Cet article date de plus de quatre ans.

La mort d'Abdelmalek Droukdal vue par la presse en Algérie : "la fin du dernier des chefs terroristes algériens"

Il commandait aux destinées d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Abdelmalek Droukdal, chef d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), quelque part dans le nord du Mali avec certains de ses hommes vers 2012. (AFP PHOTO/ AL-ANDALUS)

Le chef d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), l'Algérien Abdelmalek Droukdal, a été tué au Mali, a-t-on appris le 5 juin 2020. Dans les quelques journaux maliens accessibles en ligne, l’information est donnée brute, sans guère d’explications. Mais dans la presse algérienne, elle fait l’objet de plusieurs articles fouillés.

"Même si beaucoup de Maliens ont émis des doutes, apparemment cette information aurait été bien été vérifiée avant sa diffusion", rapporte le journal Les Echos à Bamako. Prudence, donc : l’article préfère garder le conditionnel. "Cette opération, si elle s’avère, peut être considérée comme un succès important dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Aussi, elle pourrait être un grand coup porté aux organisations terroristes dans la région. Pour certains analystes de la sécurité dans le Sahel, Droukdal (souvent orthographié Droukdel dans la presse africaine, NDLR) était 'l'un des authentiques poids lourds du jihadisme au Sahel'", poursuit le journal.

Il précise que le chef jihadiste faisait partie "de la direction du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), une sorte de confédération de groupes armés, créée en 2017 et devenue, depuis, le cauchemar de l’armée malienne, des forces du G5-Sahel, de l’opération militaire française Barkhane et de la mission de l’ONU au Mali (Minusma)”.

La France tente-t-elle de "justifier sa présence au Mali" ?

"La nouvelle intervient soudainement, au moment où la population malienne organise des manifestations pour protester contre la présence de l’armée française sur son territoire", constate de son côté le quotidien algérien L’Expression, qui parle du leader jihadiste comme du "tristement célèbre Abdelmalek Droukdal, alias Abou Moussaâb Abdelwadoud". "En cas de confirmation (de l’information), l'armée française aura (...) justifié sa présence au Mali, où elle est de plus en plus indésirable", estime-t-il.

L’affaire intervient "aussi au moment où des filières de Daech qui ont récemment émigré depuis la Syrie vers le Mali, soit le Sahel, d'une façon générale s'attaquent à des tribus de Touareg maliens au nord du Mali", poursuit le journal.

Cette analyse du déplacement des groupes jihadistes est peu ou prou partagée par un autre quotidien algérien, El Watan. "Décimée au Maghreb, la nébuleuse Al-Qaïda semble avoir trouvé un terrain fertile au développement de ses activités criminelles en Afrique de l’Ouest. L’intervention de la France dans le nord du Mali en 2013 a eu pour effet de contraindre les terroristes à se réfugier au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Niger et au Togo", explique-t-il. Pour cette source, "la présence d'Abdelmalek Droukdal dans le nord du Mali, après avoir séjourné en Libye, confirme (...) le déplacement de l’épicentre de la violence ou de la terreur du Maghreb vers le Sahel."

Ce déplacement, ce "basculement" s’expliqueraient "avant tout", selon "un expert algérien du terrorisme" (non nommé), cité par El Watan, "par la pression constante mise par l’armée algérienne sur les groupes terroristes". Une pression telle que "l’Etat islamique a été par exemple dans l’incapacité de s’implanter en Algérie".

Militaires algériens montant la garde près du site gazier de Krechba, à 1200 km au sud d'Alger (14 mars 2008) (REUTERS - ZOHRA BENSEMRA / X90036)

"La fin du contrôle par des Algériens des principaux groupes armés" au Maghreb et au Sahel

Pour le quotidien, la mort d’Abdelmalek Droukdal symbolise en quelque sorte ce changement en marquant "la fin du dernier des chefs terroristes algériens". Elle "marque la fin du contrôle par des chefs terroristes algériens des principaux groupes armés actifs en Afrique du Nord et au Sahel", analyse-t-il. "Dans ces deux régions, la majorité des groupuscules affiliés à l’Etat islamique et ou à Al-Qaïda sont désormais dirigés par des Sahéliens, comme c’est le cas du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) qui est commandé par le Targui (Touareg, NDLR) Iyad Ag Ghali. Le terrorisme au Niger, au Nigeria et au Burkina Faso a de plus en plus tendance à être un phénomène autochtone. Il l’est aussi au Mali avec l’apparition de la Katiba Macina."

"Cette élimination peut avoir un impact positif en Algérie, mais pas dans le Sahel", estime de son côté l’universitaire marocain Djallil Lounas cité par Liberté, autre quotidien algérien. "La dynamique sahélienne est totalement différente de celle existant en Algérie", reprend-il. "Ce n’est pas la mort de Droukdal qui va changer ce qui se passe au Mali, par exemple. Au Sahel, les groupes armés sont en position de force. Or, les Etats n’arrivent pas à contrôler ces groupes. Les armées locales risquent l’effondrement. La situation est très difficile."

"Le roi est mort, vive le roi" 

A l’unisson, la presse algérienne évoque "la longue et sanglante cavale d’Abdelmalek Droukdal", selon l’expression du Soir d’Algérie. "C’est sous (sa) férule" que le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) "a décidé de faire allégeance à Al-Qaïda pour créer la branche maghrébine de celle-ci, vers la fin 2006", écrit le journal. "En Algérie, Droukdal a voulu, dès son intronisation, faire plus fort que ses deux prédécesseurs en tant que chef suprême des groupes terroristes. Il s’est 'illustré' par la conduite d’attentats, notamment dans la capitale et un peu plus à l’est, en Kabylie", avant de partir pour la Libye et le Sahel. 

"Abdelmalek Droukdal était ingénieur de formation, il était membre de l’ex-Front islamique du salut. Il a rejoint le maquis avec plusieurs autres militants du même parti (FIS) lors de l’annulation du processus électoral en 1992", rappelle de son côté un autre journal algérien, La Nouvelle République. Et de rappeler : "Le chef d’Aqmi a salué l’enlèvement et l’exécution des deux diplomates algériens Ali Belaroussi et Azzedine Belkadi à Bagdad (Irak)."

Pour autant, sa disparition "ne veut pas dire la fin d’Aqmi ou du terrorisme", avertit La Nouvelle République. "Comme le dit un certain proverbe, 'le Roi est mort, vive le Roi'. Un autre chef terroriste sera désigné dans les prochains jours pour remplacer Abdelmalek Droukdal." Et d’ajouter : "Aqmi tentera (…) de venger la mort de son chef en menaçant la France de frapper ses intérêts dans le monde. Ce ne sera pas uniquement la France, l’Europe ou l’Occident qui seront la cible des 'jihadistes'. L’organisation terroriste 'Aqmi' ou autres groupes armés peuvent frapper n’importe où et à n’importe quel moment." 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.