Mère voilée prise à partie dans un conseil régional : cinq questions autour de l'incident créé par un élu RN et la polémique qu'il a provoquée
La jeune femme accompagnait son fils, vendredi, à une séance plénière du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, qui avait invité une classe à y assister. Plusieurs personnalités politiques ont condamné dimanche l'attitude de l'élu.
Un esclandre mis en scène, puis posté sur les réseaux sociaux. Vendredi 11 octobre, un élu du Rassemblement national (RN), Julien Odoul, a pris à partie, dans le public du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, une mère de famille voilée assistant à une séance plénière. Avec son groupe, il a ensuite quitté avec fracas la séance parce que la présidente PS du conseil, Marie-Guite Dufay, n'avait pas sommé la jeune femme, accompagnante d'une classe de Belfort, de partir. Julien Odul a ensuite diffusé la vidéo de la scène sur son compte Twitter. Retour en cinq questions sur cet incident très commenté par la classe politique.
1Quels ont été les propos de Julien Odoul ?
Vendredi 11 octobre, un groupe d'enfants originaires de Belfort (Territoire de Belfort), accompagnés d'une mère d'élève, entrent au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, à Dijon, pour assister à la séance plénière. L'accompagnatrice porte un voile sur ses cheveux, comme l'explique France 3 Bourgogne-Franche Comté.
Le président du groupe Rassemblement national, Julien Odoul, interpelle alors la présidente PS du conseil régional, Marie-Guite Dufay : "Je vais vous demander, s'il vous plaît, au nom de nos principes laïques, de bien vouloir demander à l'accompagnatrice qui vient d'entrer dans cette salle de bien vouloir retirer son voile islamique." Applaudi et soutenu par les élus RN, il poursuit : "Nous sommes dans un bâtiment public, nous sommes dans une enceinte démocratique, madame a tout le loisir de garder son voile chez elle, dans la rue, mais pas ici !"
Julien Odoul menace de quitter la séance si l'accompagnatrice reste dans la salle. Puis il le fait, accompagné des autres élus du RN, avant de dénoncer dans un communiqué une "provocation islamiste". "Après l'assassinat de nos quatre policiers, nous ne pouvons pas tolérer cette provocation communautariste", affirme-t-il en référence à l'attaque à la préfecture de police de Paris. La séance se poursuit sans eux.
2Qu'a répondu la présidente du conseil régional ?
Interpellée, Marie-Guite Dufay vérifie la législation en vigueur et le règlement intérieur. Après s'être renseignée, souligne France 3, la présidente du conseil régional déclare que la loi "n'interdit pas les signes de distinction dans l'espace public". Puis elle ajoute : "Notre règlement intérieur dit que nous pouvons interdire l'accès à une personne dont le comportement est susceptible de troubler le déroulement de la séance. Donc il n'y a aucune raison que cette personne sorte" [puisqu'elle ne perturbait pas la séance].
Dans la soirée, l'élue socialiste dénonce un "déferlement de la haine" et condamne des comportements "indignes d'élus de la République", n'excluant pas de "signaler ces faits au procureur de la République et de porter plainte". "Je me rends mardi à Belfort pour rencontrer les enfants, leurs enseignante et accompagnatrices", précise-t-elle samedi sur Twitter. Marie-Guite Dufay dit aussi s'être entretenue "longuement avec cette maman afin de lui apporter tout (son) soutien".
J’ai pu m’entretenir longuement avec cette maman afin de lui apporter tout mon soutien. Je me rends mardi à Belfort pour rencontrer les enfants, leur enseignante et accompagnatrices. Je leur renouvelle toute ma solidarité au nom de la @bfc_region
— Marie-Guite Dufay (@MarieGuiteDufay) October 12, 2019
https://t.co/x3bGf7BtP7
Son projet de visite de la classe se heurte toutefois au refus du maire Les Républicains (LR) de Belfort, Damien Meslot, comme le rapporte France 3 Bourgogne-Franche-Comté. "L'école appartient à la Ville et doit rester un lieu neutre, en dehors des tumultes politiques", plaide-t-il. Mais l'édile affirme avoir envoyé un SMS à la présidente de région pour trouver un endroit tiers. "Tout le monde est tombé d'accord, finalement", poursuit le maire qui propose, en contrepartie, "la mairie ou un centre socio-culturel" comme lieu de rencontre.
3Comment a réagi la mère de famille visée ?
La mère de famille voilée interpellée par l'élu RN s’était installée, "toute en discrétion, dans la tribune du public. A son côté était assis son fils, élève de CM2 comme la quinzaine de gamins qu'elle accompagnait avec d'autres parents", écrit Le Monde. Selon le journal, après l'incident, "le fils de la jeune femme pleurait, visage enfoui dans la robe de sa mère".
Le quotidien rapporte aussi une scène qui a suivi, relatée par une élue de l'Union des démocrates et des écologistes (UDE), Jacqueline Ferrari. Celle-ci allait "aux toilettes au sous-sol du bâtiment, suivie de peu par la jeune musulmane, quand une élue d'extrême droite a vu cette dernière et l'a vigoureusement apostrophée (...). Elle lui disait : 'Vous êtes soumise, vous allez voir, quand les Russes vont arriver, vous allez dégager !' C’était très agressif", raconte Jacqueline Ferrari, encore sous le choc.
Sur Twitter, le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) a affirmé, samedi, avoir "été en contact avec cette maman, qui souhaite préserver son anonymat et nous a fait part du traumatisme vécu par son fils". "Nous leur témoignons notre admiration et leur offrons dès aujourd'hui notre soutien psychologique et juridique", ajoute le CCIF.
4Que dit la loi ?
"Seuls les agents qui exercent une mission de service public sont tenus à une stricte neutralité en application du principe de laïcité", explique à franceinfo Nicolas Cadène, le rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité au sein du gouvernement. Cette neutralité ne vaut pas pour les autres citoyens, à condition qu'ils affichent leurs convictions sans perturber le service public. "Dans ce cas précis, l'accompagnante n'assure pas la mission publique d'éducation, qui est celle des enseignants. Elle accomplit juste une tâche bénévole d'accompagnement des enfants. Elle n'est donc pas soumise à la neutralité".
"Entre l'agent et l'usager, la loi et la jurisprudence n'ont pas identifié de troisième catégorie de 'collaborateurs' ou 'participants' qui serait soumise en tant que telle à l'obligation religieuse", précise l'avis du Conseil d'Etat du 9 septembre 2013, après avoir été saisi par le Défenseur des droits. "Les parents accompagnants ne sont donc pas concernés, sauf s'ils remplacent un enseignant à l'école", conclut Nicolas Cadène.
En juin, le Sénat avait adopté dans le cadre de la loi "pour une école de la confiance" un amendement proposé par le parti LR visant à interdire les signes religieux ostentatoires lors des sorties scolaires. Mais la disposition a finalement été supprimée et ne figure pas dans le texte définitif, promulgué en juillet 2019.
5Pourquoi la polémique enfle-t-elle ?
Parce que les politiques s'en sont emparés. L'élu RN Julien Odoul a d'ailleurs pris prétexte de l'appel à la "vigilance citoyenne" lancé par Emmanuel Macron, après l'attaque à la préfecture de police de Paris, pour justifier le fait de prendre à partie une mère de famille voilée. Depuis, le débat rebondit, à quelques mois des élections municipales. La photo du fils pleurant sur l'épaule de sa mère a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux, provoquant l'indignation de certains.
A gauche, le député européen Raphaël Glucksmann (Place publique) a tweeté, samedi : "Puisque manifestement l'extrême droite a un problème avec cette classe, j'invite ces élèves et leurs accompagnateurs à venir découvrir le Parlement européen et les principes universalistes qu'on y défend."
Puisque manifestement l’extrême droite a un problème avec cette classe, j’invite ces élèves et leurs accompagnateurs à venir découvrir le Parlement européen et les principes universalistes qu’on y défend. Contre des gens comme Julien Odoul. Car notre France n’est pas la sienne. pic.twitter.com/J2G74QQn3y
— Raphael Glucksmann (@rglucks1) October 12, 2019
Au sein du gouvernement, la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a elle aussi commenté sur Twitter : "1/ C'est en humiliant les mères publiquement devant leurs enfants qu'on crée du communautarisme 2/ La loi de 1905 ne prévoit pas cela 3/ Le RN n'est pas qualifié pour parler « au nom des femmes qui se battent pour leurs droits partout » Vous n'êtes nos alliés nulle part".
Une désapprobation bien plus marquée que celle du ministre de l'Education. "Le voile n'est pas souhaitable dans notre société," a déclaré Jean-Michel Blanquer, dimanche sur BFMTV.
Sorties scolaires: Blanquer préfère qu'une mère accompagnatrice ne porte pas le voile car "il n'est pas souhaitable dans notre société" pic.twitter.com/6hbOwc5tMB
— BFMTV (@BFMTV) October 13, 2019
"C'est évidemment à condamner et c'est idiot d'en arriver à ce type de situation", a-t-il néanmoins ajouté, avant de rappeler ce que dit la loi : "On est de plus en plus dans une situation de confusion alors que ce qu'il faut ce sont des règles de droit à respecter. Là en l'occurrence, ce n'était pas interdit de porter le voile." Enfin, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a jugé "choquante" l'attitude de Julien Odoul : "Qui est-il pour stigmatiser une femme qui accompagne les enfants en sortie scolaire ?", a-t-elle dénoncé sur France 3 dimanche.
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