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Crise en Ukraine : sur quelles bases les Etats-Unis et le Royaume-Uni accusent-ils la Russie de vouloir déstabiliser Kiev ?

Washington a sanctionné quatre officiels ukrainiens soupçonnés de collaborer avec les services secrets russes, tandis que Londres accuse la Russie de chercher à "installer un dirigeant prorusse à Kiev". 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, lors d'une conférence de presse à l'issue d'une réunion avec ses homologues français, allemand et britannique à Berlin (Allemagne), le 20 janvier 2022.  (KAY NIETFELD / POOL / AFP)

"La situation est imprévisible et peut se détériorer à tout moment." Voilà l'analyse alarmiste livrée par le département d'Etat américain sur la crise en Ukraine, au moment d'enclencher l'évacuation de proches de ses diplomates en poste à Kiev, face à la menace russe. Le ministère des Affaires étrangères britannique a lui aussi justifié, lundi 24 janvier, le retrait d'une partie du personnel de son ambassade à Kiev.

Londres et Washington accusent publiquement la Russie de vouloir ébranler le pouvoir en Ukraine en préparant "une attaque". Des dizaines de milliers de soldats russes ont ainsi été placés à la frontière séparant les deux pays. Quels sont les arguments du Royaume-Uni et des Etats-Unis pour justifier leurs accusations, rejetées en bloc par le Kremlin ?

Des liens entre des officiels ukrainiens et les services secrets russes

Le département du Trésor américain* a été le premier à s'exprimer jeudi dernier sur ces tentatives de déstabilisation, imposant des sanctions contre quatre officiels ukrainiens – dont deux parlementaires – pour leur collaboration avec les services secrets russes (FSB). "L'action d'aujourd'hui vise à cibler, discréditer et exposer l'effort de déstabilisation en cours de la Russie en Ukraine", a déclaré le Trésor américain.

"Les services de renseignement russes, y compris le FSB, recrutent des citoyens ukrainiens à des postes clés pour accéder à des informations sensibles, menacer la souveraineté de l'Ukraine, puis exploiter ces responsables ukrainiens pour créer de l'instabilité avant une éventuelle invasion russe."

Le département du Trésor américain

dans un communiqué

Les deux parlementaires ukrainiens sanctionnés, Taras Kozak et Oleg Volochine, sont accusés d'être "au cœur" d'une stratégie des services secrets russes : le recrutement d'ex et d'actuels officiels ukrainiens "pour se préparer à prendre le contrôle du gouvernement ukrainien et à contrôler les infrastructures du pays avec une force russe d'occupation", affirment les autorités américaines. Taras Kozak, à la tête de plusieurs chaînes d'informations en Ukraine, est notamment soupçonné d'avoir soutenu le projet du FSB "de dénigrer" certains conseillers proches du président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Ces élus appartiennent au parti de Viktor Medvedtchouk, politicien ukrainien prorusse, déjà sanctionné par les Etats-Unis et qui maintient "des liens étroits" avec le Kremlin, selon Washington. Comme le rappelle RFI, Vladimir Poutine est le parrain de la fille de cet oligarque, inculpé en mai dans son pays, avec Taras Kozak, pour trahison nationale.

De telles accusations "étaient déjà connues par le passé, ce n'est pas une nouveauté. Ce sont des secrets de polichinelle", souligne auprès de franceinfo Christine Dugoin-Clément, chercheuse pour la chaire "normes et risques" à l'IAE Paris-Sorbonne Business School, et pour le think tank CapEurope. Spécialiste de l'Ukraine, elle est l'auteure d'Influence et manipulations (VA Edititions).

Des "cyberopérations répétées" contre des infrastructures ukrainiennes

Les deux autres officiels visés par le Trésor américain sont d'anciens fonctionnaires ukrainiens. Volodymyr Oliynyk, qui a fui l'Ukraine vers la Russie, est suspecté d'avoir rassemblé des informations sur les infrastructures essentielles en Ukraine pour le compte du FSB. De son côté, Vladimir Sivkovich, ancien secrétaire adjoint du Conseil ukrainien de la sécurité nationale et de la défense, "a travaillé en 2021 avec un réseau d'acteurs du renseignement russe". Objectif, selon le Trésor américain : influencer l'opinion publique ukrainienne pour qu'elle reconnaisse une cession officielle de la Crimée à la Russie. Le département américain évoque également des "cyberopérations répétées contre les infrastructures essentielles ukrainiennes, qui font partie des tactiques hybrides russes pour menacer l'Ukraine".

La Russie est "connue pour ses pratiques de déstabilisation et de renseignement assez fortes", confirme Christine Dugoin-Clément. Trouver les preuves de ces tentatives de désinformation, cyberattaques, ou d'infiltration du pouvoir peut être "extrêmement compliqué". "Mais le financement des personnalités ou des partis prorusses, qui diffusent des discours prorusses, cela peut se voir", souligne la spécialiste de l'Ukraine. Si le département du Trésor peut évoquer ces opérations, "c'est qu'ils ont de toute manière de quoi l'asseoir". "Ils assument la portée de leurs déclarations", explique la chercheuse.

Des signes que le Kremlin veut "installer un pouvoir prorusse à Kiev"

Londres a à son tout dénoncé, samedi, "le projet du Kremlin d'installer un pouvoir prorusse en Ukraine", assurant disposer d'informations selon lesquelles Moscou envisagerait en outre "d'envahir et d'occuper l'Ukraine", selon les termes d'un communiqué* du ministère britannique des Affaires étrangères. Le nom de l'ancien député ukrainien Ievgeniï Mouraïev est d'ailleurs évoqué comme "candidat potentiel" à la tête de l'Etat ukrainien. Le ministère fait aussi état de "liens" entre les services secrets russes et "de nombreux anciens hommes politiques ukrainiens (...) en contact avec des agents du renseignement russe impliqués dans la préparation d'une attaque en Ukraine".

Il cite Serguiï Arbouzov, vice-Premier ministre sous la présidence du prorusse Viktor Ianoukovitch entre 2012 et 2014, ou Andriï Klouïev, prédécesseur d'Arbouzov entre 2010 et 2012 et ancien directeur de cabinet de Viktor Ianoukovitch. Deux autres noms sont évoqués : Vladimir Sivkovich, déjà cité par le Trésor américain, et Mykola Azarov, Premier ministre ukrainien entre 2010 et 2014.

Ces différentes figures ciblées font partie "de l'ancienne sphère" du pouvoir en Ukraine, "particulièrement prorusse, avec des accusations de corruption", observe Christine Dugoin-Clément. "Ils ont été aux manettes jusqu'à Maïdan", la révolution qui a mené au départ de Viktor Ianoukovitch vers la Russie en 2014. Les liens de ces anciens responsables avec le renseignement russe ont "toujours été l'une des inquiétudes des Ukrainiens et du gouvernement ukrainien", poursuit la chercheuse. "Ce risque d'influence et d'ingérence politique est ancien. Les spécialistes ukrainiens en parlent depuis des années."

En réaction aux accusations britanniques, Kiev a déclaré avoir à cœur de démanteler toute organisation prorusse sur le sol ukrainien. Ievgeniï Mouraïev, présenté comme "candidat potentiel", a lui-même réagi sur Facebook, appelant à cesser de "nous diviser entre prorusses et pro-occidentaux" tout en plaidant pour de "nouveaux dirigeants politiques" guidés par "les intérêts nationaux de l'Ukraine et du peuple ukrainien". La Russie, elle, a continué de rejeter vivement ce qu'elle nomme des "absurdités".

* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des pages en anglais.

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