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Affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy : on vous explique pourquoi le revirement de Ziad Takieddine est sujet à caution

Depuis Beyrouth, où il a fui la justice française, le principal accusateur de l'ancien président dans cette affaire est revenu sur ses déclarations. Une volte-face qui pourrait remettre en cause l'ensemble du dossier.

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine s'adresse à la presse le 7 octobre 2019, au palais de justice de Paris. (BERTRAND GUAY / AFP)

Nouveau rebondissement dans l'affaire du financement libyen supposé de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. En fuite au Liban alors qu'il a été condamné en juin à cinq ans de prison en France dans une autre affaire, Ziad Takieddine, homme d'affaires franco-libanais de 70 ans, fait volte-face.

Le principal accusateur de l'ancien président assure mercredi 11 novembre, dans une interview vidéo à Paris Match et BFMTV"n'avoir jamais remis cinq millions d'euros pour la campagne de Nicolas Sarkozy". Il revient ainsi sur des déclarations filmées faites au site d'investigation Mediapart, le 15 novembre 2016. "J'ai remis trois valises d'argent libyen à Guéant et Sarkozy" (pour financer la première campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy), déclarait-il alors, avant de réitérer ses propos devant la justice. Voici pourquoi son dernier retournement est sujet à caution.

C'est un personnage en fuite et "aux abois"

Franco-libanais, Ziad Takieddine a bâti sa fortune comme intermédiaire, notamment dans les contrats internationaux de ventes d'armes, souligne L'Express dans ce portrait datant de 2011. Il s'est réfugié à Beyrouth alors qu'il a été condamné en juin 2020 à cinq ans de prison ferme dans l'affaire Karachi, liée à la vente par la France de sous-marins au Pakistan en 1994. Il s'agit donc d'un homme en cavale fuyant la justice française, dont les propos sont accueillis avec scepticisme par les connaisseurs de l'affaire libyenne. 

Interrogé par franceinfo, le journaliste Vincent Hugeux, auteur d'un livre intitulé Kadhafi (éditions Perrin, 2017), dit ainsi accueillir ce rebondissement "avec une infinie circonspection, teintée d'amusement".

Ziad Takieddine est un personnage – on le sait aux abois, en cavale, condamné à une peine de prison ferme dans l'affaire Karachi –, qui nous assène depuis maintenant sept ans des vérités successives et contradictoires.

Vincent Hugeux (journaliste)

à franceinfo

Il avait affirmé plusieurs fois avoir lui-même remis de l'argent à Nicolas Sarkozy

Aujourd'hui, Ziad Takieddine assure "n'avoir jamais remis cinq millions d'euros pour la campagne de Nicolas Sarkozy". Il accuse les juges de "lui avoir mis la pression". "Je le dis haut et fort, ce juge Tournaire (l'ancien juge d'instruction en charge du dossier) a bien voulu tourner ça à sa manière et me faire dire des propos qui sont totalement contraires aux propos que j'ai dits (...) : il n'y a pas eu de financement de campagne présidentielle de Sarkozy".

"C'est une volte-face que personne n'attendait", commente la journaliste de France Télévisions Sophie Neumayer dans la vidéo de France 2 ci-dessous. "Certes, Ziad Takieddine est régulièrement décrit dans les médias comme 'spécialiste de la volte-face (...). C'est le maillon faible, il est fou, il est versatile (...), connu pour ses déclarations fluctuantes" et il a "même été condamné pour faux témoignage dans un autre dossier", complète-t-elle.

Néanmoins, jusqu'à ses déclarations fracassantes à Paris Match ce 11 novembre, Ziad Takieddine avait régulièrement confirmé avoir transporté cet argent libyen destiné à financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

Il avait été interrogé à au moins quatre reprises sur le sujet par le juge d'instruction Serge Tournaire. Et en janvier 2020, lors de sa dernière audition par les successeurs du juge Tournaire, Aude Buresi et Marc Sommerer, il n'était pas revenu sur ses précédentes déclarations. L'homme d'affaires est mis en examen dans ce dossier pour complicité de corruption, de trafic d'influence, et complicité de détournement de fonds publics. 

Le parquet national financier a réagi aux dernières déclarations de l'homme d'affaires, jeudi 12 novembre. Le procureur rappelle que "les interrogatoires de M. Ziad Takieddine (...) ont été effectués par un ou plusieurs juges d'instruction en présence d'un greffier et de l'avocat de M.Takieddine" et qu'"à chaque fois, M. Takieddine a disposé de tout le temps nécessaire pour relire ses procès-verbaux d'auditions avant de les signer". Le parquet précise que l'homme n'a "jamais formulé la moindre observation sur le déroulement de ses interrogatoires". 

Ziad Takieddine avait également porté ces accusations à plusieurs reprises dans la presse, notamment auprès de Mediapart en 2016, ainsi qu'en mars 2018 au micro de franceinfo.

Les déclarations dédouanent Nicolas Sarkozy, pas forcément ses proches

Mis en examen dans ce dossier depuis mars 2018 pour "recel de détournement de fonds publics", "corruption passive" et "financement illégal de campagne électorale", et depuis mi-octobre pour "association de malfaiteurs", Nicolas Sarkozy s'est réjoui sur les réseaux sociaux de ce revirement de situation.

"La vérité éclate enfin. Depuis sept ans et demi, l'instruction n'a pas découvert la moindre preuve d'un quelconque financement illicite", écrit l'ancien chef de l'Etat sur son compte Facebook. "L'information judiciaire ouverte sur les seules déclarations mensongères de Ziad Takieddine se trouve aujourd'hui dans une impasse complète." 

Le principal accusateur reconnaît ses mensonges. Jamais il ne m'a remis d'argent, jamais il n'y a eu de financement illégal de ma campagne de 2007.

Nicolas Sarkozy

sur son compte Facebook

"Je demande à mon avocat Thierry Herzog de déposer une requête en démise en examen et d'engager une procédure pour dénonciation calomnieuse contre Ziad Takieddine, dont les précédentes allégations m'ont causé un préjudice considérable", conclut-il. En clair, il demande à ne plus être mis en examen.

Mais les dernières déclarations de Ziad Takieddine n'innocentent pas les proches de l'ancien président, en particulier Claude Guéant, l'ex-secrétaire général à l'Elysée de Nicolas Sarkozy, qui deviendra ensuite son ministre de l'Intérieur. "Tout ce que j'ai fait c'est donner 5 millions en cash à Claude Guéant, chez moi, à la maison, en application des termes d'un accord de sécurité entre la France et la Libye. C'était en 2005. Un contrat de sécurisation des systèmes informatiques et de transmissions prévoyait de former en France du personnel libyen avec des rotations tous les mois", affirme-t-il aujourd'hui à Paris-Match.

Selon Fabrice Arfi, le journaliste de Mediapart à l'origine des révélations sur cette affaire, ces propos "colle(nt) à merveille à la nouvelle stratégie de défense de Sarkozy dans l'affaire libyenne", consistant, entre autres, à "charger" Claude Guéant, dont il fut autrefois très proche.

D'autres indices existent, mais sans preuve indiscutable

Enfin, font encore valoir les spécialistes, l'enquête "libyenne" ouverte après la publication par Mediapart en 2012 d'un premier document censé prouver que la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 avait été financée par le régime de Kadhafi, repose désormais sur d'autres éléments que les déclarations de Ziad Takieddine. 

En sept ans de travail, les magistrats ont réuni une somme d'indices troublants qui ont donné corps à cette théorie. Toutefois, aucune preuve matérielle indiscutable n'a pour l'heure été retrouvée, même si des mouvements de fonds suspects ont conduit à neuf mises en examen à ce jour. Le dernier mis en cause dans ce dossier est Thierry Gaubert, un ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy. Il a été mis en examen en janvier 2020 pour "association de malfaiteurs".

Thierry Gaubert est en effet soupçonné d'avoir touché le 8 février 2006 un virement de 440 000 euros provenant du régime libyen de Kadhafi, sans que l'on sache quel usage en a été fait. Les fonds ont transité par une société dénommée Rossfield et appartenant à Ziad Takieddine, longtemps un de ses intimes. Le dossier repose aussi sur d'autres éléments comme des témoignages de dignitaires libyens ou des notes des services secrets de Tripoli.

Toutefois, comme le note le journaliste du Monde Gérard Davet, l'ensemble du dossier pourrait être remis en cause par ce revirement. Cette enquête repose en grande partie sur les déclarations de M. Takieddine, un personnage "qui ment comme il respire". Le journaliste relève en outre qu'"entre donner de l'argent, éventuellement, à des proches de Nicolas Sarkozy et le donner à Nicolas Sarkozy pour sa campagne présidentielle, il y a une marge gigantesque".

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