Témoignage "Si tu fais le malin, je t'allume !" : un chauffeur de taxi raconte sa prise d'otage lors de l'attentat de Strasbourg en 2018

Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Mostafa Salhane, chauffeur de taxi, a été pris en otage lors de l'attentat de Strasbourg en décembre 2018. (LP/OLIVIER LEJEUNE / MAXPPP)
Le procès de l'attentat au marché de Noël de Strasbourg le 11 décembre 2018 s'ouvre ce jeudi devant la Cour d'assises spéciale de Paris. Il doit durer jusqu'au 5 avril. Mostafa Salhane est attendu à la barre pour témoigner le 11 mars prochain.

Le procès de l'attentat au marché de Noël de Strasbourg, qui a fait cinq morts et 11 blessés, le 11 décembre 2018 s'ouvre jeudi 29 février devant la Cour d'assises spéciale de Paris. Il doit durer jusqu'au 5 avril. L'audience se tiendra en l’absence du terroriste Cherif Chekatt, abattu par la police après deux jours de traque. Quatre hommes comparaissent pour l’avoir aidé à se procurer des armes. Sur le banc des parties civiles dans ce procès : Mostafa Salhane, chauffeur de taxi strasbourgeois qui a vu monter dans son taxi Cherif Chekatt.

Il fait froid ce soir de décembre à Strasbourg : nous sommes le 11 décembre 2018. À bord de son taxi, une Mercedes rutilante, Mostafa Salhane, 53 ans, vient de déposer des clients, quatre parlementaires, en plein cœur de Strasbourg, place de la petite France, quand une silhouette surgit. L'air mauvais, regard noir, nerveux, l'homme monte à bord. Il est 19h58 et Mostafa ne sait pas qu'il vient de croiser la route de Cheriff Chekatt. Connu de la justice pour de multiples faits de droit commun et radicalisé, il vient de tirer sur la foule, en plein marché de Noël, tuant cinq personnes.

Dans un livre publié jeudi 1er février, 15 minutes pour sauver ma vie, il revient sur le quart d'heure qui va suivre cette rencontre, durant lequel il a été l'otage de Cherif Chekatt. L'homme monte à bord. "On se fixe dans les yeux, sa main est dissimulée sous sa doudoune, raconte Mostafa. Il ferme la porte et me dit : 'Roule ! Dépêche-toi de rouler ! Vite !'. Je le regarde dans le rétroviseur et il transpire beaucoup. Il n'est vraiment pas bien, agité… Je me dis que quelque chose ne va pas."

C'est alors que l'assaillant se dévoile.

"Il est en colère et me balance la patate chaude : il vient de faire un attentat, de tuer dix personnes et aussi des musulmans. Il a tiré sur des militaires et croit qu'il en a tué et blessé."

Mostafa Salhane

à franceinfo

Cherif Chekatt confie aussi à Mostafa qu'il est blessé. "Si tu fais le malin, je t'allume !", menace-t-il. Le chauffeur se souvient de cet échange : "Il revendique l'attentat par rapport à ce qu'il se passe en Syrie, en Irak. Il souhaite marquer l'histoire. Je me suis dit : 'Mostafa, ton heure est arrivée.'" Dans ce face-à-face, l'otage s'efforce de garder son calme, lui, le judoka qui a appris à maitriser ses émotions, de créer le dialoguer avec le terroriste. Mais Cherif Chekatt n'a pas terminé son épopée macabre. L'étape suivante, c'est d'aller frapper le commissariat de Neudorf, un quartier central de Strasbourg, et de tuer des policiers. 

Mais le terroriste est blessé : touché au bras, il saigne beaucoup, souffre et hurle de douleur, au point que Mostafa Salhane doit stopper le taxi à seulement 900 mètres du commissariat. Il se souvient que le terroriste lui hurle ces mots : "Faut que tu me soignes. Dépêche-toi ! Soigne-moi, aide-moi ! J'ai mal !". Mostafa lui demande alors s'il doit continuer à rouler. "Non !, répond-il. Tourne à gauche. Là, tu vas me soigner et après tu iras au commissariat."

Cinq ans après, toujours traumatisé

Les deux hommes descendent du véhicule : "Je lui mets un paquet de mouchoirs sur le bras blessé, avec une petite bouteille d'eau. Il le prend et ne trouve pas mieux que de baisser son arme", raconte Mostafa. Il décide de profiter de ce moment d'inattention et tente de s'enfuir. "Je recule tout doucement. J'avais laissé la voiture en marche, la porte ouverte. Je monte dedans et j'accélère."

Mostafa Salhane est le témoin-clé du procès de l’attentat de Strasbourg, qui doit débuter le 29 février. Il sort un livre, "15 minutes pour sauver ma vie", publié jeudi 1er février aux éditions Plon. (GAELE JOLY / FRANCEINFO)

Au téléphone, le 17 ne répond pas. En moins d'une minute, Mostafa Salhane se rend à l'hôtel de police pour prévenir les forces de sécurité. Il sera entendu immédiatement et, grâce à lui, les enquêteurs identifient le terroriste : "J'ai livré ce terroriste sur un plateau en or à la police". Mais il faudra 48 heures aux policiers pour neutraliser le terroriste. Ces 48 heures deviennent "infernales" pour le chauffeur de taxi, qui ressent une immense culpabilité.

"Je me rendais coupable de ne pas avoir fait assez, de ne pas l'avoir maîtrisé, bien qu'il ait une arme, des grenades sur lui et un gilet. C'est ce qui va me ronger de l'intérieur, en plus du stress post-traumatique."

Mostafa Salhane

à franceinfo

Depuis cinq ans, les nuits de Mostafa Salhane sont peuplées de cauchemars et d'insomnies. Les anxiolytiques et les somnifères n'y font rien. À cause du choc, il n'a jamais pu retravailler, il a divorcé et ne mange plus. Le procès du 29 février prochain représente donc une étape cruciale pour lui, qui espère enfin tourner la page, et se débarrasser de cette amertume qui l'étouffe. Pour son geste héroïque, Mostapha Salhane n'aura jamais reçu la légion d'honneur, juste une médaille de second rang. "J’ai le sentiment d’avoir été effacé, écrit-il à la fin de son livre, le sentiment d’avoir été mis à l’écart, alors que j’ai pris mon courage à deux mains pour ne pas flancher devant le tueur et que j’ai décrit cet individu au sourcil près afin de permettre son identification".

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