremlin voudra contrôler les frontières existantes, et les autres, où il existe sans doute davantage de marge de manœuvre."

David Teurtrie, chercheur associé au Centre de recherche Europes-Eurasie

à franceinfo

L'annexion des oblasts administratifs placerait tout de même "le Kremlin dans une position étrange", souligne l'Institute for the Study of War (en anglais), car il devrait alors exiger le retrait de troupes ukrainiennes pourtant légitimes, les accusant d'être en territoire russe. Vladimir Poutine pourrait "se trouver dans une position humiliante, faute de pouvoir faire appliquer cette demande". Cette option extensive pourrait faire basculer des territoires ukrainiens sous la doctrine de dissuasion russe. Celle-ci prévoit le recours à des armes nucléaires en cas d'"agression avec des armes conventionnelles menaçant l'existence de l'Etat".

La question des frontières devrait probablement être tranchée dans les traités d'adhésion des quatre territoires concernés. Anton Getta, vice-président de la commission chargé du marché financier à la Douma, a déjà déclaré (en anglais) qu'il n'y aurait pas de frontière ou de douane entre ces territoires et la Russie. De simples postes de contrôle, tout au plus. 

Par ailleurs, un nouveau district fédéral pourrait bientôt regrouper les quatre régions occupées et celle de Crimée, croit savoir le quotidien économique russe Vedomosti (en russe). Toujours selon cette source, cette mission pourrait être confiée à l'ancien directeur général de l'agence spatiale Roskosmos, Dmitri Rogozine. Sergueï Axionov, leader de l'occupation russe en Crimée, a d'ores et déjà lancé un avertissement, dans la foulée des référendums : la Russie "passera d'une opération spéciale de libération des territoires à une opération antiterroriste à l'intérieur des frontières de son pays".

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