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Tribune "C’est une non-assistance à nature en danger" : deux chercheurs du CNRS dénoncent le manque de décisions politiques

Vincent Devictor et Laurent Godet montrent dans une étude comment les activités humaines sont favorisées dans les arbitrages politiques face à la protection de la nature. Nous leur avons donné la parole. 

Article rédigé par franceinfo
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Temps de lecture : 4 min
Un poisson pris dans le plastique, dans la mer des Caraïbes, en février 2018.  (MAXPPP)

Alors que l'un des étés les plus chauds s'achève, que les "continents de plastiques" s'étendent dans les océans, que Nicolas Hulot a quitté le navire en invoquant son incapacité à agir, deux chercheurs le démontrent : la crise de la biodiversité est politique. En tout cas, ce n'est pas la responsabilité d'une recherche scientifique qui n'aurait pas su prouver assez tôt les preuves de la mise en danger des espèces et des écosystèmes. Alors qu'un peu moins de 13 000 articles scientifiques sont venus démontrer le caractère avéré et grave de la crise environnementale, la biodiversité demeure menacée. C'est sur ce paradoxe que se sont penchés deux chercheurs du CNRS, Vincent Devictor et Laurent Godet (leur étude, en anglais, est disponible à la fin de cet article). Leur conclusion : les arbitrages politiques sont toujours plus favorables aux activités humaines, notamment économiques, qu'à la protection de la nature. Ils s'expriment ici librement. 

Hécatombe, annihilation. C’est ainsi que les chercheurs qualifient la trajectoire de la diversité biologique. Non seulement des espèces disparaissent à jamais, mais les populations d’oiseaux, de poissons ou d’insectes s’effondrent. Aucun doute : notre mode de développement destructeur est responsable.

La solution à la crise environnementale viendra-t-elle de la science ? La réponse est non. Nous avons étudié 12 971 publications scientifiques consacrées au sujet depuis 15 ans. Le constat est sans appel. Depuis près d’un siècle, nous connaissons les causes de la crise de la biodiversité : destructions d’habitat, surexploitation, introductions d’espèces invasives dans les îles et les milieux fermés, extinctions en chaînes, changement climatique. Nous ne pouvons plus nous cacher derrière l’ignorance ou la complexité de la situation.

"On ne peut protéger des espèces et autoriser leur chasse"

Faut-il toujours plus de compromis entre protection de la nature et développement économique ? La réponse est non. Le modèle du développement durable cache des incompatibilités fondamentales. Il faut être capable d’engager des mesures de protection fortes, qui n’ont pas pour objectif de faire, en même temps, une chose et son contraire. On ne peut protéger les habitats et favoriser l’urbanisation. On ne peut protéger des espèces et encourager leur chasse. Tout n’est pas toujours possible quand il est question d’écologie. Des espèces et des espaces imposent des contraintes à nos activités. Le retour spontané du loup est un bon exemple. Il signe la dynamique positive d'une espèce protégée mais que l'on s'empresse de détruire en autorisant les "prélèvements". Penser que tout est compatible est infantilisant. Cela ignore plusieurs décennies de recherches scientifiques dans le domaine. Les dynamiques écologiques ne s'alignent pas sur les projets d'aménagements. 

On ne dicte pas au loup là où il faut qu'il s'installe, ni aux populations de poissons leurs capacités de reproduction. Il est temps d'admettre que l'on ne domine pas tout en matière d'écologie.

Vincent Devictor et Laurent Godet

à franceinfo

La recherche sur la crise de la biodiversité est-elle condamnée à apporter des mauvaises nouvelles ? La réponse est non. Des tendances très positives d’amélioration de la qualité de certains milieux ou d’effectifs de certaines espèces sont observées, dès lors que des mesures de bon sens sont appliquées : certains carnivores reviennent alors spontanément en Europe, la création d’aires protégées dans les milieux marins sur les poissons a des effets spectaculaires. La recherche est avide de bonnes nouvelles de ce type. Elle n’a pas vocation à être optimiste ou pessimiste. Elle est tout simplement réaliste.

"L’écologie n’est plus un luxe ou une opportunité"

L’écologie est-elle seulement préoccupée par des pays lointains et les animaux dignes d’apparaître dans les albums photos ? La réponse est non. Tous les pays sont désormais scrutés de près par les chercheurs et font l’objet des mêmes constats alarmants sur la biodiversité, les causes de son déclin et les solutions à sa protection. Le diagnostic est clair. L’écologie n’est plus un luxe ou une opportunité, c’est une nécessité qui porte sur un état de faits.

Les décisions politiques en matière d’écologie sont-elles suffisantes ? La réponse est non. Le modèle utilitariste d’exploitation de la nature est la cause de la crise de la biodiversité, pas la solution. Notre étude sur ce que la science propose dans le domaine montre ce que nous savons déjà : il y a une limite écologique fondamentale à la croissance effrénée. Les décisions politiques sont reportées, amendées, ou contrées par des lobbys qui ne représentent ni l’intérêt général ni des solutions concrètes à la crise de la biodiversité. Le modèle agricole dominant est devenu industriel, hors-sol. Il ne correspond plus à un savoir-faire mais à l’expression d’intérêts qui écrasent les alternatives écologiques, moins destructrices, moins polluantes et tout aussi efficaces. Il est devenu irresponsable de ne pas prendre la mesure des problèmes écologiques. C’est une non-assistance à nature en danger. 

Le PDF de l'étude de Vincent Devictor et Laurent Godet (en anglais) by franceinfo on Scribd

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