Au procès en appel de l'attentat de Nice, des enfants témoignent pour la première fois afin "de se décharger une bonne fois pour toute"

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
L'entrée de la salle des grands procès, au palais de justice de Paris, où s'est ouvert le procès en appel de l'attentat de Nice, le 22 avril 2024. (MIGUEL MEDINA / AFP)
Une adolescente, âgée de 5 ans au moment des faits, et son frère ont été entendus en visioconférence lundi. Ils ont tenu à partager leur vécu de l'attentat pour "recoller les morceaux".

"Nous marchions tranquillement. Et d'un coup, boum, plus rien. Nous avons percuté un mouvement de foule, nous sommes tombés. Nous avons perdu connaissance." Du haut de ses 13 ans, Landy s'applique pour lire son texte, qu'elle tient entre ses mains. Sa voix juvénile résonne dans la salle d'audience, silencieuse. Son visage s'affiche sur les écrans : elle témoigne en visioconférence. Toute vêtue de blanc, y compris le serre-tête qui maintient ses longs cheveux lisses bruns, elle est accoudée à une table. A sa droite, son frère, Telyan, qui va avoir 12 ans. A sa gauche, sa mère et son avocat.

Le soir du 14 juillet 2016, quand Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a foncé au volant d'un camion sur les milliers de spectateurs qui avaient assisté au feu d'artifice et tué 86 personnes, avant d'être abattu par la police, elle avait 5 ans et demi. Telyan en avait 4. L'adolescente, en classe de 5e, est la plus jeune victime à prendre la parole devant la cour d'assises spéciale de Paris, au procès en appel de l'attentat de Nice, où deux proches du terroriste sont jugés. Si des victimes mineures avaient témoigné en première instance, comme Ornella, 12 ans au moment des faits, aucun des enfants âgés entre 4 et 8 ans à l'époque ne s'était encore exprimé à l'audience.

"Mon frère était complètement défiguré"

Landy était en famille sur la promenade des Anglais pour voir le spectacle pyrotechnique du 14-Juillet. Avec des mots d'enfant, elle raconte à quel point sa famille a été "dispatchée" après l'attentat. La poussette de son petit frère est vide, à ses côtés, "cassée et retournée, sans bébé". "On a pu le retrouver quelques heures plus tard. Il était en train de hurler, un couple franco-allemand l'a pris et l'a mis en sécurité", explique la fillette, qui précise que "ces gens sont devenus des amis de notre famille".

Landy énumère les autres blessures : "Maman saignait sur son bras et délirait complètement. Même quand on lui a ramené le bébé, elle était encore sous le choc, elle ne le reconnaissait même pas", "papa a eu une fracture des cotes", "mon autre frère était complètement défiguré". Ce dernier souffre d'une double fracture de la mandibule, elle d'un "enfoncement du crâne" et des jambes. Elle sort de l'hôpital "plâtrée à la tête et à la jambe", en fauteuil roulant, après un passage en réanimation.

Aujourd'hui encore, Landy a des séquelles, comme "tous les enfants touchés", au nom desquels elle s'exprime. Elle dit avoir une "cicatrice à la jambe gauche" et "devoir porter une semelle orthopédique jusqu'à la fin de [sa] croissance". Puis la jeune adolescente parle du "traumatisme", qui restera "à tout jamais gravé" dans sa vie.

"Nous avons souffert de peur, d'angoisses pendant plusieurs années. On a eu des décrochages scolaires juste après."

Landy, victime de l'attentat de Nice

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Son frère, actuellement en classe de 6e, témoigne également du traumatisme subi : "Quand j'étais petit, après l'attentat, je me faisais toujours pipi dessus. Quand le soir vient, j'ai toujours de l'angoisse, j'ai peur de la séparation avec mes parents." Parce que "les images ont parfois plus de poids que les mots", le garçon a souhaité que soient projetées des photos de son visage tuméfié et de sa sœur allongée sur un lit d'hôpital avec un plâtre. Telyan choisit de conclure avec un message d'espoir : "Je dirais juste que l'union fait la force et que le meilleur reste à venir."

"Je veux dire au juge ce que j'ai vécu"

Après la déposition de ces jeunes témoins, qui a duré une quinzaine de minutes, le président de la cour d'assises spéciale reprend la parole : "On sait que ce n'est pas facile pour les adultes et que c'est d'autant moins facile pour les enfants." Leur avocate présente dans la salle d'audience les a accompagnés dans cette démarche avec son confrère à Nice. Pourtant, au départ, "elle n'était pas très partante". "Mais ils ont insisté et je les remercie", souligne-t-elle. "C'est important pour moi de témoigner aujourd'hui, n'ayant pas la force de témoigner au premier procès. Important de se décharger une bonne fois pour toute, cela fait partie du processus de guérison", a expliqué sa jeune cliente, Landy, un peu plus tôt.

"Pour qu'un enfant soit guéri, l'écoute et le droit à la parole sont très importants."

Landy, victime de l'attentat de Nice

devant la cour d'assises spéciale de Paris

"Ce sont des enfants courageux, qui veulent témoigner à visage découvert, devant tout le monde", confirme Hager Ben Aouissi, qui a fondé en mars 2022 l'association Une voie des enfants pour sortir les jeunes victimes du traumatisme. Le 14 juillet 2016, elle est passée avec sa fille entre les roues du poids lourd de 19 tonnes sur la promenade des Anglais. Kenza avait 4 ans et les images de l'attentat sont imprégnées dans sa mémoire. "Depuis, elle a complètement régressé, elle est redevenue un bébé", confiait sa mère à franceinfo, en octobre 2022, au début du premier procès.

Aujourd'hui, Kenza, qui a suivi une partie des débats, est déterminée à témoigner. Elle prendra la parole mardi 14 mai. "Elle m'a dit : 'Je veux dire au juge ce que j'ai vécu avec mes propres mots. Je veux regarder les accusés quand je parle.' Elle imaginait des méchants, des monstres. Depuis qu'elle les a vus, elle ne fantasme plus", explique sa mère. Hager Ben Aouissi précise que sa fille a préparé son audition avec sa pédopsychiatre comme la plupart des enfants – une dizaine – qui témoigneront à ce procès.

Une réunion de préparation est également prévue lundi en fin de journée à Nice, avec la professeure Florence Askenazy, spécialisée dans les symptômes traumatiques des enfants victimes directes ou indirectes de l'attaque. "Ils ont grandi d'un coup, ils ont besoin de comprendre, souligne Hager Ben Aouissi. C'est comme recoller les morceaux d'un puzzle : c'est important pour eux, pour se reconstruire."

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