Convoi de l'eau : à Mauzé-sur-le-Mignon, une bassine ultra-surveillée et des opposants qui veulent un "autre modèle agricole"
"Nous, clairement, si demain la réserve est cassée, les chèvres disparaissent." Samuel Baudouin est éleveur de chèvres dans les Deux-Sèvres, et il cultive de la luzerne pour les nourrir. Pour cela, Samuel dépend d'une réserve d'eau, la seule opérationnelle dans le marais poitevin, à Mauzé-sur-le-Mignon, dans la Sèvre niortaise.
Une réserve qui, comme tous les projets de retenues d'eau, ne manque pas de créer des remous, d'autant que 15 autres bassines doivent voir le jour dans la région. Une nouvelle manifestation des anti-bassines, un "convoi de l'eau", va s'élancer vendredi 18 août pas loin de là, près de Sainte-Soline, où de violents affrontements autour d'un projet de méga-bassines avaient eu lieu en octobre et mars derniers, direction Orléans, avant une arrivée à Paris le week-end du 26 août. Un convoi à vélo et en tracteur pour demander un moratoire sur les projets en cours, et sensibiliser à la question du partage de l'eau.
Une réserve ultra-protégée "sinon il y a des dégradations"
La réserve de Mauzé-sur-le-Mignon se cache derrière de grandes grilles cadenassées. Quelque 241 000 m3 d'eau, étalés sur cinq hectares et protégés comme de l'or : "de la vidéosurveillance, des détecteurs de mouvement... On est obligés, sinon il y a des dégradations, explique l'agriculteur. Ils parlent de guerre de l’eau, mais pour faire la guerre, il faut être deux. Aujourd’hui, les opposants se battent tout seul."
L’eau de la bassine a été pompée cet hiver directement dans les nappes phréatiques et réutilisée cet été pour irriguer les cultures. Un soulagement pour Samuel Baudouin : "En 2019, on a été coupés très tôt de l'irrigation et on a dû acheter 50 000 euros de soja étranger. Pour une petite structure comme la nôtre, familiale, c'est énorme. Donc aujourd'hui, avec la réserve, on a la sécurité d'avoir à manger pour nos chèvres et on dort mieux de ce côté-là."
"Stocker de l'eau en plein soleil, c'est ridicule"
En revanche, "on dort moins du côté de la pression des opposants", confie l'éleveur. Les opposants se trouvent à quelques kilomètres de la réserve, au bord du Mignon, la rivière qui traverse le marais poitevin. Son niveau est au plus bas, à sec ou presque à de très nombreux endroits. Pour Patrick Picaud, de l’association Nature Environnement, c’est la preuve que la bassine de Mauzé est un contre-exemple à ne surtout pas reproduire ailleurs. "Dans les contreparties environnementales à la construction de ces réserves-là, il doit y avoir la garantie du bon état des milieux aquatiques", défend-il.
"La réalité, c'est qu'à Mauzé, le Mignon s'est arrêté de couler. Et des poissons meurent, ça pose quand même un souci sur le premier ouvrage qui est construit, sachant qu'il y en a encore 15 à venir. On craint le pire."
Patrick Picaud, de l’association Nature Environnementà franceinfo
"Ils sont en train de créer le désert. Stocker de l’eau, en plein soleil, c’est ridicule", fustige Jean-Jacques Guillet, du collectif 'Bassines non merci', insistant sur l'évaporation de l'eau. Un argument qui ne tient pas à écouter Thierry Boudaud, agriculteur et président de la coopérative de l’eau du 79. "C’est un grand réservoir à ciel ouvert, mais l’évaporation n’a pas dépassé les 5 à 6% l’été dernier, assure-t-il. C’est une perte mais c’est plus intelligent que de ne rien faire, de laisser l’eau partir à la mer l’hiver et de subir les sécheresses l’été."
"Pour diminuer les prélèvements, il faut changer les pratiques agricoles"
Les anti-bassines réclament un moratoire, c'est-à-dire l’arrêt de tous les projets de retenues d’eau en construction. Mais au-delà, ils appellent surtout à repenser le modèle agricole actuel. "On ne protégera pas les milieux naturels, l'eau potable, avec les effets du changement climatique, si on ne diminue pas les prélèvements. C'est aussi simple que ça", insiste Patick Picaud, de Nature Environnement. "Si on ne prend pas soin de s’organiser collectivement à assurer l’approvisionnement en eau des besoins agricoles du territoire, les exploitations les plus fragiles, les plus petites, vont disparaître en premier", réplique Thierry Boudaud.
"Pour diminuer les prélèvements, il faut surtout changer les pratiques agricoles, plaide Patrick Picaud. Il y a un virage qu'on attend depuis 20 ans et qui n'est toujours pas pris." En attendant une question reste en suspens, au cœur de toutes ces batailles : comment partager l’eau entre tous les usagers dans les mois et les années à venir ?
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