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Allemagne : crise de la dette, sortie du nucléaire, accueil des réfugiés... Le bilan d'Angela Merkel à la chancellerie en cinq coups politiques

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La chancelière allemande Angela Merkel lors d'un débat au Bundestag à Berlin (Allemagne), le 25 août 2021. (TOBIAS SCHWARZ / AFP)

Après seize ans et quatre mandats passés dans la fonction de chancelière, Angela Merkel ne se représentera pas le 26 septembre à la fonction de cheffe du gouvernement. Franceinfo revient sur les cinq décisions politiques qui ont marqué son bilan.

Seize années au pouvoir, quatre mandats, autant de présidents français côtoyés, des dizaines de sommets de l'Union européenne (UE) menés et des centaines de mesures politiques adoptées... Si Angela Merkel s'est distinguée par sa longévité depuis son élection en 2005, elle laisse surtout derrière elle des choix politiques qui ont profondément marqué l'Allemagne et l'Europe. A l'heure du bilan, franceinfo revient sur cinq moments clés des années Angela Merkel dans le costume – le blazer, toujours de chancelière allemande, avant les élections fédérales organisées le 26 septembre.

12011 : elle annonce la sortie surprise de l'Allemagne du nucléaire

Nous sommes le 30 mai 2011. Seulement neuf mois après avoir annulé la sortie du nucléaire de l'Allemagne prévue pour 2030 par l'ancien gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder, Angela Merkel annonce le retrait définitif de l'atome pour 2022, au plus tard. Une volte-face provoquée par la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon et un revirement de l'opinion allemande sur le sujet. Inattendue, la décision est prise contre l'avis de son propre camp politique, la CDU (parti conservateur de centre droit), ce qui tranche avec l'image de stratège, adepte du compromis, qui colle à Angela Merkel.

Cette décision illustre finalement sa capacité à faire preuve de flexibilité lorsqu'elle sent qu'elle n'est plus en accord avec l'opinion publique, rétive à l'atome depuis les années 1970. "Il y a aussi une part de calcul politique, Angela Merkel coupant l'herbe sous le pied des Verts, alors en pleine ascension dans les sondages", explique pour franceinfo Agathe Bernier-Monod, spécialiste de l'Allemagne contemporaine et maîtresse de conférences à l'université du Havre. Reste que, dix ans plus tard, la décision unilatérale de la chancelière a des conséquences concrètes : le charbon a dû prendre en partie le relais du nucléaire en attendant que l'Allemagne produise assez d'énergies propres pour répondre à la demande d'électricité.

22012 : elle se montre intransigeante face à la Grèce lors de la crise de la zone euro

A cause de la crise financière de 2007-2008, la zone euro se trouve au bord du gouffre. L'Irlande, l'Espagne, l'Italie et surtout la Grèce sont sur le point de faire défaut sur leur dette publique. Alors que les partenaires européens tentent de renflouer les caisses des Etats-membres de l'UE mal en point, les discussions se heurtent à l'intransigeance d'Angela Merkel. Injecter de l'argent, oui, mais pas sans une cure d'austérité imposée de façon ferme par l'UE et le FMI. Surtout, en 2012, Angela Merkel, poussée par son ministre des Finances de l'époque Wolfgang Schäuble, rejette toute idée d'annulation de la dette de la Grèce, au bord du précipice.

"Angela Merkel a vraiment représenté cette idée allemande, à l'époque, de la nécessité absolue d'être à l'équilibre budgétaire et de ne pas avoir de dette, explique à franceinfo Hélène Miard-Delacroix, professeure d'histoire et de civilisation de l'Allemagne contemporaine à Sorbonne Université. Les Allemands ont vraiment eu l'impression d'être dans le vrai avec l'idée que les autres pays devaient 'faire leurs devoirs'." 

"Ce manque de cœur absolu", comme le nomme Hélène Miard-Delacroix, même s'il est approuvé par une majorité d'Allemands, vaut à la chancelière d'être décrite comme froide, pingre, entêtée, dans la presse de certains pays européens. Elle est même grimée en nazie en 2012 par un journal grec, alors que près de 25 000 manifestants, dont certains déguisés en SS, défilent dans les rues d'Athènes, le 9 octobre 2012, lors de sa première visite officielle dans le pays.

32015 : elle ouvre les frontières de l'Allemagne aux réfugiés syriens

La guerre civile déchire la Syrie depuis près de deux ans et l'Europe fait face, durant l'été, à un afflux de demandeurs et demandeuses d'asile. En l'absence de solidarité européenne, les frontières à l'intérieur de l'espace Schengen se ferment petit à petit. Angela Merkel, prenant à revers ses pairs européens, décide en août de laisser ses frontières ouvertes et d'accueillir les réfugiés désireux de rejoindre l'Allemagne (en allemand). "Wir schaffen das!" ("Nous y arriverons!", en français) lance-t-elle, déterminée, lors d'une conférence de presse le 31 août.

Finalement, plus de 800 000 personnes ont gagné le pays. "Il faut quand même noter qu'une politique d'intégration a réellement été mise en place dès le début par le gouvernement et que celle-ci est globalement un succès", souligne Hélène Miard-Delacroix. La décision peut surprendre de la part d'une femme politique issue de la CDU. Mais, comme souvent avec la chancelière, elle résulte d'un certain pragmatisme. "D'une part, sa décision peut être justifiée par la démographie allemande et le fait que, sans immigration, la population va décliner, souligne Agathe Bernier-Monod. Mais il y a aussi une part de conviction personnelle. Elle est fille de pasteur, socialisée en Allemagne de l'Est, une dictature où les frontières étaient fermées. Enfin, il y a également un calcul politique, puisqu'elle reprenait les demandes des Verts et de la gauche".

42017 : elle légalise le mariage pour tous, malgré son opposition à la mesure

La décision d'Angela Merkel, en juin 2017, d'autoriser un vote libre sur le mariage pour tous, est un autre exemple la flexibilité politique de la chancelière. En moins d'une semaine, et malgré l'opposition de son propre parti, le mariage et l'adoption deviennent possibles pour les couples de même sexe. Celle qui est pourtant opposée à la mesure vote contre, au Parlement, le 30 juin, mais fait du scrutin "une décision de conscience" personnelle. Une façon de changer les choses sans se renier, mais aussi "d'enlever une revendication à l'opposition" tout en gardant un doigt sur le pouls de l'opinion publique allemande, explique Agathe Bernier-Monod.

Cette flexibilité intellectuelle de la chancelière en fait une adversaire redoutable. D'autant qu'elle s'approprie fréquemment la réussite des projets de ses partenaires de coalition, comme l'instauration, en 2012, d'un salaire minimum voulu par le parti social-démocrate SPD, et auquel elle s'était opposée lors de la campagne. "Certains disent que, si elle a tenu si longtemps, c'est parce qu'au fond elle n'a pas de ligne, analyse Hélène Miard-Delacroix. C'est un caméléon politique. Cela peut être considéré comme positif ou négatif."

52020 : elle approuve le plan de relance européen

Oubliée la crise de la dette de 2011, cette fois l'Allemagne est d'accord pour renflouer les économies européennes en mettant de côté sa sacro-sainte orthodoxie budgétaire. En juillet 2020, Angela Merkel approuve le plan de relance européen, à la suite de la pandémie de Covid-19.

Et si Angela Merkel "s'est fait forcer la main sur ce sujet par le SPD", alors qu'elle n'était pas favorable à la création d'une dette commune, souligne Hélène Miard-Delacroix, là aussi, on peut y voir sa "capacité à s'adapter". "En plus du changement d'opinion des Allemands sur la dette, ils étaient eux aussi menacés par cette crise", rappelle Agathe Bernier-Monod.

L'approbation d'un plan de relance de 750 milliards d'euros, permettant la création d'une dette européenne commune, est un changement de paradigme radical pour Angela Merkel. Mais, toujours "ébranlée par le Brexit" comme le souligne Hélène Miard-Delacroix, la cheffe de gouvernement allemande est prête à faire des compromis pour l'avenir de l'UE. "On peut d'ailleurs dire que c'est l'une des personnalités qui ont le plus porté la cause européenne, toujours grâce au moteur franco-allemand", juge Agathe Bernier-Monod. 

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