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Blocage des raffineries : on vous explique pourquoi l'huile de palme est dans le viseur des agriculteurs (mais aussi des écologistes)

La FNSEA a annoncé le blocage de raffineries et de dépôts de carburant pour protester contre la concurrence de l'huile de palme, moins chère et importée notamment d'Asie.

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants contre les ordonnances sur la réforme du Code du travail bloquent l'accès à la raffinerie Total de la Mède (Bouches-du-Rhône), le 25 septembre 2017. (MAXPPP)

Un coup de pompe. La FNSEA, principal syndicat agricole, et les Jeunes agriculteurs ont annoncé, dimanche 10 juin, vouloir bloquer 13 raffineries et dépôts de carburant à travers la France. Lundi matin, 14 raffineries et dépôts étaient bloqués. Ces actions ont débuté dès dimanche, a précisé à franceinfo Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA. Les agriculteurs protestent contre l'autorisation donnée par le gouvernement au groupe pétrolier Total d'importer 300 000 tonnes d'huile de palme pour sa raffinerie de la Mède (Bouches-du-Rhône), près de Marseille, soit 50% des besoins de l'usine.

Les agriculteurs ne sont pas les seuls à s'opposer à cette autorisation. Les associations écologistes dénoncent l'utilisation de l'huile de palme, responsable de la destruction des forêts équatoriales et considérée plus nocive que le diesel lorsqu'elle est utilisée comme carburant. De son côté, le ministère de l'Agriculture Stéphane Travert a pris position du côté des agriculteurs, le 6 juin sur Public Sénat, en demandant que la raffinerie de Total soit approvisionnée par "de la production française" de colza.

Comment des groupes, d'habitude très opposés, ont-ils pu se rassembler autour d'une même cause ? Franceinfo récapitule les arguments contre l'ouverture de la "bio-raffinerie" de la Mède.

L'huile de palme importée concurrence l'huile de colza française

Le principal syndicat des agriculteurs dénonce la concurrence déloyale de l'huile de palme importée, qui ne serait pas soumise aux mêmes exigences environnementales que leur impose la loi française. Une réglementation qui a un impact direct sur les prix. Une tonne d'huile de palme est en effet 15% moins chère qu'une tonne d'huile de colza, selon Arnaud Rousseau, président de la fédération des producteurs d'oléagineux et de protéagineux. L'huile de palme est même l'huile la moins chère du marché, rapporte Libération, "grâce à des coûts de production très bas et des droits de douanes bien inférieurs aux autres".

Selon la FNSEA, l'importation de 300 000 tonnes d'huile de palme pour le fonctionnement de la raffinerie revient à sacrifier la filière française de bio-carburants. L'huile proviendra principalement de Malaisie et d'Indonésie"Si la société Total a intérêt à faire du bio-carburant mais qu'elle ne le fait pas à partir de colza qu'elle peut trouver en France, proteste Damien Greffin, le président de la FNSEA en Île-de-France, c'est qu'elle l'achète moins cher et que c'est économiquement plus rentable pour elle". 

Cette autorisation est en contradiction avec les engagements de Nicolas Hulot

Le projet a de quoi gêner le gouvernement. Le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, devait présenter en juillet sa stratégie nationale contre la déforestation importée, note Libération. Alors le 16 mai, poursuit le quotidien, lorsque le préfet de la région Paca valide le projet, Nicolas Hulot s'empresse de se dédouaner dans un communiqué. "Ce projet a été décidé en 2015", soit avant qu'il ne soit en fonction, insiste le ministère. "C'est pourquoi, ajoute le communiqué, le ministre Nicolas Hulot a veillé à ce que l'arrêté d'autorisation prévoie bien l'obligation d'utiliser des huiles répondant aux critères de durabilité fixés par la Commission européenne." 

Nicolas Hulot a également présenté, en mai, ses pistes pour la biodiversité. Parmi les cinq axes de l'initiative, figurent la protection et la restauration de la nature "dans toutes ses composantes". Or, l'huile de palme serait responsable de 2,3% de la déforestation mondiale, selon des chercheurs du Cirad, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.

"Les choses ne peuvent pas être réglées en un an", s'est défendu Nicolas Hulot sur BFMTV et RMC, le 16 mai. Car Total s'était surtout engagé à sauvegarder 450 emplois du site de la Mède. "Je ne peux pas leur demander, alors qu'ils ont fait ces efforts et ces investissements, de renoncer", mais de "réduire au maximum leur utilisation d'huile de palme". Le jour même, l'entreprise pétrolière prenait l'engagement de "limiter l'approvisionnement en huile de palme brute à un volume inférieur à 50%, [...] soit au plus 300 000 tonnes par an". Cela n'a pas suffi à rassurer les syndicats agricoles.

L'utilisation de l'huile de palme est controversée

L'utilisation de l'huile de palme est critiquée de toutes parts, surtout concernant son impact écologique. "Il faudra déforester de nouvelles surfaces pour continuer à satisfaire la demande mondiale en huile de palme alimentaire", déplore Alain Karsenty, économiste au Cirad, auprès de LibérationDans un communiqué, l'association environnementale Greenpeace dénonce la décision du ministre de la Transition écologique de valider le projet. "Nicolas Hulot apparaît désormais acquis aux agro-carburants produits à partir d’huile de palme, écrit Greenpeace, alors que ceux-ci sont responsables de trois fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que les carburants fossiles".

Le ministre pourrait trouver une nouvelle pierre dans son jardin : l'Union européenne. La future directive de l'Union européenne sur les énergies renouvelables "devait exiger la fin de l'usage d'huile de palme dans les carburants d'ici 2021", rapporte le Journal du dimanche. Selon l'hebdomadaire, la France bloquerait les avancées sur la question pour ne pas froisser l'Indonésie et la Malaisie, acheteurs potentiels d'équipements militaires. En mars 2017, la France était en discussions avec la Malaisie pour la vente de 18 avions.

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