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Pollution à l'arsenic dans l'Aude : c'est "un Tchernobyl chimique", dénonce un ancien chercheur du CNRS

"Les pouvoirs publics se taisent", selon Frédéric Ogé, alors que 38 enfants vivant dans la vallée de l'Orbiel (Aude) ont un taux d'arsenic supérieur à la moyenne.

Article rédigé par franceinfo
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Le site de l'ancienne mine d'or de Salsigne (Aude), fermé en 2004, le 4 mars 2019. (ERIC CABANIS / AFP)

La pollution à l'arsenic qui touche 38 enfants dans l'Aude est un véritable "Tchernobyl chimique", a dénoncé sur franceinfo mercredi 14 août Frédéric Ogé, ancien chercheur du CNRS et spécialiste des sols pollués. Mardi, l'agence régionale de santé d'Occitanie a annoncé que ces 38 enfants présentaient des taux d'arsenic dans les urines supérieurs à la dose maximale autorisée. Au total, une centaine d'enfants ont été suivis régulièrement.

Les inondations qui ont touché le département en octobre 2018 ont pu provoquer des coulées d'arsenic, ce qui pourrait expliquer cette contamination. "Les pouvoirs publics se taisent", a dénoncé Frédéric Ogé.

franceinfo : Peut-on parler d'une catastrophe annoncée ?

Frédéric Ogé : Absolument. Nous avons des textes signés par des préfets après leur départ, depuis les années 1970 et même bien avant, qui expliquent que le passif environnemental est terrible. Déjà, le problème de la santé publique se posait. Après les terribles crues d'octobre 2018, nous avions averti qu'on allait avoir un problème. Tout le monde avait été averti, notamment par l'Association toxicologie chimie (ATC), qu'il fallait s'équiper de tenues de protection, porter des masques et des gants. Rien n'a été fait, on n'a pas informé la population et maintenant la catastrophe est là.

Cette ancienne mine est fermée depuis 15 ans. Pourquoi les sols n'ont-ils pas été dépollués ?

Les sols n'ont pas été dépollués ou mis en sécurité véritable parce que c'est un problème de coûts et qu'on ne veut pas dépenser d'argent. On laisse donc ce passif environnemental qui n'impacte "que" 10 000 personnes. On préfère faire prendre des risques à 10 000 personnes plutôt que d'engager une véritable politique de mise en sécurité par rapport à ces 1,2 million de tonnes – a minima – de déchets extrêmement toxiques.

On a là une des plus grandes décharges chimiques du monde et un "Tchernobyl chimique" : les pouvoirs publics se taisent et, comme pour Tchernobyl, disent que la pollution s'est arrêtée à tel pont, comme elle s'était arrêtée au pont de Strasbourg à l'époque. Cela pourrait pourtant être dans certains cas relativement rentable. C'est une question de volonté politique. Pourtant, même les pouvoirs publics disent dans une étude que, pendant 20 000 ans, nous aurons autour de six à huit tonnes d'arsenic qui vont lixivier chaque année. Et je ne parle pas de toutes les autres saletés qui sont là : PCB, sélénium, plomb, etc.

Quelles sont les conséquences sur la santé de ces taux d'arsenic supérieurs à la dose maximale autorisée ?

Le principe de dose maximale autorisée est de toute façon élaboré au doigt mouillé, puisque 95% de la population est en dessous du taux de 10. Pourtant, cela ne veut pas dire que quelqu'un ne va pas être touché alors qu'il est à 5, à cause de sa morphologie. Tout cela est donc très relatif. On a là des enfants, qui absorbent beaucoup plus, comme les femmes enceintes, qui vont ingérer ou assimiler de l'arsenic minéral. Il va rester "tapi" dans leur corps pendant deux à dix ans avant peut-être de déclencher un cancer, en conjonction avec par exemple l'usage de cigarettes ou d'autres produits.

De plus, personne n'a travaillé sur l'effet cocktail : cobalt et arsenic, PCB et arsenic, sélénium et nitrate de plomb, cyanure et manganèse ou bismuth... Or, nous savons qu'il y a beaucoup de bismuth et qu'il attaque les neurones. Nous avons donc des personnes qui ont moins de 35 ans et ont déjà la maladie de Parkinson. On n'a pas ça dans toute la France.

Est-il encore possible d'agir ou est-ce trop tard ?

On peut bien sûr agir. Il faut évidemment informer la population. Il faut aussi au minimum inventorier les personnes touchées. Il y a trois groupes : les enfants, qui sont prioritaires avec les femmes enceintes, les habitants de la vallée à temps plein mais aussi – et il ne faut pas les oublier – les bénévoles, pompiers, hommes de la protection civile et gendarmes qui se sont dévoués pendant deux mois sans masque, souvent sans gants, sans tenue de protection et qui ont été exposés à l'ensemble de ces polluants. Ces polluants se sont promenés depuis la zone de Salsigne jusqu'à bien au-delà de Trèbes et se déplacent aussi dans les aquifères souterrains. Ils vont toucher l'environnement de l'aval dans cinq à vingt ans puisque la vitesse de déplacement est de trois mètres par jour.

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