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Trois questions sur la rencontre entre Emmanuel Macron et le prince saoudien Mohammed ben Salmane

Mohammed ben Salmane est arrivé en France mercredi pour s'entretenir avec Emmanuel Macron, qui tente de convaincre les pays émergents de condamner l'invasion russe de l'Ukraine et de soutenir son "nouveau pacte financier mondial".
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Mohammed ben Salmane et Emmanuel Macron, à l'Elysée, le 28 juillet 2022. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

"Ce sera un déjeuner en tête à tête", selon l'Elysée. Le président Emmanuel Macron s'entretient, vendredi 16 juin, avec le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane. Cette deuxième visite en un an de "MBS", surnom du dirigeant de facto du riche royaume pétrolier, est déjà vivement critiquée par des ONG de défense des droits humains. "C'est le triomphe du pouvoir de l'argent", a dénoncé Patrick Baudouin, le président la Ligue des droits de l'homme (LDH), sur franceinfo, vendredi matin.

1 De quoi vont-ils discuter ?

De la guerre en Ukraine à l'Iran en passant par la crise libanaise et la Syrie, Emmanuel Macron et Mohammed ben Salmane doivent aborder plusieurs questions internationales sensibles. L'objectif étant de "donner des perspectives bilatérales et étudier les grands sujets du moment", selon l'Elysée. La guerre en Ukraine sera toutefois une priorité pour le président français, qui tente de convaincre les pays émergents de condamner l'invasion russe de son voisin. Emmanuel Macron soulignera "à quel point la question de l'Ukraine est importante" et a des implications partout dans le monde, et "comment l'Arabie saoudite peut exercer une influence, y compris sur la Russie", détaille la présidence.

Riyad conserve par ailleurs une influence majeure au Liban, de même que l'Iran. Emmanuel Macron veut ainsi pousser les Saoudiens "à engager la conversation avec les Iraniens et avec d'autres pour créer des conditions favorables à l'élection d'un président" au Liban, plongé dans une crise historique. L'Arabie saoudite est aussi le pays qui, avec les autres monarchies du Golfe, peut soutenir financièrement le Liban alors que les Européens sont focalisés sur l'Ukraine.

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Enfin, "nous souhaitons avoir l'évaluation du prince héritier sur l'intensité de la menace iranienne (...) et comment il entend s'y prendre avec les Iraniens", explique l'Elysée. Il s'agit d'une rencontre "importante pour les deux côtés dans un contexte international et moyen-oriental mouvant", observe Ziad Majed, professeur à l'université américaine de Paris, auprès de l'AFP.

2 Quels sont les objectifs de cette rencontre ?

Arrivé mercredi en France, Mohammed ben Salmane doit rester près d'une dizaine de jours en France, où il est propriétaire d'une somptueuse résidence, le château Louis XIV, à Louveciennes (Yvelines). Pour le prince saoudien, cette longue visite et sa rencontre avec le président de la République participent d'un plan de communication. Au-delà des enjeux internationaux, "il faut aussi voir cette visite comme une opération séduction des Saoudiens à propos de la candidature de l'Arabie saoudite à l'exposition universelle de 2030, à laquelle MBS tient beaucoup", note un diplomate français, cité mercredi dans Challenges. Une nouvelle étape dans l'entreprise de soft power menée par le prince qui, depuis 2017, tente de s'afficher comme un dirigeant modernisateur.

"Le régime de ben Salmane dépense des milliards et des milliards de dollars pour améliorer son image à tous les niveaux. [Les Saoudiens] organisent de somptueux concerts avec les plus grandes stars internationales. Ils achètent des footballeurs comme Ronaldo ou Benzema", a commenté sur franceinfo Ahmed Benchemsi, directeur de la communication Moyen-Orient de l'ONG Human Rights Watch, pour qui MBS est courtisé par les dirigeants de la planète pour ses pétrodollars.

Quant à Emmanuel Macron, il prépare le sommet pour un nouveau pacte financier mondial, prévu les 22 et 23 juin à Paris, où une cinquantaine de chefs d'Etat sont attendus, dont une grande partie venue de pays émergents non alignés. Mohammed ben Salmane, qui restera en France jusqu'à la fin de ce sommet, fait donc l'objet d'attentions particulières du président français.

La France, "seul acteur occidental qui préserve des liens avec l'Iran tout en étant un allié des monarchies du Golfe", s'efforce "depuis un moment" de revenir sur la scène moyen-orientale, explique à l'AFP Ziad Majed. MBS s'est quant à lui clairement positionné comme un soutien à la stabilité et l'ordre régional. Même si "cette stabilité" passe par "l'étouffement de la contestation", ajoute le politologue.

3 Pourquoi cette visite fait-elle polémique ?

La dernière rencontre entre les deux hommes à Paris, en juillet 2022, avait déjà suscité l'indignation des défenseurs des droits humains ainsi que de la gauche française. C'était alors la première visite à Paris de Mohammed ben Salmane depuis l'assassinat en 2018, en Turquie, du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, imputé au prince héritier, notamment par le renseignement américain. "Je trouve regrettable de serrer la main d'un dirigeant dont la responsabilité dans l'assassinat barbare d'un journaliste a été démontrée, en faisant comme si de rien n'était", a encore estimé Ahmed Benchemsi, de Human Rights Watch, cité par l'AFP jeudi.

Alors que sept jeunes Saoudiens ont récemment été condamnés à mort pour "de prétendus crimes" commis alors qu'ils étaient mineurs, Emmanuel Macron s'est fait "l'architecte principal de la relégitimation du prince saoudien depuis 2018", dénonce la secrétaire générale d'Amnesty International France, Agnès Callamard, auprès de Radio France. L'ONG "demande solennellement" à Emmanuel Macron d'intervenir auprès du prince héritier "pour exiger de l'Arabie saoudite qu'elle suspende l'exécution" de ces sept condamnés.

"La France est en train de décerner une sorte de brevet de respectabilité" à Mohammed ben Salmane, s'est indigné Patrick Baudouin sur franceinfo. "On n'a pas besoin de donner des symboles de réception aussi forts à des dirigeants qui ne respectent pas les droits et les libertés", estime le président de la Ligue des droits de l'homme.

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