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Brexit : pourquoi l'UE et le Royaume-Uni se font-ils la guerre pour une histoire de saucisses ?

Saucisse anglaise contre saucisse de Toulouse : Londres a demandé dimanche "du respect" aux Européens après un entretien entre Emmanuel Macron et Boris Johnson en marge du G7 qui a donné lieu à un échange difficile. Mais les tensions entre le Royaume-Uni et l'UE vont bien au-delà de la divergence gustative.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Boris Johnson et Angela Merkel lors d'une réunion du G7 à Carbis Bay, au Royaume-Uni, dimanche 13 juin 2021.  (AFP)

Le Brexit n'était pas au menu, mais il s'est invité au sommet du G7. A sa clôture, dimanche 13 juin, force est de constater qu'aucune solution n'avait été trouvée dans ce bras de fer diplomatique que la presse britannique – et son légendaire sens de la formule – a baptisé "la guerre de la saucisse". Ce dossier, qui remet sur la table les accords signés fin décembre sur les relations commerciales post-Brexit, a pris le dessus sur les autres sujets à l'agenda de cette rencontre, empoisonnant au passage les discussions entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. 

A l'origine de la brouille : la volonté du camp britannique de repousser l'entrée en vigueur, le 1er juillet, des nouvelles règles encadrant l'envoi de viande réfrigérée en Irlande du Nord depuis la Grande-Bretagne. Un projet auquel l'Union européenne s'oppose catégoriquement, au nom du respect des accords commerciaux négociés pendant de longs mois en 2020. Franceinfo revient sur ce qui coince avec ces saucisses et autres soucis liés à la sécession. 

Parce que le protocole nord-irlandais part en eau de boudin

Le protocole nord-irlandais négocié dans le cadre du Brexit devait concilier deux impératifs en apparence incompatibles : instaurer des contrôles douaniers sur les marchandises qui voyagent entre l'Irlande du Nord, britannique, et la République d'Irlande, européenne, sans installer de frontières physiques entre ces deux entités, conformément au traité de paix signé en 1998 – l'Accord du Vendredi saint – pour mettre fin aux violences dans la région. 

La solution avait été trouvée in extremis par Boris Johnson lui-même et validée par les partenaires européens : les marchandises arrivant en Irlande du Nord depuis la Grande-Bretagne seront désormais contrôlées avant la traversée de la mer d'Irlande. Pour permettre la mise en place de ces contrôles d'un genre nouveau, le Royaume-Uni a bénéficié d'une période de grâce, fixant au 1er juillet la date à laquelle il faudra impérativement contrôler certaines marchandises au niveau de cette nouvelle frontière en mer d'Irlande. Parmi ces marchandises : la fameuse saucisse anglaise, l'amie du petit déjeuner de nos voisins d'outre-Manche.  

 

Or, ces mesures perturbent les approvisionnements. Pire : elles sont devenues un enjeu politique brûlant pour Boris Johnson. Les unionistes nord-irlandais, qui militent pour maintenir Belfast dans le giron de Londres, s'indignent du traitement différencié que le protocole nord-irlandais réserve à leur territoire, contraint de se soumettre à des règles européennes sans appartenir à l'UE. Celles-ci ont même provoqué de violents heurts début avril, que certains craignent de voir se répéter. Ainsi, le Premier ministre, qui a pourtant vendu à ses partenaires cette version du protocole nord-irlandais, veut désormais reporter l'entrée en vigueur des nouvelles règles qui en découlent. 

Parce que Boris Johnson veut le beurre et l'argent du beurre

Après des discussions infructueuses à Londres mercredi, "BoJo" a évoqué le sujet samedi matin lors d'une série d'entretiens avec le président français Emmanuel Macron, la chancelière allemande Angela Merkel, et les dirigeants de l'UE Ursula von der Leyen et Charles Michel. En vain. Côté européen, hors de question de laisser la viande britannique passer sur l'île d'Irlande sans contrôles. 

"Je ne peux pas dire aux Européens que les Britanniques, via l'Irlande du Nord, pourraient exporter chez nous, sans aucun contrôle, des produits – la viande –, dont on ne vérifie pas la qualité, le respect de nos normes alimentaires", a expliqué sur Europe 1 Clément Beaune, secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes. "Boris Johnson veut qu'il n'y ait pas de frontière entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, et nous, nous disons : 'Vous avez fait le choix du Brexit, vous ne pouvez pas avoir le beurre et l'argent du beurre", a-t-il poursuivi.

Décidé à en découdre, Boris Johnson a préféré menacer ses anciens partenaires de passer outre certaines dispositions du protocole nord-irlandais. Sur Sky News, le chef du gouvernement conservateur a ainsi invoqué son article 16, qui l'y autorise en cas de "graves difficultés économiques, sociétales ou environnementales". Le porte-parole de Boris Johnson a notamment indiqué à demi-mot, vendredi, que Londres n'excluait pas d'étendre unilatéralement la période de grâce, comme le gouvernement l'avait déjà fait au printemps pour les importations agroalimentaires, irritant les Européens, qui ont déclenché une procédure d'infraction.

Si Londres reproche à Bruxelles d'adopter une "approche trop puriste" sur l'application du protocole nord-irlandais, "la menace est très sérieuse et le cas est très grave", s'est inquiété Clément Beaune, lundi. "Boris Johnson pense que l'on peut signer des engagements et ne pas les respecter, et que les Européens ne réagiront pas", a-t-il déclaré, répliquant par une menace de sanctions issues de l'arsenal commercial européen, comme des droits de douane ciblés : "Le Brexit est tout à fait applicable. On respecte les accords. Et si ce n'est pas le cas, nous prendrons des mesures de rétorsion commerciale (…) On a de quoi défendre nos intérêts, et nous le ferons." 

Parce que les Européens ne veulent pas avaler d'autres couleuvres 

L'UE "a besoin, pour ainsi dire, d'un contrôle de [son] marché", a tenté, dès samedi, de faire valoir Angela Merkel en conférence de presse, préconisant "de trouver une solution pragmatique aux dispositions du traité" post-Brexit sur l'Irlande du Nord, lors d'une rencontre bilatérale avec le Premier ministre britannique en marge du sommet du G7. Mais cette volonté de discuter s'est heurtée à la combativité du camp britannique, prêt à repousser les mesures prévues, convaincu de son bon droit. 

"A Toulouse, il y a des saucisses, non ? Eh bien, c'est comme si les saucisses ne pouvaient plus être vendues sur les marchés parisiens", a ainsi résumé Boris Johnson lors d'un entretien tendu avec le président français, selon une source diplomatique à l'AFP. "Macron a été étonné, et lui a dit 'qu'il n'était pas convenable de comparer des situations qui n'étaient pas comparables' car Toulouse faisait partie du même 'territoire' alors que ce n'est pas le cas de l'Irlande puisqu'il y a une mer entre [les deux îles]", a précisé la même source. Furieux, Boris Johnson a vu dans ce recadrage un mépris français pour la souveraineté britannique ainsi qu'une façon de nier l'appartenance de l'Irlande du Nord au Royaume-Uni, ce qui résonne avec force du côté des unionistes nord-irlandais qui cherchent désespérément le soutien de Londres à leur cause. 

A la fin du G7, Emmanuel Macron a tenté de désamorcer la colère britannique. "La France ne s'est jamais permise de remettre en cause la souveraineté britannique", a-t-il rappelé face à la presse. "Nous avons pendant plusieurs années, suite au Brexit, mis en place des règles : un protocole d'accord et un traité commercial (…) Ce que l'on attend, c'est qu'ils soient respectés, dans le sérieux, dans le calme, dans le professionnalisme."

Michel Barnier, ancien commissaire européen et ex-négociateur en chef de l'UE pour le Brexit, a quant à lui rappelé que le Premier ministre britannique avait "négocié avec son équipe mot à mot, virgule par virgule, phrase par phrase" les textes qu'il décrie aujourd'hui. "On doit coopérer avec le Royaume-Uni (…) Et donc, je souhaite que le Royaume-Uni ne compromette pas cet esprit de coopération qui exige de la confiance", a-t-il asséné sur franceinfo, en vieil habitué du Brexit à la sauce Johnson.

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