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Algérie : quatre questions pour comprendre la situation après les annonces d'Abdelaziz Bouteflika

Confronté à une contestation inédite depuis son élection à la tête de l'Algérie il y a vingt ans, le président a annoncé qu'il renonçait à briguer un cinquième mandat et qu'il reportait la présidentielle du 18 avril. Tout en prolongeant son mandat jusqu'à une date inconnue.

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Un étudiant brandit une pancarte dans une manifestation contre la prolongation du mandat d'Abdelaziz Bouteflika, à Alger (Algérie), le 12 mars 2019.  (RYAD KRAMDI / AFP)

"Il annule la présidentielle, mais reste au pouvoir : la dernière ruse de Bouteflika", titre à sa une le quotidien El Watan, mardi 12 mars. Au lendemain de l'annonce du report de la présidentielle d'avril, les Algériens s'interrogent. Si Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, a annoncé qu'il ne briguerait pas un cinquième mandat, comme le lui réclame un mouvement de contestation inédit, le président algérien assure qu'il restera en poste jusqu'à la présidentielle. Une élection reportée à une date qui demeure inconnue.

  (EL WATAN)

De facto, il prolonge ainsi son quatrième mandat. Que va-t-il se passer ? Bouteflika peut-il se maintenir au pouvoir ? Comment vont réagir les manifestants ? Pourquoi certains Algériens restent-ils sceptiques ? Franceinfo vous résume les enjeux de cette nouvelle situation.

Que promet le pouvoir en place ?

Dans son message à la nation publié lundi soir par les médias officiels, le président algérien s'engage à se retirer à l'issue d'une présidentielle anticipée, dont la date serait fixée à l'issue d'une "conférence nationale"Sur RFI, Ramtane Lamamra, tout juste nommé vice-Premier ministre, a affirmé que les élections, libres, auront lieu avant la fin de l'année.

La conférence, qui supervisera la transition, sera également chargée d'élaborer une nouvelle Constitution, pour lancer le "processus de transformation de notre Etat-nation", explique Abdelaziz Bouteflika. "Le projet de Constitution qui émanera de la conférence sera soumis à un référendum populaire", précise-t-il. 

Parallèlement, Bouteflika a limogé l'impopulaire Premier ministre Ahmed Ouyahia, remplacé par Noureddine Bedoui, jusqu'ici ministre de l'Intérieur. Bedoui a été chargé, lundi soir, de former un nouveau gouvernement. Il est flanqué d'un vice-Premier ministre – une première depuis 2012 –, Ramtane Lamamra, diplomate chevronné et estimé à l'étranger, qui retrouve en outre le portefeuille des Affaires étrangères qu'il avait détenu entre 2013 et 2017. "Difficile donc, au vu de ces nominations, de croire à un renouvellement des dirigeants", souligne RFI

Sur quelle base légale Bouteflika peut-il se maintenir au pouvoir ?

En s'engageant "à remettre les charges et les prérogatives de président de la République au successeur que le peuple algérien aura librement élu", Abdelaziz Bouteflika fait savoir qu'il restera en fonction au-delà de l'expiration de son mandat, le 28 avril 2019. Et ce jusqu'à ce qu'un nouveau président sorte des urnes.

Aucun texte – Constitution ou loi – n'est invoqué dans le message du président algérien pour reporter la présidentielle. "Dire qu'on annule la présidentielle, c'est anticonstitutionnel parce qu'elle ne peut être renvoyée qu'en cas de guerre", estime Ali Benflis, ancien Premier ministre algérien et adversaire d'Abdelaziz Bouteflika aux présidentielles de 2004 et 2014, sur franceinfo. "Le problème n’est pas de mettre en œuvre une nouvelle Constitution, mais de respecter déjà les lois qui existent, la Constitution en vigueur. L’annonce présidentielle elle-même n’est pas constitutionnelle", confirme Amel Boubekeur, chercheuse en sociologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, interrogée par Le Monde (article payant)

Pourquoi certains y voient-ils une "ruse" du régime ?

Pour Fayçal Métaoui, journaliste pour le site TSA (Tout sur l'Algérie), l'annonce du président algérien est une "supercherie" : "Une partie de la rue pense que, probablement, le pouvoir a contourné la demande de changement et a puisé dans le langage de l'opposition pour se maintenir", explique-t-il à franceinfo. La sociologue Amel Boubekeur estime également que le message du président algérien "traduit un mouvement de panique à la tête du régime, la volonté de ne pas voir la transition échapper à son contrôle."  

L'opposant Ali Benflis y voit la main d'un "régime autoritaire archaïque [qui cherche] à se maintenir au pouvoir pour préserver les avantages des clans et de leur clientèle." Et l'ancien Premier ministre d'Abdelaziz Bouteflika décrit les "forces extraconstitutionnelles" qui sont à l'œuvre, selon lui, derrière le président algérien et qui ont intérêt à reprendre la main : "Ce sont les proches, l'entourage, mais surtout ceux qui ont bénéficié de l'argent sale, des marchés publics. Ce sont des milliards et des milliards. De grands projets souvent inachevés ou mal faits et dont les bénéficiaires sont toujours quatre ou cinq personnes dans l'entourage du président. Ce sont des chaînes privées à leur disposition et quelques institutions d'Etat civil entraînées dans le soutien d'un président absent, qu'on ne voit pas."

Auprès du Monde, la sociologue Amel Boubekeur évoque les principaux enjeux à régler lors de la période de transition qui s'ouvre : "La redistribution de la rente, la réconciliation, la justice transitionnelle." Pour elle, si ces questions ne sont pas abordées par le message d'Abdelaziz Bouteflika, il faut y voir la marque d'un "régime cohérent qui fait front derrière l’impératif de perpétuer ses intérêts, de les proroger en tentant de prendre le contrôle de la transition."

Comment réagissent les Algériens ?

Lundi soir, le message du président algérien a été salué par un concert ininterrompu de klaxons dans le centre d'Alger. Toutefois, dès mardi matin, des centaines d'étudiants ont investi les rues du centre de la capitale pour dénoncer l'annonce du président algérien. Sur les réseaux sociaux, le logo de la contestation initiale, née le 22 février contre un cinquième mandat (un 5 cerclé et barré de rouge), a laissé la place à un "4" cerclé et barré et doté d'un "+", refus désormais du prolongement de l'actuel mandat de d'Abdelaziz Bouteflika. 

Le véritable révélateur sera néanmoins le vendredi 15 mars, premier jour du week-end et traditionnelle journée de manifestation depuis bientôt trois semaines. Sur Twitter, le hashtag "mouvement du 15 mars" a déjà remplacé ceux des 22 février, 1er et 8 mars (les trois vendredis précédents, durant lesquels se sont déroulées des manifestations massives), en appelant à un quatrième vendredi consécutif de mobilisation. L'appel à manifester le 15 mars "a circulé avec beaucoup d'intensité" constate Fayçal Métaoui, journaliste de TSA, dont le site s'interroge mardi matin : "Que pensera la rue maintenant que Bouteflika propose une transition gérée par le pouvoir ?"

Pour le politologue Hasni Abidi, interrogé par France 2, "la rue est déterminée à continuer le combat". Cette première "inflexion du régime" peut "déterminer les manifestants à continuer leur mouvement pour entrer dans une vraie négociation", estime aussi la sociologue Amel Boubekeur. C'est maintenant que ça commence." 

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