Agriculture : on vous explique la polémique autour du S-métolachlore, cet herbicide que le gouvernement tente de sauver
Il persiste et il signe. Dans une tribune relayée sur son compte Twitter, samedi 1er avril, le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a réédité sa volonté de réhabiliter l'herbicide S-métolachlore, sous le coup d'une procédure d'interdiction. Au nom de la "souveraineté alimentaire", il défend ce produit dont le nom est peu connu du grand public mais qui, avec 1 946 tonnes écoulées chaque année, "est l'une des substances actives herbicides les plus utilisées en France", comme le rapporte l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
Cette dernière avait annoncé, mi-février, vouloir interdire les principaux usages de l'herbicide, provoquant l'inquiétude des céréaliers. Le gouvernement avait ensuite demandé à l'Anses de revenir sur sa décision, suscitant les critiques d'ONG environnementales.
Utilisé pour désherber, essentiellement dans les cultures du maïs, du tournesol et du soja, le S-métolachlore se dégrade après usage jusqu'à former des dérivés chimiques, appelés "métabolites", rappelle l'Anses. Or ces métabolites se retrouvent dans les sols, les eaux de surface et les eaux souterraines. Récemment, "lors des contrôles des eaux destinées à la consommation humaine, trois métabolites du S-métolachlore ont été fréquemment détectés à des concentrations dépassant les normes de qualité" fixées par la législation européenne, a alerté l'agence sanitaire le 15 février. Et ce, alors que de la présence de l'herbicide en quantité préoccupante avait déjà été détectée en 2021, selon un rapport de l'Anses (PDF).
Une procédure de retrait engagée en février
Dans la foulée, l'agence avait décidé "des mesures de restriction dans les autorisations de mise sur le marché des produits à base de S-métolachlore, en particulier une réduction des doses maximales d'emploi pour le maïs, le tournesol, le soja et le sorgho". Mais en dépit de ces mesures, "les concentrations des trois métabolites du S-Métolachlore sont en situation de dépassement des seuils réglementaires", selon l'Anses.
En conséquence, l'agence a annoncé, mi-février, qu'elle "engage[ait] la procédure de retrait des principaux usages des produits phytopharmaceutiques à base de S-métolachlore", surtout commercialisés par Syngenta, le poids lourd allemand du secteur. "La décision définitive est en cours", avait alors précisé une porte-parole de l'Anses à l'AFP. L'interdiction des principaux usages de ces désherbants, si elle était confirmée par l'Anses, ouvrirait un "délai de grâce" permettant la vente des produits pendant encore six mois et leur utilisation pendant 12 mois.
Les fédérations et associations représentant les producteurs de blé et céréales (AGPB), de maïs (AGPM), d'oléagineux et protéagineux (FOP), de pommes de terre (UNPT) et les planteurs de betteraves (CGB) avaient immédiatement réagi à l'annonce de l'Anses, en faisant part de leur "inquiétude face aux retraits successifs des molécules essentielles à la production agricole et au maintien de filières compétitives".
L'"inquiétude" de la filière agricole
A l'inverse, l'ONG Générations Futures avait salué "cette initiative et cette anticipation d'une probable interdiction au niveau européen de la substance", qui "montre que les autorités nationales ont le pouvoir de prendre des décisions sur les autorisations des produits sans attendre les conclusions de l'Europe sur les substances actives". En effet, l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) est chargée depuis 2015 de réévaluer l'autorisation du S-métolachlore. Mais bien qu'elle l'ait classée comme "substance cancérigène suspectée" (PDF) en juin dernier, elle n'a pas encore rendu sa décision finale, après huit ans d'examen.
L'histoire ne s'arrête pas là. Fin mars, le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé, devant le congrès du syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, avoir demandé à l'Anses de revenir sur sa volonté d'interdire les principaux usages du S-métolachlore. "Je ne serai pas le ministre qui abandonnera des décisions stratégiques pour notre souveraineté alimentaire à la seule appréciation d'une agence", a lancé Marc Fesneau, estimant que "cette décision n"[était] pas alignée sur le calendrier européen et qu'elle tomb[ait]" sans "alternatives crédibles".
"L'Anses n'a pas vocation à décider de tout, tout le temps, en dehors du champ européen et sans jamais penser les conséquences pour nos filières."
Marc Fesneau, ministre de l'Agriculturedevant le congrès de la FNSEA, le 30 mars
L'ONG Générations Futures a alors dénoncé un "scandale en matière de protection de la santé publique et de l'environnement". "C'est une déclaration extrêmement grave qui porte atteinte à l'indépendance de l'Anses", s'est aussi alarmé auprès de l'AFP le député socialiste Dominique Potier. L'eurodéputé (Renaissance) Pascal Canfin, cité par Le Monde (article payant), souligne lui aussi que la science est "maintenant très claire concernant cet herbicide" et que la priorité est "de travailler aux alternatives pour les agriculteurs, pas de mener des combats du passé".
"Nous respecterons désormais le cadre européen"
Des critiques qui n'ont donc pas trouvé d'écho au sein du ministère. Dans sa tribune, Marc Fesneau rappelle aussi que la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé un "plan pour anticiper le retrait des substances actives potentiellement problématiques" devant concilier souveraineté alimentaire et transition écologique. Il estime que cette planification ne doit "pas introduire une distorsion de concurrence avec nos voisins européens".
Le ministre explique aussi qu'une décision d'interdiction de la Commission européenne pourrait ne pas intervenir avant novembre 2024, soit "jusqu'à deux ans après la fin de l'utilisation au niveau français", jugeant un tel décalage "peu compréhensible".
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