L'affaire George Floyd ravive l'idée de la responsabilité de l'Afrique dans le sort de sa diaspora
Selon certains, un continent plus prospère pourrait être une arme pour lutter contre le racisme dont sont victimes les Afrodescendants.
C'est en évoquant une "résolution historique" de l'ancêtre de l'Union africaine (UA) que Moussa Mahamat Faki, le président de la Commission de l'organisation panafricaine, a condamné "fermement le meurtre de George Floyd, survenu aux Etats-Unis d'Amérique (le 25 mai 2020), aux mains d'agents des forces de l'ordre".
"Rappelant la résolution historique de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) sur la discrimination raciale aux Etats-Unis d'Amérique (...) lors de la première conférence de l'OUA, tenue au Caire (Egypte), du 17 au 24 juillet 1964", dans un communiqué publié le 29 mai 2020, le président de la Commission de l'UA a réitéré "le rejet" par l'organisation "des pratiques discriminatoires persistantes à l'encontre des citoyens noirs des Etats-Unis d'Amérique".
1/3:Je condamne fermement le meurtre de #GeorgeFloyd, survenu aux #EtatsUnis aux mains d'agents des forces de l'ordre. Je présente mes plus sincères condoléances à la famille du défunt ainsi qu’à tous ses proches. https://t.co/9SxU2r0zy2
— Moussa Faki Mahamat (@AUC_MoussaFaki) May 29, 2020
Une terre "refuge"
Cette réaction officielle de l'organisation panafricaine, la première notable sur le continent, sera suivie de plusieurs autres après la mort de George Floyd, à qui un hommage a été rendu le 4 juin, dans la ville de Minneapolis. L'une des plus attendues était celle du Ghana, terre de naissance du panafricanisme promu par le premier président Kwame Nkrumah et qui prône, entre autres, la solidarité entre Africains et personnes d'ascendance africaine.
Le pays avait déclaré 2019, année du retour, pour les descendants d'esclaves dont nombre sont partis des côtes ghanéennes. "Il n'est pas normal qu'au XXIe siècle, les Etats-Unis, ce grand bastion de la démocratie, continuent à être aux prises avec le problème du racisme systémique", a affirmé Nana Akufo-Addo, le chef de l'Etat ghanéen dans un texte publié sur les réseaux sociaux.
#GeorgeFloyd #JusticeForGeorgeFloyd pic.twitter.com/LOIcKLcB5i
— Nana Akufo-Addo (@NAkufoAddo) June 1, 2020
Faire de l'Afrique une terre d'accueil pour la diaspora africaine, "un refuge" même. C'est ce que souhaite une centaine d'écrivains africains qui ont adressé une lettre ouverte, entre autres, aux autorités américaines dans laquelle ils condamnent le meurtre de George Floyd et celui de tous les Afro-Américains tués dans des circonstances similaires.
"Nous constatons avec consternation que ce que Malcolm X a dit au Ghana en 1964, à savoir que 'pour les vingt millions d'entre nous en Amérique qui sont d'origine africaine, ce n'est pas un rêve américain, c'est un cauchemar américain', qui reste vrai pour 37 millions (d'Afro-Americains) en 2020."
Ainsi, "nous demandons que les gouvernements africains reconnaissent notre alliance et nos liens avec nos frères et sœurs au-delà des frontières, de l'Amérique au Brésil et à travers le reste de la diaspora. Qu'ils offrent à ceux qui le choisissent un refuge, un foyer et une citoyenneté au nom du panafricanisme", plaident les auteurs africains.
Au nom d'une communauté de destin du monde noir
De passage à Paris en 2019, dans le cadre d'une rencontre avec la diaspora africaine organisée par la présidence française, le dirigeant ghanéen Nana Akufo-Addo avait déjà estimé que "le destin de toutes les personnes noires, où qu’elles se trouvent dans le monde, est lié à l’Afrique". "Une Afrique qui réussit élève le statut de tous les citoyens du monde d’origine africaine et améliore la façon dont vous êtes perçus, dont on vous regarde", avait-il lancé aux Africains de la diaspora.
Cette idée est partagée par certains intellectuels africains. "On a de nouveau le sentiment que les tribulations des personnes d'origine africaine – en particulier aux Etats-Unis – sont liées à la lutte pour assurer la dignité des Africains. Il semble que ce n'est que lorsque le rêve africain d'inclusion, de justice, de solidarité et de prospérité sera réalisé en Afrique, que les personnes d'ascendance africaine marcheront sur cette terre dans la plénitude de leur stature", analyse l'avocate nigériane Ayisha Osori, directrice exécutive de l'OSIWA (Open Society Initiative for West Africa) interrogée par le Center for strategic and international studies, un think tank américain.
"Au milieu du XXe siècle, explique-t-elle, le panafricanisme classique concevait cette lutte pour la dignité des Noirs à la fois comme la quête d'indépendance des agitateurs anticoloniaux et comme le mouvement des droits civils aux Etats-Unis. Ces deux campagnes étaient des courants qui se renforçaient mutuellement dans une quête mondiale de justice raciale. Aujourd'hui, ces deux courants ne se renforcent plus l'un l'autre, l'un s'étant tari, tandis que l'autre continue à bouillir." Pour Ayisha Osori, "l'Afrique doit se ressaisir, inspirée par l'esprit implacable des Afro-Américains, pour approfondir la démocratie et construire un continent plus juste".
En d'autres termes, l'économiste camerounais Célestin Monga estime que "la seule façon de réduire le racisme à l'égard des Noirs dans le monde est que l'Afrique s'élève au rang de puissance économique dominante".
An old cartoon from a “mainstream” European newspaper. Still sums up global perceptions of Africa and Black people in general. Electing “Obamas” won’t change much. The only way to reduce racism against Blacks around the world is for Africa to rise up as a dominant economic power. pic.twitter.com/aq3BR6gAwc
— Célestin Monga (@CelestinMonga) May 31, 2020
(Traduction : "Une vieille caricature d'un journal européen 'grand public'. Elle résume encore la perception globale de l'Afrique et des Noirs en général. Elire des 'Obamas' ne changera pas grand-chose. La seule façon de réduire le racisme à l'égard des Noirs dans le monde est que l'Afrique s'élève au rang de puissance économique dominante.)
Dénoncer aussi les violences en Afrique
Comme beaucoup d'autres, il note par ailleurs dans un tweet "(la)colère et (l')indignation des leaders politiques africains au sujet de l’assassinat de George Floyd et des brutalités policières aux (Etats-Unis)". Mais, poursuit-il, "j'aimerais qu’ils soient aussi prompts à proférer des condamnations quand nos policiers et soldats martyrisent quotidiennement nos citoyens".
Une critique essuyée par le Congrès national africain (ANC), en Afrique du Sud, qui a également pointé la persistance des crimes racistes aux Etats-Unis et les violences policières après la mort de George Floyd, mais qui n'a pas réagi à celle du Sud-Africain Collins Khosa. Ce quadragénaire a été battu à mort par des soldats pour avoir bu une bière devant sa maison du township d’Alexandra, le 10 avril 2020, dans la banlieue de Johannesburg, rapporte RFI.
Les mesures strictes de confinement pour ralentir l'épidémie de Covid-19 interdisaient alors la vente d'alcool. "En deux mois de confinement, indique RFI citant la police des polices sud-africaine, 403 plaintes ont été déposées contre les forces de l’ordre, dont 271 pour agressions, et 9 pour meurtre".
A l'instar de l'Afro-Américain George Floyd à l'autre bout du monde, la famille Khosa réclame aussi justice face a des forces de sécurité qui ont abusé de leur pouvoir. Le policier Derek Chauvin, le meurtrier de George Floyd, est désormais inculpé d'homicide volontaire et risque jusqu'à 40 ans de prison.
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