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Attentat près des anciens locaux de "Charlie Hebdo" : le quotidien particulier des habitants du quartier, entre angoisse et résilience

Article rédigé par franceinfo - Jean-Loup Adénor
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La fresque de l'artiste urbain C215, peinte sur l'une des façades des locaux de "Charlie Hebdo", le 28 août 2020 à Paris. (CHARLES PLATIAU / REUTERS)

L'attaque au hachoir qui a fait deux blessés graves, le 25 septembre, rue Nicolas-Appert, a ravivé des souvenirs douloureux pour les habitants du 11e arrondissement de Paris. Cinq ans après l'attentat contre "Charlie Hebdo", certains font part de leur peur tandis que d'autres refusent de céder à la violence.

"Moi, j'aime mon quartier et pour rien au monde je ne voudrais en changer. Ici, c'est un peu comme un village." Stéphanie tient un restaurant à quelques dizaines de mètres de la rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris, tristement célèbre depuis l'attentat mené par les frères Kouachi contre la rédaction de Charlie Hebdo en janvier 2015.

Le quartier a été une nouvelle fois le théâtre d'une attaque sanglante, le 25 septembre. Deux journalistes travaillant pour Premières Lignes, une société de production installée dans le même immeuble que les anciens locaux du journal satirique, ont été grièvement blessés par un homme muni d'un hachoir. L'assaillant, mis en examen mardi et écroué pour "tentatives d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste", a avoué qu'il pensait s'attaquer à des salariés de Charlie Hebdo.

"C'est notre quotidien de vivre avec ça"

Dans les petites ruelles du quartier, des messages de la mairie d'arrondissement ont fleuri à l'entrée des bâtiments : "Pour toutes les personnes qui en ressentent le besoin, suite à l'attaque survenue ce vendredi 25 septembre dans le 11e arrondissement : prise en charge médico-psychologique." En suivant ces affiches blanches collées à même les portes des résidences, de la rue Saint-Sabin au boulevard Richard-Lenoir, on parcourt un quartier où se sont déroulées des scènes d'une violence terrible.

"On voit les policiers chargés de surveiller le bâtiment. Ça nous rappelle ce qui s'est passé, mais sinon, je n'y pense pas. C'est notre quotidien de vivre avec ça", explique à franceinfo une passante croisée impasse des Primevères. Une résignation qu'on retrouve chez d'autres riverains. "Il y a eu "Charlie", il y a eu le Bataclan, il y a eu Nice, il y a eu Strasbourg, et combien d'autres encore... Bien sûr, ça peut arriver à nouveau, ici et partout ailleurs", poursuit Marie*, une jeune trentenaire.

Dès que le procès a commencé, j'ai pensé qu'une nouvelle attaque était possible. "Charlie Hebdo" a déménagé mais le symbole restait très fort. Pourquoi n'y avait-il pas plus d'effectifs de police ?

Marie, habitante du 11e arrondissement de Paris

à franceinfo

Depuis l'attentat du 25 septembre, un périmètre de sécurité a été établi pour éviter d'approcher le bâtiment qui abritait les locaux de Charlie Hebdo. Cette nouvelle attaque, "tout le monde en parle dans le quartier", nous confie un autre habitant. "Le plus dur, à chaque fois, c'est le téléphone qui n'arrête pas de sonner. Les parents, la famille, les amis... Tout le monde veut savoir si on est en sécurité. On est obligé de répondre, car ils s'inquiètent. C'est très angoissant, ça met une pression folle."

"Ça vous met la rage"

Au bout de la rue Saint-Sabin, Stéphanie nous reçoit dans son petit restaurant, L'Ecumoir. Son commerce était fermé, le 25 septembre, au moment de l'attaque. C'est en regagnant son domicile, situé dans le quartier, qu'elle comprend que quelque chose de grave est arrivé. "La police avait tout bouclé. Je me suis dit : 'C'est pas possible, il s'est encore passé quelque chose devant Charlie Hebdo ?' Je n'ai pas compris tout de suite puisque leur rédaction a déménagé. Je n'ai vraiment réalisé tout ça que le soir." Stéphanie s'est installée rue Saint-Sabin en 2013. Quand elle évoque les événements de 2015, elle dit avoir "tout vu. Même si ça peut se passer partout, le 11e arrondissement a été très ciblé par ces attentats."

De quoi plonger tout un quartier dans l'angoisse ? Pas vraiment, selon la restauratrice, qui n'a pas sollicité la cellule de soutien psychologique. Bien sûr, les commerçants en parlent, mais "la vie continue". "On ouvre nos commerces, on continue de vivre. Aujourd'hui, on a beaucoup moins de clients. Entre le Covid-19 et ces attaques, ça fait beaucoup pour le quartier. Nos fonds de commerce ne valent plus rien, mais je ne déménagerai pas. On ne va pas s'arrêter de vivre à cause d'un connard qui veut vous mettre un coup de fusil". 

Aujourd'hui, quand des touristes me demandent où est "Charlie Hebdo", je leur réponds qu'ils se sont trompés d'arrondissement. Ça m'agace, cette curiosité malsaine. Ça me rappelle ce qui s'est passé après "Charlie", où les gens essayaient de monter sur les grilles pour voir le bâtiment.

Stéphanie, restauratrice et habitante du 11e arrondissement

à franceinfo

Si elle assure ne pas se sentir plus angoissée qu'avant, elle se dit néanmoins être très en colère. "Ça vous met la rage, lâche-t-elle, émue. Ça me met en colère qu'on puisse attaquer des gens qui n'ont rien demandé à personne. Les deux journalistes qui ont été blessés vendredi fumaient juste leur clope. Moi je fume deux paquets par jour, je suis souvent dehors, alors vous imaginez...", souffle-t-elle.

"Je me suis effondrée"

En redescendant la rue Pelée, qui relie la rue Saint-Sabin au boulevard Richard-Lenoir, on longe un grand bâtiment aux portes closes. Des barreaux aux fenêtres protègent les vitres sans teint devant lesquelles un vigile monte la garde, le visage fermé. Il s'agit d'une agence de Pôle emploi. Ses salariés se sont retrouvés confinés pendant quatre heures, l'après-midi de l'attaque au hachoir.

"Quand j'ai commencé à y travailler, il y a quelques mois, j'ignorais que l'agence se trouvait à côté de Charlie Hebdo. Je ne l'ai réalisé que le premier jour, en arrivant. C'est un sujet sensible car j'avais des connaissances qui travaillaient à Charlie Hebdo, alors évidemment, au début, ça m'a perturbée", confie Monique*, croisée non loin de l'agence. Cette quadragénaire aux cheveux blonds s'exprime d'une voix nerveuse, le regard fuyant. Affectée par ce qui est arrivé le 25 septembre, elle décrit une ambiance "particulière" dans le quartier et au travail, rendant son quotidien "pesant".

Depuis vendredi, j'y pense énormément. Il y a de vraies répercussions émotionnelles, beaucoup de peur. Ce qui s'est passé n'est pas anodin. Beaucoup de mes collègues ont consulté un psychologue au travail ce matin.

Monique*, qui travaille à cinquante mètres des anciens locaux de "Charlie Hebdo"

à franceinfo

"Il y a la cellule de soutien psychologique. Mais comme on n'est pas directement visés, on n'est pas directement pris en charge", poursuit-elle. "Ce qui s'est passé vendredi, c'était surréaliste. Nous sommes restés barricadés pendant quatre heures et quand nous sommes sortis, il n'y avait personne pour nous prendre en charge. Comme si rien n'était arrivé pour nous. C'est assez compliqué à gérer ça parce que ça délégitime ce qu'on ressent."

Quand ils ont finalement été autorisés à quitter l'agence, le quartier bouclé et la station de métro Richard-Lenoir fermée, Monique a marché jusqu'à Oberkampf. Là, elle s'est retrouvée devant le Bataclan. "J'ai pris le métro. En sortant de la station, je me suis effondrée. J'ai fondu en larmes. J'ai consulté un médecin tout de suite. Il m'a prescrit des anxiolytiques."

La tentation d'un départ

Lundi, en se rendant au travail, Monique a dû à nouveau affronter son angoisse. En fin de mois, de nombreux demandeurs d'emploi viennent habituellement actualiser leur situation, créant une file d'attente importante devant l'agence. "J'avais la boule au ventre. Heureusement, j'ai appris en arrivant que l'agence était fermée au public." Cette nouvelle attaque pourrait-elle la conduire à changer d'agence ? "Certains de mes collèges envisagent de demander leur mutation. Moi, je suis en CDD, mais c'est vrai que j'y ai pensé. On est à 50 mètres de Charlie Hebdo, lance-t-elle en désignant du bout du menton les lieux de l'attaque. En 2015, trois balles se sont logées dans le bâtiment de Pôle emploi. Ce n'est pas rien." 

De son côté, Paul Moreira, fondateur de Premières Lignes, reconnaît que l'entreprise "réfléchit à quitter les lieux". "C'est trop difficile de continuer à travailler dans cet immeuble" devenu une cible tout autant qu'un "mémorial, avec 99,9% des gens qui viennent y déposer des fleurs".

*Le prénom a été modifié à la demande de la personne interrogée.

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