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"Le changement climatique, ce n'est plus de la flûte" : en Creuse, la sécheresse fait des ravages et tourmente les agriculteurs

Depuis le 10 juillet, le département souffre d'un manque de précipitations sans précédent. Les agriculteurs donnent déjà les fourrages de l'hiver à leurs bêtes et la ville de Guéret n'a plus que trois mois d'autonomie en eau potable.

Article rédigé par Thomas Baïetto
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Temps de lecture : 14min
L'étang des Landes, le 27 août 2019 à Lussat (Creuse). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

Le plus vaste étang naturel du Limousin n'est plus. A Lussat, dans la Creuse, l'étendue d'eau de 100 hectares a laissé la place à une mare où pataugent encore quelques canards. "Ce sont les moins exigeants, mais cela devient critique, même pour eux", observe Philippe Moncaut, 57 ans, directeur de l'environnement au Conseil départemental. Les grues et les hérons qui peuplent habituellement cette réserve naturelle à la "biodiversité exceptionnelle" sont partis, remplacés par des limicoles. Avec leur long bec, ces petits échassiers blancs fouillent la terre craquelée à la recherche de vers ou de coquillages. Leur terrain de jeu s'étend chaque jour un peu plus, à mesure que se réduit celui des canards. "Ce qui nous a tués, c'est cet hiver très sec, alors que c'est normalement la période d'alimentation des cours d'eau. Nous avons un déficit hydrique de 200 mm depuis janvier, c'est absolument énorme", explique le fonctionnaire. La vidange, une procédure habituelle, n'a "pas aidé" non plus.

Mis à l'honneur par les caméras du 20 heures de France 2, l'étang des Landes est devenu le symbole de la catastrophe qui frappe la région. Depuis le 10 juillet, toute la Creuse est en crise sécheresse. Une situation qui en fait l'un des départements les plus touchés parmi les 87 concernés par des restrictions d'eau. Tous les prélèvements dans les rivières ou étangs sont interdits, ainsi que l'arrosage des jardins, pelouses, le lavage des véhicules, des trottoirs ou le remplissage des piscines. Le "château d'eau" de la région, qui ne dispose que d'une seule nappe phréatique en raison de son sol granitique, est devenu un puits sec. Les rivières se tarissent. Dans la commune voisine, la Voueize ne coule plus. "Ce n'est plus Chambon-sur-Voueize, c'est Chambon-sur-l'Oued", ironise la maire, Cécile Creuzon. "Avant, le changement climatique, c'était un peu de la flûte pour certains, analyse Philippe Moncaut. Aujourd'hui, ce n'est plus de la flûte et ça fait mal".

Le lit de la rivière Voueize, le 27 août 2019 à Chambon-sur-Voueize (Creuse). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

"C'est la misère" pour les éleveurs

Cette douleur, c'est d'abord celle des agriculteurs, qui représentent 23% de la population active du département. A quelques centaines de mètres de l'étang des Landes, Aurélien Desforges, 27 ans, nous emmène dans l'une de ses prairies. Comme la majorité de ses collègues creusois, le secrétaire général des Jeunes agriculteurs (JA), un syndicat proche de la FNSEA, fait du "bovin allaitant" : il ne vend pas de lait mais des bêtes, pour leur viande. L'été, ses vaches sont censées se nourrir d'herbe fraîche. "Normalement, on a de l'herbe jusqu'à la cheville, commente-t-il. Là, c'est jaune, ça craque sous les chaussures et la terre est plus dure sous nos pieds". Seuls les chardons apportent une touche de vert dans cette étendue jaunie. "Les seules plantes qui poussent sont celles que les vaches ne mangent pas", se désole le jeune homme.

Une prairie brûlée par la sécheresse et la canicule, le 27 août 2019 à Lussat (Creuse). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

Alors, pour nourrir les 160 vaches de l'exploitation qu'il gère avec son père et son frère, il a commencé à donner les stocks de fourrage de novembre dès le 10 juillet et achète des aliments complémentaires. "Cela représente un surcoût de 20 à 30 000 euros", a-t-il calculé. Une somme conséquente pour des exploitations déjà frappées par la sécheresse l'an passé. "C'est la misère. Je n'ai jamais vu une année comme ça. D'habitude, les sécheresses duraient du 15 août au 15 septembre", soupire Patrick Desforges, le père, installé depuis 1987. A ce surcoût en fourrage s'ajoute une surcharge de travail – quatre heures quotidiennes – et une dégradation de l'état des animaux. "Les vaches sont plus maigres et donnent moins de lait", constate Guillaume Desforges, le frère. Heureusement, leur exploitation élève également des poulets, peu affectés par la sécheresse.

A l'autre bout du département, les vaches limousines d'Olivier Thouret, 51 ans, porte-parole de la Confédération paysanne dans le département, tirent aussi la langue. A Soubrebost, le paysage est un peu plus vert. Mais même sur les premiers reliefs du plateau de Millevaches, l'eau manque. L'éleveur nous emmène dans un petit bois. Sous les arbres, une quinzaine de vaches sont rassemblées autour du râtelier alimenté en fourrage depuis début août. Le cours d'eau où elles s'abreuvent est à quelques dizaines de mètres. "Le niveau de l'eau a encore diminué, constate l'éleveur. Si cela s'arrête, je n'aurai pas 50 solutions, je prendrai sur le réseau d'eau potable". Une extrémité qu'il redoute tant il veut éviter d'entrer en concurrence avec la consommation humaine : "Les autres années, il n'y avait pas ce risque. Mais là, Guéret n'a plus que 100 jours d'eau du robinet".

Les vaches charolaises d'Aurélien Desforges se nourissent déjà de foin, le 27 août 2019 à Lussat (Creuse). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

Guéret va boire son étang

Ce chiffre choc, c'est le maire de la ville-préfecture qui l'a lâché sur franceinfo le 26 août. Michel Vergnier, 72 ans, dirige Guéret depuis 1998. Il n'avait jamais trop prêté attention au relevé quotidien de la consommation d'eau de ses administrés. Mais depuis le 10 juillet, il regarde les chiffres tous les jours. "Chaque jour, la production baisse et la consommation augmente, avec les retours de vacances", constate-t-il. A plein régime, lorsque les écoles sont ouvertes, il faut environ 3 000 m3 par jour pour désaltérer les Guéretois, alimenter leurs sanitaires et leurs machines à laver (98% de l'eau potable produite n'est pas bue). Faute de nappes phréatiques, la ville dispose d'une soixantaine de captages mis en place il y a une quinzaine d'années sur la colline du Maupuy et dans la forêt de Chabrières.

En installant ces captages, on pensait avoir réglé le problème pour cinquante ans.

Michel Vergnier, maire de Guéret

à franceinfo

Mais le débit de ces sources a baissé de 70%, pour ne fournir plus que 1 500 m3 en cette fin août. Grâce à la Gartempe, une rivière dont le niveau baisse également, la Saur, qui gère le réseau, parvient à acheminer 2 400 m3 d'eau par jour dans les robinets de la ville. "On parvient à fournir tout juste. Mais la semaine prochaine, avec la rentrée, ça ne passera plus", expose Michel Vergnier. Pour que l'eau continue à couler, Guéret va donc boire à nouveau son étang, quinze ans après avoir cessé de s'y approvisionner. Situé au sud de la ville, sur les flancs du Maupuy, le plan d'eau de Courtille est une base de loisirs et un lieu de baignade apprécié des Guérétois. Mais début septembre, la baignade y sera interdite. Les bouées licornes vont céder la place à la pompe mécanique installée par la Saur. L'ancienne station de traitement va être réactivée.

David Tonnelier, chef d'agence de la Saur, présente le dispositif de pompage de l'étang de Courtille, le 28 août 2019 à Guéret (Creuse). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

Après analyses, l'Agence régionale de santé a autorisé ce pompage, à condition que l'eau soit traitée et mélangée à celle des autres sources. "Pendant toute l'année, le Guérétois boit de l'eau de source. Aujourd'hui, il va boire un peu de l'eau de l'étang. Cela n'aura pas la même saveur, avec peut-être un goût de chlore ou de terre, mais ce sera sans danger", rassure Thierry Beyne, directeur régional de la Saur. Ce choix, anticipé depuis juin, va permettre à la commune de gagner du temps. Mais si la pluie ne revient pas de manière significative dans les trois mois, il faudra faire appel à des camions-citernes, une méthode qui fera mécaniquement augmenter le prix de l'eau. "Cela fait vingt-six ans que je fais ce métier, je n'ai jamais vu une situation comme ça, confie David Tonnelier, chef d'agence de la Saur sur le secteur. On voit bien que le réchauffement climatique a une incidence, que ça s'accentue et s'accélère".

La solution critiquée des barrages

Face à cette situation critique, Michel Vergnier en appelle à la responsabilisation des usagers et à de profonds changements dans la gestion de l'eau. Le maire de Guéret ne veut pas entendre parler d'"année exceptionnelle", "parce qu'elles se multiplient" avec le changement climatique. Il mise beaucoup sur le plan départemental actuellement à l'étude pour connecter les différents réseaux entre eux et souhaite des investissements de l'Etat. "Sur ce sujet-là, je n'accepterai pas qu'on s'abrite derrière l'argument financier. Ce ne serait pas raisonnable", prévient l'élu.

Dans sa ferme, Aurélien Desforges, lui, veut croire que cette sécheresse est cyclique. Mais il demande tout de même du changement. Comme le syndicat majoritaire FNSEA et le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, les Desforges sont favorables à la création de retenues pour stocker l'eau l'hiver. "Il faut retenir l'eau quand elle là", estime Patrick. Le gouvernement a d'ailleurs annoncé, jeudi 29 août, la création d'une soixantaine de retenues d'eau en 2019, malgré les critiques des associations environnementales et les réserves des scientifiques, qui pointent le risque d'évaporation. "De nombreuses études montrent que l'efficacité des barrages est très réduite pour les sécheresses longues", explique sur le site The Conversation la chercheuse en hydrométéorologie Florence Habets.

Olivier Thouret avec ses bêtes, le 27 août 2019 à Soubrebost (Creuse). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

A la Confédération paysanne, Olivier Thouret est lui aussi circonspect. "Il faut voir au cas par cas. Mais quand il n'y aura plus d'eau, on fera quoi ? Quand le ministre dit qu'on a regardé l'eau tomber pendant six mois, ce n'est pas la réalité. Il n'a pas plu cet hiver en Creuse", tempête celui qui élève également des chèvres et des poules. Le quinquagénaire croit plus à un "changement de logiciel". "Avant, le modèle dominant, c'était la maximisation des rendements. Aujourd'hui, il nous faut le système le plus résilient possible", prône-t-il.

Je ne veux pas être dans la culpabilisation. C'est suffisamment violent, le changement climatique, pour ne pas en remettre une couche. Mais il faut que chacun accepte de changer.

Olivier Thouret, éleveur

à franceinfo

L'éleveur revendique d'avoir des vaches de la "gamme Clio plutôt que des Formules 1" de 500 kg : "J'ai des carcasses plus petites mais des vaches plus rustiques, qui acceptent mieux les conditions difficiles". Il milite aussi pour une agriculture reterritorialisée, émettant moins de carbone, aux antipodes de l'exportation encouragée par des traités de libre-échange avec le Canada ou le Mercosur.

Travailler mieux avec moins d'eau

Des convictions partagées par Perrine Tabarant et Adrien Denis, tous les deux âgés de 34 ans, maraîchers biodynamiques à Saint-Moreil et membres du même syndicat. En 2018, la moitié de leur chiffre d'affaires, 15 000 euros, s'est évaporée avec la sécheresse. En 2019, "notre capacité en eau est la même mais nous avons réfléchi à comment mieux travailler", explique la jeune femme. Le couple a investi 2 500 euros pour installer le goutte-à-goutte sur certaines de ses parcelles et a profité d'un surplus de foin pour pailler. Agenouillé au milieu de ses plants de poireaux, Adrien Denis nous invite à tâter la terre, fraîche et humide. "Ça fait pourtant un moment qu'on n'a pas arrosé", se félicite-t-il. L'an passé, rien n'avait poussé à cet endroit.

Adrien Denis montre le système de goutte-à-goutte et le paillage sur une parcelle de poireaux, le 28 août 2019 à Saint-Moreil (Creuse). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

"On ne s'en sortira pas en faisant juste ça. Notre démarche est globale", insiste néanmoins Perrine Tabarant. Ils travaillent également à améliorer la fertilité des sols et à habituer leurs semences à pousser en conditions sèches. Ils confectionnent avec soin leur compost et veillent à l'autonomie de leur ferme de 10 hectares. "Nous voulons créer de la robustesse écologique et économique", résume la docteure en agronomie. Au-delà des murs de leur ferme, Perrine Tabarant aimerait que l'on réfléchisse à un revenu minimum pour les agriculteurs : "Soulageons le paysan économiquement pour que chacun puisse prendre les bonnes décisions".

Assis sur un banc, Philippe Moncaut regarde l'étang des Landes. Lui aussi estime qu'il faut s'adapter à cette situation qui risque de se répéter. "Il faut sortir la tête de la vase. On peut se dire que ça va passer et que le plan d'eau redeviendra comme avant. Mais il est probable que non", développe le directeur de l'Environnement au Département, qui gère la réserve naturelle. Il ne pense cependant pas que l'étang puisse disparaître pour de bon. "Ce ne sera plus le même", souligne-t-il tout de même, en pointant le changement dans les populations d'oiseaux. "La nature a une très forte résilience", rappelle-t-il. Avant de glisser : "L'espèce qui aura le plus de mal à s'adapter, c'est l'homme. Ce sera la première à disparaître parce qu'elle est complexe et dépendante"

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