Burkina Faso : ce que l'on sait de l'affaire Sankara en attendant le procès
Blaise Compaoré, l'ancien président burkinabè et compagnon d'armes de Thomas Sankara, sera finalement jugé.
Le procès tant attendu par la famille Sankara et les Burkinabè depuis l'assassinat de Thomas Sankara pendant le coup d'Etat du 15 octobre 1987, se précise. Le dossier a été renvoyé le 13 avril 2021 devant le tribunal militaire de Ouagadougou, la capitale burkinabè, après la confirmation des charges contre les principaux accusés, en premier lieu l'ancien président Blaise Compaoré. L'alter ego de Sankara, aux manettes du putsch militaire de 1987, sera ainsi prochainement jugé lors d'un procès dont la date n'a pas encore été fixée. De même que le général Gilbert Diendéré, actuellement en prison pour le putsch manqué de 2015. Les deux hommes sont accusés de "complicité d'assassinat" et "d'attentat à la sûreté de l'Etat". D'autres soldats de l'ex-garde présidentielle figurent parmi les 14 accusés, dont l'ancien adjudant-chef Hyacinthe Kafando, soupçonné d'avoir été le chef du commando et actuellement en fuite.
Un leader aux idées "trop" révolutionnaires
Thomas Sankara a 33 ans quand il arrive au pouvoir par la voie des armes le 4 août 1983 grâce à un fidèle, Blaise Compaoré. Il rebaptise la Haute-Volta, qui renvoie selon lui à "un passé colonialiste", en Burkina Faso, qui peut être traduit du moré par "Le pays des hommes intègres".
Cette démarche résume le dessein politique de Sankara qui proclame une "révolution démocratique et populaire". A savoir assurer le développement de son pays en s'appuyant sur ses ressources et se libérer, dans la mesure du possible, des relations de dépendance qui lient généralement les pays africains, pauvres, à leurs anciens colonisateurs, la France pour le Burkina Faso. L'ancien président français, François Mitterrand, avait dit de ce capitaine au verbe haut lors d'un dîner officiel en 1986 : "Il tranche trop aussi, il va plus loin qu'il ne faut." Sous Sankara, les relations entre Paris et Ouagadougou sont qualifiées de "difficiles" par le président burkinabè. Une mésentente qui aurait, pour beaucoup, scellé son sort politique.
Quatre ans après sa prise de pouvoir, c'est un autre coup d'Etat, fomenté par le même Blaise Compaoré – dont Sankara avait été à maintes reprises averti par son entourage des intentions – qui met fin aux ambitions révolutionnaires du capitaine. Quelques mois avant sa disparition à 37 ans, le jeune dirigeant avait commencé à faire face à une certaine contestation. Les réformes prônées étant devenues insoutenables pour une partie de la population.
L'homme qui se sentait "mal compris" et "mal aimé" quand il était au pouvoir fait depuis sa mort l'objet d'un culte. L'avant-gardisme de ce leader anti-impérialiste, surnommé le "Che Guevara africain", fait écho aux aspirations des populations africaines. Notamment des jeunes. L'héritage de Sankara sera revendiqué durant le soulèvement populaire d’octobre 2014 qui conduit à la chute de Blaise Comparé, exfiltré de son pays par la France.
Assassiné par un commando
Les événements qui ont conduit à sa mort font l'objet d'une reconstitution en février 2020. Il en ressort que Thomas Sankara et ses compagnons ont été surpris par un commando après une réunion dans le bâtiment du Conseil de l'Entente dans la capitale burkinabè Ouagadougou. Alors qu'il sortait du bâtiment, le jeune président a été criblé de balles, à l'instar de 12 autres personnes. Les 13 corps ont été enterrés à la hâte au cimetière de Dagnoën, dans la banlieue Est de la ville.
Ultime occasion de rendre justice à Sankara
Mariam Sankara, la veuve du capitaine, s'emploie à lui rendre justice. Installée à Montpellier, dans le sud de la France depuis 1990 avec ses deux enfants, elle porte plainte contre X au nom de ses enfants pour "assassinat" en 1997, peu avant la prescription. Le régime burkinabè refuse alors l'ouverture d'une enquête. Sankara demeure un sujet tabou pendant les 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré, finalement renversé. L'affaire judiciaire est relancée sous la transition démocratique.
La famille Sankara demande ensuite l'exhumation du corps pour vérifier qu'il s'agit bien du sien. Les corps présumés de Sankara et ses compagnons seront exhumés en mai 2015 pour une expertise ADN, afin de tenter de déterminer l'identité des victimes et lever le voile sur les circonstances de leur mort. Malgré des analyses en France, puis en Espagne, les identités ne seront pas confirmées. Dans un entretien à l'AFP en 2017, Mariam Sankara demande à ce que Blaise Compaoré "vienne répondre à la justice".
De la présence de Blaise Compaoré au procès
Depuis le 7 mars 2016, un mandat d'arrêt a été émis contre Blaise Compaoré exilé en Côte d'Ivoire. Devenu citoyen ivoirien, il ne peut être extradé. L'ancien président a toujours nié son implication dans l'assassinat de Thomas Sankara. "Il y a deux possibilités pour Blaise Compaoré : soit il comparaît volontairement et librement, soit on exécute à son encontre le mandat d'arrêt international", a déclaré Prosper Farama, l'un des avocats de la famille Sankara. "Ce que nous souhaitons c'est qu'il puisse comparaître volontairement", a-t-il ajouté.
Le rôle de la France dans le volet judiciaire
Pour sa première visite sur le continent africain en 2017, le nouveau président français Emmanuel Macron choisit le Burkina Faso. Il y annonce la déclassification de tous les documents français concernant l’assassinat de Thomas Sankara, le président du Conseil national de la révolution (CNR) qui a dirigé le Burkina Faso jusqu'en 1987. "Les archives sont aujourd'hui disponibles et ouvertes à la justice burkinabè, sauf pour les documents classifiés et couverts par le secret défense. J'ai pris un engagement clair et je viens de le dire au président Kaboré : ces documents seront déclassifiés pour la justice burkinabè qui aura accès à tous les documents sur l'affaire Sankara", déclare alors Emmanuel Macron le 28 novembre 2017. Selon les avocats de la famille Sankara, "un important lot de ces documents a été transmis à la justice burkinabè", qui n'en a pas communiqué le contenu.
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