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"DĂšs qu'il pleut, je ne dors pas bien" : un an aprĂšs les inondations dans l'Aude, on est retournĂ© Ă  TrĂšbes, oĂč la vie reprend doucement son cours

Dans la nuit du 14 au 15 octobre 2018, un violent épisode méditerranéen dans le département de l'Aude avait coûté la vie à 15 personnes, dont 6 dans la seule ville de TrÚbes. Un an aprÚs ce drame, franceinfo s'est à nouveau rendu sur place pour prendre des nouvelles des sinistrés.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
De nombreux travaux ont été réalisés à TrÚbes (Aude) aprÚs les inondations, comme le montre ce montage avec une photo prise le 16 octobre 2018 (à gauche) et une autre, le 3 octobre 2019 (à droite). (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

En arrivant à TrÚbes, depuis Carcassonne, le visiteur longe le quartier de l'Aiguille. En face des ArÚnes, plusieurs maisons gardent leurs volets fermés, en attendant une destruction ordonnée par la préfecture. Un an aprÚs les inondations qui l'ont frappée, cette petite ville de l'Aude n'a pas encore effacé toutes les traces de la nuit du 14 au 15 octobre 2018, au cours de laquelle six personnes sont mortes.

La commune, dĂ©jĂ  marquĂ©e en mars de la mĂȘme annĂ©e par un attentat ayant coĂ»tĂ© la vie Ă  trois TrĂ©bĂ©ens, a quand mĂȘme repris des couleurs. Le lendemain des inondations, franceinfo avait dĂ©couvert une ville dĂ©vastĂ©e. TrĂšbes Ă©tait coupĂ©e en deux au niveau de l'Aude, certaines routes Ă©taient Ă©ventrĂ©es, des murs s'Ă©taient effondrĂ©s et de nombreuses habitations Ă©taient ravagĂ©es par la montĂ©e des eaux. Un an aprĂšs, en entrant dans le quartier de l'Aiguille, il est dĂ©sormais possible de marcher sur des trottoirs. Les murs ont Ă©tĂ© reconstruits et la plupart des fossĂ©s ont Ă©tĂ© comblĂ©s.

Ci-dessus : le chemin de la Lande dans le quartier de l'Aiguille, à TrÚbes, a été réparé entre le 16 octobre 2018 et le 3 octobre 2019. (CLEMENT PARROT) 

"La ville est en train de se remettre. Ils ont bien regoudronné, mais aprÚs ça prend du temps... l'argent ne tombe pas du ciel", souffle Adrien, un habitant du quartier ùgé de 82 ans. Sinistré en octobre dernier, ce retraité a réussi à remettre sa maison d'aplomb en peu de temps grùce à l'aide de nombreux bénévoles et de divers organismes comme Partagence. Cette association s'est donnée comme mission d'apporter du mobilier neuf aux familles en difficulté.

Adrien attend désormais que tout se rÚgle avec son assurance pour pouvoir tourner la page. Lors d'un sinistre, les assureurs versent généralement les dédommagements en deux temps, avec une indemnité "immédiate" et une autre "différée" sur présentation des factures de travaux. "Ils me doivent 16 000 euros, mais bon je pense qu'ils me les enverront quand je serai mort... apparemment ils ont deux ans pour le faire", lùche le retraité qui garde le sourire.

Adrien montre les photos des dégùts provoqués par les inondations dans sa maison, le 2 octobre 2019, à TrÚbes (Aude). (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

De nombreux habitants se plaignent des problÚmes rencontrés avec les assurances. "Les plus grosses difficultés se concentrent sur la compréhension entre les assurés et les experts, j'ai d'ailleurs joué plusieurs fois les intermédiaires", confirme Marie Durand, chargée de mission à la mairie auprÚs des sinistrés.

"Tout abandonner, c'est non !"

Un peu plus loin dans la rue, Sylvie et Jean-Pierre n'ont pas eu de problĂšme avec leur assurance. Ils ont pu rĂ©nover rapidement leur maison de plain-pied. "On a pu revenir fin avril, c'Ă©tait tout neuf ! Et puis au mois de mai, on est venu nous parler du fonds Barnier", racontent ces sexagĂ©naires installĂ©s dans leur salon aux meubles luisants. Le Fonds de prĂ©vention des risques naturels majeurs (dit "fonds Barnier", en rĂ©fĂ©rence Ă  l'ancien ministre de l'Environnement Michel Barnier) a Ă©tĂ© crĂ©Ă© pour financer des expropriations de biens exposĂ©s Ă  un risque naturel. Il est Ă©galement utilisĂ© pour d'autres politiques de prĂ©vention, comme l'acquisition amiable de biens exposĂ©s Ă  un risque. Sylvie et Jean-Pierre ne savent donc toujours pas Ă  l'heure actuelle s'ils vont pouvoir rester chez eux, dans cette maison oĂč ils ont dĂ» rĂ©investir pour la remettre Ă  neuf. 

On a passé tout l'été à ne pas dormir, à se demander ce qu'on allait devenir.

Sylvie, sinistrée de l'Aude

Ă  franceinfo

"Soit on veut rester et il faut qu'on construise un abri en hauteur, soit on se fait racheter la maison", explique Sylvie, dont le logement s'est rempli d'1,30 mÚtre d'eau le jour des inondations. "On ne sait pas grand-chose, on est dans le flou total. Mais si on doit sortir des sous de notre poche, je ne trouve pas ça juste", s'agace Jean-Pierre. Le couple habite cette jolie maison avec piscine depuis maintenant trente-six ans. "Notre volonté, c'est de rester. Sinon cela implique de déménager à nouveau, tout abandonner, voir cette maison détruite... C'est non !", conclut Sylvie. Ils attendent désormais de savoir si leur dossier est éligible et, dans ce cas, le montant de la proposition de rachat.

Sylvie et Jean-Pierre dans le séjour de leur maison de TrÚbes (Aude), le 2 octobre 2019. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

"Jusque-lĂ , les estimations de France Domaine ont Ă©tĂ© tout Ă  fait correctes et personne n'a refusĂ©", assure Marie Durand. Un an aprĂšs les inondations, elle rappelle que la majoritĂ© des "335 familles sinistrĂ©es" ont rĂ©intĂ©grĂ© leur domicile. "Il reste environ une vingtaine de familles en dĂ©saccord avec les assurances et Ă  peu prĂšs le mĂȘme nombre qui attendent d'ĂȘtre fixĂ©es vis-Ă -vis du plan Barnier", dĂ©taille cette chargĂ©e de mission, attablĂ©e dans la salle du Conseil municipal. "Un an lorsque vous ĂȘtes en souffrance, c'est interminable. Et il est aucunement question pour nous de nous satisfaire", prĂ©cise le maire de la ville, Eric MĂ©nassi.

Ci-dessus : la place devant la mairie de TrÚbes a été rénovée aprÚs les inondations. (CLEMENT PARROT)

Devant la mairie, sur la place de la République (renommée ainsi en souvenir des victimes de l'attentat de mars 2018), des travaux ont rapidement effacé les dégùts causés par les intempéries. "Visuellement, les stigmates de l'inondation ont été bien gommés", se félicite Eric Ménassi, en rappelant l'aide apportée par l'Etat et les collectivités territoriales. Il évoque la réhabilitation autour du canal du Midi et le chantier de l'élargissement des bords de l'Aude qui vient de débuter, avec l'espoir de limiter les prochaines crues. "Les ingénieurs nous disent qu'il faut ralentir le cours du fleuve", explique l'édile.

Ci-dessus : les abords du canal du Midi ont bénéficié de travaux de rénovation. (CLEMENT PARROT)

Le maire présente aussi, sur une carte de la ville, des projets de réhabilitation urbaine de grande envergure, "un projet sur quinze ans". Il annonce les chantiers prioritaires sur les deux ans à venir : la reconstruction d'une école, d'un Ehpad et d'une piscine pour remplacer les vieilles infrastructures qui se trouvent en zone inondable et qui sont actuellement fermées. Il reste donc encore du travail. Le long de la route principale, plusieurs commerces gardent leurs portes closes. "Le coiffeur vient juste de rouvrir, mais la rÎtisserie et l'opticien restent fermés... C'est sans doute des problÚmes d'assurances", déplore Corinne, qui vient d'ouvrir une maison d'hÎtes à cÎté de la mairie.

Ci-dessus : La piscine de TrĂšbes n'a pas Ă©tĂ© rĂ©novĂ©e. Elle va ĂȘtre dĂ©truite et reconstruite dans un autre quartier. (CLEMENT PARROT)l

Malgré l'hommage reçu au CongrÚs des maires de France, Eric Ménassi n'échappe pas aux critiques de certains opposants. "On a subi l'incompétence du maire la nuit de l'inondation, il a été dépassé par les événements", estime Christophe BarthÚs, élu d'opposition du Rassemblement national. "Depuis, le maire de TrÚbes essaie un peu de capitaliser sur ce drame, et je trouve ça indigne en période électorale."

"Si je les Ă©coutais, j'aurais dĂ» arrĂȘter l'eau avec une main et repousser les nuages avec l'autre", Ă©vacue le maire. A un an des Ă©lections municipales, cet enfant du pays a d'autres problĂšmes Ă  gĂ©rer, comme celui de la polĂ©mique autour d'une pollution Ă  l'arsenic dans la vallĂ©e de l'Orbiel, un affluent de l'Aude. Eric MĂ©nassi souhaite aussi se concentrer sur un autre chantier, "celui de la reconstruction psychologique" de ses administrĂ©s. A l'approche de la date fatidique, il connaĂźt l'importance des commĂ©morations : "Elles vont ĂȘtre prises en charge par le SMMAR [Syndicat mixte des milieux aquatiques et des riviĂšres] lors d'une journĂ©e oĂč les commĂ©morations vont aller de ville en ville." ParallĂšlement, la municipalitĂ© va rĂ©unir les familles de victimes.

Beaucoup de familles ont besoin de commémorer, c'est important pour le deuil.

Eric MĂ©nassi, maire de TrĂšbes

Ă  franceinfo

Le maire se fĂ©licite de la "capacitĂ© de rĂ©silience de la population et de sa volontĂ© farouche d'ĂȘtre optimiste". Selon lui, les efforts rĂ©alisĂ©s pour effacer les dĂ©gĂąts causĂ©s par les inondations ont Ă©galement un effet positif : "Les travaux rassurent la population, cela un impact psychologique." Mais il faut veiller Ă  ne pas ĂȘtre trop brusque. "Il ne faut pas effacer tous les signes de l'inondation trop rapidement, parce que les gens ont besoin de voir que tout n'a pas Ă©tĂ© oubliĂ©", estime le pĂšre Philippe Guitart, curĂ© de la paroisse de TrĂšbes. "AprĂšs une inondation, les personnes ne supportent pas que leurs affaires soient souillĂ©es et veulent tout jeter. Mais, une fois que la peinture est fraĂźche et que tout est neuf, les gens s'aperçoivent qu'ils n'ont plus de racines."

Ci-dessus : une rue prÚs du canal du Midi, à TrÚbes, le 16 octobre 2018 (à gauche) et le 2 octobre 2019 (à droite). (CLEMENT PARROT) 

En face de la maison paroissiale, Monique témoigne de cet écueil. Le rez-de-chaussée de la maison de sa mÚre, à cÎté de la sienne, a été complÚtement dévasté par la montée de l'eau. Les travaux ont permis de rénover le logement, mais la vieille dame de 91 ans ne veut plus retourner dans son logement. "Cela fait soixante-dix ans qu'elle habite là, mais elle ne se sent plus chez elle", explique Monique. 

On y a laissé des plumes sur le plan financier, mais aussi des souvenirs, des meubles de familles...

Monique, sinistrée de l'Aude

Ă  franceinfo

Cette retraitĂ©e de 70 ans garde elle aussi des traces du choc subi lors de l'inondation. "Je ne pensais pas que ça m'avait touchĂ©e comme ça, mais dĂšs qu'il pleut, je ne dors pas bien. Je me lĂšve la nuit, je regarde par la fenĂȘtre pour vĂ©rifier le niveau de l'Aude", raconte cette ancienne commerçante, au bord des larmes. "Je voulais partir sur le coup, mais c'est quand mĂȘme notre maison, on est bien. Bon, par contre, si ça recommence, on fait les valises."

Ci-dessus : le fond du jardin de Monique et de son mari Jean-Jacques a été bien arrangé en une année. (CLEMENT PARROT).

ValĂ©rie, habitante du quartier de l'Aiguille, est Ă©galement marquĂ©e par cette nuit d'angoisse oĂč sa maison s'est retrouvĂ©e inondĂ©e et plongĂ©e dans le noir. "En ce moment, on voit la date du 15 octobre arriver et on apprĂ©hende. Quand il y a des grosses pluies, on n'est pas bien", raconte cette mĂšre de famille. "AprĂšs les inondations, j'ai fait des cauchemars et des crises d'angoisse pendant trois mois, j'ai pris des antidĂ©presseurs..." 

Cette auxiliaire de vie de 49 ans a commencĂ© Ă  relever la tĂȘte avec la fin des travaux dans sa maison. Et dĂ©sormais, elle a tout prĂ©vu en cas de nouvelle crue. "On a des lampes frontales dans notre chambre et on a mis le bureau avec tout l'informatique Ă  l'Ă©tage ainsi que tous les albums photos." Mais ValĂ©rie n'est pas sĂ»re de se dĂ©partir de ses angoisses Ă  l'avenir. "Je pense que ça ne passera pas. Du coup, je n'ai qu'une envie, c'est partir. On reste en zone inondable, et je sens que je ne pourrai pas rester lĂ ."

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