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Afghanistan : six signes qui montrent que les talibans n'ont pas vraiment changé

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des étudiants et des étudiantes afghanes séparés par un rideau, le 7 septembre 2021 dans une université privée de Kaboul (Afghanistan). (AAMIR QURESHI / AFP)

Derrière des discours destinés à rassurer la communauté internationale, les nouveaux maîtres de l'Afghanistan ont multiplié les décisions agressives et violentes depuis la prise de Kaboul mi-août.

Des discours rassurants, la promesse d'un gouvernement "inclusif", du respect des droits des femmes et du pardon pour leurs adversaires... Depuis leur arrivée à Kaboul (Afghanistan), le dimanche 15 août, les talibans tentent de rassurer la communauté internationale sur leurs intentions. Leur porte-parole, Zabihullah Mujahid, est même allé jusqu'à déclarer à l'AFP que les islamistes avaient appris de leur premier exercice du pouvoir et qu'il y aurait de "nombreuses différences" dans leur manière de gouverner.

Des paroles qui ne cadrent pas avec les actes des nouveaux maîtres de l'Afghanistan. Franceinfo revient sur ces décisions qui montrent que les talibans n'ont pas vraiment changé.

1Un gouvernement exclusivement taliban et masculin...

Les principaux portefeuilles du nouveau gouvernement afghan ont été annoncés mardi 7 septembre. Malgré les promesses d'ouverture, il est pour le moment "exclusivement composé d'individus membres des talibans ou de leurs proches alliés, et d'aucune femme", ont constaté les Etats-Unis. Ce gouvernement sera dirigé par le Premier ministre Mohammad Hassan Akhund, ancien proche du fondateur du mouvement, le mollah Omar. Abdul Ghani Baradar, le cofondateur des talibans, devient vice-Premier ministre, soit le numéro deux du nouveau gouvernement. Le mollah Yaqoub, fils du mollah Omar, remporte le ministère de la Défense. Le numéro deux des talibans, Sirajuddin Haqqani − leader du réseau éponyme, historiquement proche d'Al-Qaïda − obtient le portefeuille de l'Intérieur.

Le gouvernement "n'est pas complet", a précisé le porte-parole du mouvement, Zabihullah Mujahid, lors d'une conférence de presse. "Nous essayerons d'inclure des gens venant d'autres régions du pays", a-t-il ajouté, sans évoquer la possibilité de nommer une femme. Aux Nations unies, Pramila Patten, responsable d'ONU Femmes, l'agence créée pour promouvoir la parité et l'autonomisation des femmes partout dans le monde, a estimé que l'absence de femmes dans ce gouvernement intérimaire "faisait douter du récent engagement à protéger et à respecter les droits des femmes et des filles d'Afghanistan". Le chef suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada, a demandé à ce nouveau gouvernement de faire respecter la charia, la très stricte loi islamique.

2... et des femmes toujours mises au ban de la société

Dans les cortèges qui défient le nouveau pouvoir, les femmes, qui craignent pour leurs droits, sont très représentées. Lors du précédent passage au pouvoir des talibans, elles n'avaient ni le droit de travailler, ni d'étudier et ne pouvaient sortir de chez elle qu'accompagnées d'un homme de leur famille. Le flou règne pour l'instant sur les intentions exactes du nouveau régime mais les premiers signes ne sont pas encourageants. Mi-août, une journaliste s'est vu refuser l'accès à ses bureaux, contrairement à ses collègues masculins. Début septembre, une ancienne policière a été battue à mort dans la province de Ghor, rapporte la radio-télévision britannique BBC (en anglais).

Le 5 septembre, les talibans ont annoncé accepter désormais les femmes dans les universités privées − rien n'a encore été annoncé du côté public −, mais sous de strictes conditions. Les étudiantes sont ainsi fermement invitées à porter une tunique noire ample et longue couvrant les cheveux (abaya) et un voile ne laissant voir que les yeux (niqab). Et à étudier hors de la vue des hommes : dans une classe juste pour elles si elles sont plus de 15, dans une classe où elles sont séparées des hommes si elles sont moins de 15. Des rideaux ont été installés pour faire respecter cette non-mixité. Les nouveaux maîtres du pays veulent également que seules des femmes, ou des hommes "âgés" dont la moralité aura été passée au crible, soient autorisés à donner cours aux étudiantes.

3Des manifestations violemment réprimées

La journée du 7 septembre a vu les premiers morts recensés lors des marches contre le nouveau régime. A Hérat (Ouest), deux personnes ont été tuées et huit blessées par balle lors d'un rassemblement anti-taliban, selon un médecin local, cité par l'AFP. "Ces manifestations sont illégales tant que les bureaux du gouvernement n'ont pas ouvert et que les lois ne sont pas proclamées", a averti Zabihullah Mujahid, le principal porte-parole des talibans, en demandant aux médias de "ne pas couvrir" ces mobilisations.

Dans la capitale, des coups de feu en l'air ont été tirés mardi à Kaboul pour disperser une manifestation dénonçant notamment la violente répression des talibans dans le Panchir, où un mouvement de résistance s'est constitué, et l'ingérence supposée du Pakistan. D'après l'Association afghane des journalistes indépendants (AIJA), 14 journalistes, afghans et étrangers, ont brièvement été détenus durant cette manifestation, puis relâchés par les talibans.

4Des médias muselés

En revenant au pouvoir, les talibans s'étaient engagés, via une déclaration relayée par Reporters sans frontières (RSF) à respecter "la liberté de la presse parce que l'information sera utile à la société". De belles paroles qui sont restées lettre morte, selon les témoignages recueillis par l'ONG. "En une semaine, les talibans ont battu cinq journalistes et cadreurs de notre chaîne, explique à RSF un producteur d'une chaîne privée de télévision nationale. Ils les ont traités de 'takfiri' [ce qui revient dans ce contexte à les traiter de mécréants]. Ils contrôlent tout ce que nous diffusons. Sur le terrain, les commandants talibans prennent systématiquement les numéros de nos reporters. Ils leur disent : quand vous préparerez votre sujet, vous dites ceci et cela. S’ils disent autre chose, ils sont menacés."

Même constat chez ce directeur d'une radio au nord de Kaboul. "Il y a une semaine, ils nous ont dit 'vous pouvez travailler librement à condition de respecter les règles islamiques (pas de musique et pas de femmes)', mais ils ont commencé à nous 'guider' sur les informations que nous pouvions ou pas diffuser et sur ce qu'ils considèrent comme une information juste", témoigne-t-il.

5Des représailles contre leurs anciens adversaires

Dès la prise de Kaboul et malgré la promesse d'amnistie, les talibans s'en sont pris aux Afghans qui avaient collaboré avec les forces étrangères. Selon un rapport du Centre norvégien d'analyses globales rédigé pour l'ONU, les talibans ont établi des "listes prioritaires" de personnes qu'ils souhaitent arrêter. Les plus à risque sont ceux qui occupaient des postes à responsabilité au sein des forces armées afghanes, de la police et des unités de renseignement, selon le document.

A la mi-août, des talibans à la recherche d'un journaliste travaillant pour la radio Deutsche Welle (DW) et désormais installé en Allemagne ont tué par balle un membre de sa famille et en ont blessé gravement un autre, a signalé le média allemand. Selon la BBC (en anglais), deux hauts responsables de la police afghane ont été exécutés dans les jours suivants le retour au pouvoir des talibans.

6Des artistes menacés

Œuvres détruites préventivement, menaces... A Kaboul, France 2 a rencontré des artistes, mannequins et tatoueurs terrorisés par l'arrivée au pouvoir des talibans, connus pour leur approche rigoriste et violente de la culture. "Les combattants talibans répriment déjà violemment toute activité musicale", constatait en août au micro de RFI Ahmad Naser Sarmast, le directeur de l'Institut national afghan de musique.

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